Mahea
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Posté à 14h22 le 25 Aug 17
Comme un fauve dépouillé de son masque grégaire, l'été battait sa chamade sur mes 16 ans rétifs ; et je ne comprenais pas pourquoi mon flair, ce traître d'alter ego, ne m'avait pas alerté d’un complot intra-tribu!
C'est en fin de matinée sur le Grand-Caillou, dès que coutumes et sourires furent accoudés à la table dominicale que ma mère annonça d'une voix fleurie :
- "Nous avons choisi un cadeau très spécial pour toi cette année. Tu vas poursuivre tes études en Frônce ! Une belle opportunité tu sais... Tu as des capacités, de l'ingéniosité...
- Il est prévu que tu entres en cours dès janvier pour continuer tes études dans un lycée très moderne. Mama-Vie viendra te chercher chaque fin de semaine. Ne t'inquiètes pas ! Tout se passera bien, tu trouveras ta voie... Tu verras..."
« Bien sûr, que je songeais à mon avenir, je l'avais même dessiné cent fois sur le sable farine qui bordait notre propriété et la mer m'y attendait chaque jour pour revisiter ma copie. Mais modeler à leur image mon destin, c'était si contre nature ! »
Médusée, déconcertée, tout était loin d'être totalement clair dans mon esprit. Mais à cet instant précis c'était une histoire avec sa dose de mystère, d’inconnu, avec son coté « pionnier » qui me ressemblait ; il m'arracha même un sourire accompagné d'un maruru*. Ni plus ni moins qu’un goût pour l’aventure comme celui que ressent chaque gamin en lisant "Tintin sur la lune" ou "La planète des singes".
Indissociable d’un chemin de table telle une broderie grotesque défigurant l’ouvrage, l’aiguille trotta un long moment pour fatalement me perforer le coeur de part et d’autre. Je me surpris à rire nerveusement pensant qu'une nouvelle paire de claquettes ou qu'une sagaie flanquée d'une belle serpentine aurait aussi bien fait l'affaire ; mais le respect inhérent à mon éducation et à l'appréciation des sacrifices exposés, on ne se permet pas une telle riposte. Et puis, tout le monde avait fini par mettre ça au fond de sa poche avec 2 ou 3 paires de mouchoirs par dessus : on est jamais trop prudent avec mes réactions.
Je me mis à blêmir sur la théorie d’un monde qui avait du les rendre fou par ses exigences.
Fuir !!!! Hantait à présent ma chair pétrifiée, pendant que la rage se mettait à consumer ma combativité instinctive face à leurs calculs abstraits. C'était le reflet je crois d'une mise, perdue d'avance.
Comme un réveil térébrant qui vous désarticule, je pris congé avec mon overdose de questionnements qui empourpraient mes lèvres closes. Une demi-sphère en terrain amniotique, l'autre quasi-catapultée en croisades inconnues qui déclenchèrent une série de déluges convulsifs enterrés encore à ce jour au pied d'un flamboyant charitable.
25 décembre 19 h 15 -. Aéroport de Tontouta.
« Adieu » Terre natale, tes arbres, tes parfums ; mes amis d'enfance, vos rires, nos chants et vos mains qui parlent d’amour... « Adieu » motus coralliens et palmes érodées par sel de la vie. « Adieu » Maître des crabes dans les palétuviers par mes nuits sans lune, et tout ce lot de bonheur indigène à qui je m’interdis de prononcer ton nom... Tant que me tourmentera cet éloignement.
J'ai beau m'accrocher au calme d’un grand Lagon bleu retenu dans les yeux de mère, mais elle me dessoude de la dernière marche passerelle via ce DC10. « Haré !»* me dit-elle avec tendresse, bitumée dans son chagrin ; tandis que je reste seule avec mes peurs, mutilée par l’effondrement de tout ce qui me charpente. C'est un stock lourd de mille et une consignes en dépressurisation totale qui se fout royalement de l'ultime muscle qui me tient encore en vie et qui suffoque dans son cachot.
Et puis...
Zoom sur 22 heures de vol en apnée, à ne pas savoir où se planque le silence au rythme de mes épis électriques sur d'interminables escales en boyaux. A mastiquer de l’A.D.N.I.* en barquette, me masturbant l'esprit sur l'usage d’un masque mortuaire à l’oxygène périmé ou d’un gilet de secours planqué où ? On sait pas bien à qui le sien ? Cliché gauche sur un grand « Taria »* en rapatriement, pissant la trouille sur son siège, l'oeil dévissé sur des nouvelles avariées d’un autre monde, ne reniflant même pas mon dégoût pour sa peau de pierre.
« J'en peux plus ! Me faut d’ l'air… ! »
Je rejoins le seul abri possible ; les toilettes et son assortiment d'échantillons qui m'occupent la propreté un moment avant qu'un intrus fasse feu. Un strapontin musical à l’écart de la foule embarquée m’offre ce qui reste d’un voyage chaotique, et je vidange épuisée, tant bien que mal toutes ces pensées noires, gagnant quelques degrés d’altitude vers Morphée, quand…
« Mesdames, Messieurs, Arrivée Charles de Gaulle", me crachouille un bruit métallique annonçant la température extérieure qui ressuscite mes claquettes.
- « Merde ! » - 6 °.
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