Menthe ou rose 5

Volé d'un bras de l’Eure,
Le ruisseau de Motet
Est un petit filet d’eau
Oublié de nos jours dans le remblai de la grande route
Menant à des zones dortoirs affligeantes comme le crachin.
Les travaux sacrifièrent bois, potagers clos et peupleraies,
Mortifiant à l’occasion les collines d’en face
Depuis longtemps abandonnés des vignes,
Libérées des rires enfantins taquinant
Des grappes d’escargots copulant sur les brins d’herbe.
Débarrassées du soleil d’été, on leur troqua
Le sépia des cartes postales pour une grisaille de béton.

De la Barillette, il se perdait dans les herbes
Jusqu’au pont d’Ezy.
En fait, le ru en longeant le fossé nord du château de Diane
Faisait bien pâle figure, il n’avait en fait pas de nom véritable,
Il courait sans demander son reste,
Il suffisait qu’à l’abri des grands, on y joua pour qu’il existât.
Fut-il un bief du moulin dont je ne connus que les dernières ruines.
Qu’importait ! Il y a plusieurs décennies,
Quelques enfants s’y attardaient encore…

Paul était circonspect tel un chat devant une souris verte.
Il se passa longtemps le poignet sous le museau
Avant de s’avancer au bord de l’eau.
Le petit groupe déposa alors l’offrande
Sur une épaisse touffe de roselière.
L’œuf de poule devait adoucir les humeurs du terrible liéchi.
« Hâte-toi Paul de te laver les mains ! Je te rappelle
Que nous devons rapporter notre récolte avant la nuit »
Les sages paroles de la petite Juliette
Se répandirent sur le tapis de faux cresson.

Accroupi, les paumes ouvertes, l’ainé des enfants
Entendit échappées d’un vieux saule tétard :
Ces paroles à lui seul adressées : « Menthe ou Rose ? »
— Menthe ou rose ? Tu te décides ? Tu es muet ?
Paul était lors une statue de sel
Au pied de la donzelle à l’escarpolette
Se balançant au-dessus du ruisselet.
La fillette quitta son perchoir :
« Menthe ou Rose ? Ou je te chatouillerai
Et les bras et la plante des pieds ! » fit-elle
Joignant le geste à sa menace.
Paul perdit pied dans un trou d’eau profond
Comme un gouffre de peur et de plaisir tout à la fois.
La fée car il s’agissait d’une fée, fit encore :
« Menthe ou Rose ! Fi de ta réponse !
Menthe à l’eau
A l’eau de rose !
A l’eau, tu es tombé »
— Tu es une tricheuse ! C’est quoi ton nom ? »
Paul n’obtint en réponse que les quolibets de ses frère et sœur.
— Te voilà propre en tout cas ! fit Luis
— Paul est amoureux, Paul est amoureux ! chantonna Juliette :
« Mais de qui, on ne sera jamais »
— D’un rond dans l’eau, de l’ombre de cette branche ! se moqua encore Luis.
Paul qui avait repris ses esprits, enfin presque, se rebiffa :
« Elle était là dans mes bras et je l’ai embrassée. »

Paul chercha longtemps, au crépuscule de ses soixante ans,
Il convola en dernières noces avec une certaine Myrtille,
Il y avait eu avant elle : Liseron, Sylvie, Anémone,
Hazel, Flora, Violette, Yveline…
Dans les bras de Wivine, il finit par mourir d’amour
Mais pour qui, on ne le sut jamais !


Suite de <br />
<br />
BUISSON ARDENT 1<br />
MEME 2<br />
LA TOILETTE DES CHATS SAUVAGES 3<br />
LES PANIERS DU MARAIS 4


Ecrit par Ann
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