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Posté à 15h53 le 10 Aug 17
Il était parti un mercredi matin de décembre pour aller chercher, à droite au carrefour du bout de la rue, chez Jojo le patron du bar tabac « chez Jojo », le « canard enchaîné » la feuille de feu Maréchal.
Mais, et il ne sut jamais pourquoi, il avait pris la rue de gauche celle qui menait à la porte du bout du monde. Il s’y engouffra sans se questionner et sans faiblesse.
Le ciel ce jour là, il s’en souvenait, couvrait d’un lait écumeux le village gris, bas et mouillé. Il avait entendu, au loin, un chien qui menait ; c’était sans doute là-bas dans la Roque. Un renard peut-être, ou un lapin il y en avait dans ces taillis.
Il ne s’était pas retourné. A quoi bon ?
Aujourd’hui il comptait les ans passés et une odeur de tarte au citron se mêlait à ses souvenirs quand il voyait le couteau tenu par les mains blanches de sa mère qui découpait la tarte en quatre parts inégales ; elle n’avait jamais réussi à les faire pareilles il y en avait toujours deux de plus grandes qui arrivaient invariablement dans son assiette et celle de son frère Rémi.
Rémi était de deux ans son ainé. Mais il le rattrapa un jour de décembre en mille neuf cent quatre vingt quatre, deux années après l’accident.
Quand il eut douze ans.
Il parti huit ans plus tard, sur la route du bout du monde.
Maintenant il était assis sur le rocher au bord du vide, en haut des falaises de Mézels, il avait enlevé ses chaussures et les avait posées derrière lui. Un léger vent lui caressait les chevilles. Il resta longtemps ainsi, à regarder la vallée. Tout en bas la rivière sinuait en se heurtant parfois aux escarpements rocheux. Il voyait des baigneurs sur les galets, et là-bas un pêcheur à la mouche au milieu du courant.
Les saules courbaient l’argent de leur feuillage vers les eaux profondes et noires.
La route du bout du monde… Comme l’appelait Rémi.
Il avait tourné à gauche comme on nait, sans savoir. Puis il avait marché. Des petits boulots pour vivre. Des kilomètres parcourus, des milliers, sans doute des dizaines de milliers. Il n’avait jamais compté. Il marchait, travaillait et marchait encore. Et dormait et mangeait bien sûr.
C’était un soir de mai quelques années plus tard qu’on lui avait demandé si il avait du feu et il ne fumait pas. Mais c’était Monique, ils ne s’étaient plus quittés.
Il n’avait jamais pensé qu’une personne comme elle puisse se satisfaire d’une personne comme lui. On aime comme on nait, sans savoir.
Aujourd’hui, assis là, il souriait quand il entendit Monique dire : « il faut y aller Rémi va arriver et il vient avec sa copine ! ». Rémi son fils, c’était le choix de Monique, au début de leur relation, quand l’évidence de leur vie commune était là et qu’elle ne savait pas encore pour Rémi, son frère. Elle s’était étirée un matin dans le lit et avait dit : « si nous avons un jour un garçon on l’appellera Rémi ».
On ne peut rien à cela, il avait répondu oui.
Et puis, c’était en deux mille, Rémi était arrivé, quatre kilos et deux cent cinquante cinq grammes. Le 2 décembre. Vu la date il l’aurait bien appelé Napoléon lui, mais il avait dit oui à Monique pour Rémi, alors ce fut Rémi.
Avant de se lever il repensa à l’année où il revint chez lui (trois ans après avoir marché sur la route du bout du monde). Il sonna à la porte d’entrée parce qu’il n’avait pas trouvé la clef sous le pot de fleur en bas du perron, un « j’arrive » confirma que son père était là.
La porte s’ouvrit…
« Magne-toi le train ! » cria Monique qui repartait déjà sac au dos.
« Tes parents viennent demain en plus ! Et je n’ai rien préparé ! »
On se prépare comme on nait. Sans savoir. Sans savoir vraiment à quoi.
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