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Poésie libre / Au seuil des prisons de l'âme
              
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Au seuil des prisons de l'âme
par DanOo


Lui: — Je ne voudrais garder que de grandes joies dans ma petite nacelle tissée de songes. Et comme un enfant détaché du monde, soudain, je m’envolerais, enivré, au bout d’un cerf-volant. Elle lui dit: — Tu es un enfant, en vérité. Lui: — Alors je veux me faire oiseau à terre, c’est beaucoup mieux. — Et que ferais-tu une fois à terre ? — Gardien des âmes mortes. Me reposer du monde. Ne plus avoir d'ailes ni de désir. Elle: — Et tes mains, qu’en ferais-tu? — Mes Mains? — Tu as les mains de tous les hommes, des mains qui prennent. — Des mains qui donnent. — Des mains qui tuent! Il faudra vous les ôter ! On va modifier votre génétique, rendre dociles vos héritiers, les rendre comme des valets manchots! Et nous prendrons enfin tout en main avec nos mains de femmes. Elle dit: — En vérité, je cherche comment devenir simplement femme. Mais qui sait être simplement femme? — Malheur d’être femme! C’est accueil trompé et don souillé, et du vide à souffrir. Elle, surprise: — C’est bien, ce que tu dis là. — Mais les étoiles, lui demande t’elle, sont-elles comme les femmes? — Les étoiles ? Chaque nuit, les étoiles se font violées au bord de couches honteuses, à toutes les frontières de l’univers. — C’est la jungle sur la terre comme au ciel, alors. Puis elle dit : — Mais dans le nous de nous, là ne règne que mon désir à toi ! Elle rit. Elle lui demande, malicieuse: — Les hommes aussi ont de la sève comme les arbres ? — Les hommes ont une lymphe, cancéreuse, dont la consistance aqueuse colle aux doigts des fées. Elle dit: — Mais c’est horrible ! — Les fées des rues disent qu’elles n’ont pas le choix. Mais les nymphes des forêts vierges préfèrent que les hommes retiennent leur souffle au bord de la lymphe, avant qu’elle ne s’écoule. Elle rit. Elle dit: — Mais il n’y a plus de vierges ! Lui: — Il n’y a plus de forêts. Elle lui demande: — Cette lymphe, c’est elle qui se colle aux cheveux agités de nos collerettes-muqueuses, et qui nous féconde nous les femmes ? — Oui. Elle est devenue noire comme du goudron. Autrefois, elle était blanche comme la rosée dans des champs de givre. — Et les fées alors, demande t’elle ? — Elles s’éteignent comme les étoiles. — Nous allons nous éteindre à notre tour ! — Non, nous sommes doués d’une technologie intruse et d’une avidité aveugle. Nous allons tout éteindre. Elle dit en riant : — Oui, mais toi, tes doigts me donnent des perles de rosée. Elle lui dit: — On m’a prise par six fois. J’avais pourtant, comment dire: l’herbe plus bleue encore qu’un cheval accroché par une patte à la lune. Elle dit: — Je grougrouillais encore dans des solidités d’ivoire comme une petite bête pacifique et innocente ... ... Après, il y eut un long soleil inhabité sur mes pourritures. Elle dit: — Je me souviens d’eux, leurs regards étaient blancs, et leurs gueules cassées. Elle dit qu’après, elle s’était perdue dans un monde inanimé, hors des choses du jour: - Je me suis cherchée à travers l’écho, mais j’y suis restée sans voix. C’était sous les bombes, ajoute t’elle. Chaque pas écorchait. Le chemin se rétractait sous la douleur. Les cailloux se plaignaient, par intermittence. Le soleil était trop d’aplomb sur le paysage. Elle s’était couchée dans les ronces, la peur au ventre, la peur aux trousses. L’eau vive fredonnait, insouciante, dans le creux du bois: gerbes de pensées claires éclaboussant les cailloux du lit limpide. Alors son regard s’était agenouillé, enfin. Elle avait bu entre ses deux mains. Il lui dit: — Je suis ton arbre vivant, ton ombrage. — Oui, tu es mon arbre de tendresse. J’ai l’appui de ton tronc. — Je me suis enraciné dans ton être. — Oui. Tend moi tes mains. Elle les effeuille. Puis elle boit la sève sous leur écorce. Elle: — Ce matin, sais-tu, un arc-en-ciel m’a offert une coupe de rosée. — Te serais-tu réveillée au pays des merveilles ? Elle: — Non. Car la rosée était acide. — Forcément. C’est de la sève de macadam. Elle: — Ce n’est pas sain, évidemment ? — C’est cancérigène. — Je ne l’ai pas bue, dit-elle d’un ton enjoué ! Il dit: — Je ne commets que des fautes, toujours. Combien de fois, je t’ai écorchée crue comme une alouette. — Pas souvent. — J’avais mis le feu aux fleurs dans un champ lointain, autrefois. J’ai même abattu des arbres échevelés en pleine rue, en pleine guerre. — Moi, j'ai mes mains dégoûtantes de rues à force d'avoir erré. J'ai plein la tête encore de musique de caniveaux. J’ai une musique de ferrailles et de sons âcres sous ma peau, j'ai l’odeur de toutes les peaux. Elle lui dit: — Je savais que tu t'éloignerais de moi. — Mais non, simplement aujourd’hui j’ai le front arraché par des pensées insupportables. — C'est une fin déjà qui aboutit sur nous deux. — C’est seulement mon visage qui se fend entre tes doigts ouverts, entre tes yeux inquiétés. — Je bois une eau aride, je suis au seuil des prisons de l’âme. — C’est parce que je ne sais pas vivre. — C’est parce que les mains des hommes sont grises comme la paix des charniers. Elle: — Je songe au monde qui vient. Je songe aux estouffades d’étoiles qu’il nous faudra ingurgiter, si des lunes hagardes d’autres galaxies sont engouffrées par accident dans nos cyclades constellées. Je songe aux esfilades sans bords sur lesquelles nous devrons voyager dans les enfilades lumineuses de l’univers. Je songe aussi aux abords rendus sans profondeur des berges du songe. Lui: — On n’en arrivera pas là, car je vois déjà une Apocalypse étendre son verbe incendiaire sans même un seul mot de regret, et je sais qu’une absurde Raison rationalisera l’inacceptable. Nulle humanité ne devrait survivre aux prochains charniers d’outre-histoire. Les humains finiront par se déperpétuer génétiquement, à force de s’être exterminés. Elle: -— Alors, oublions le monde. Il lui essuie le visage, elle flotte comme une voile accrochée dans le vent. Ils entrelacent leurs doigts ... sont transportés en pleins champs, aux lisières des bois odorants. Ils s’agenouillent près de l’eau limpide, humectent leurs lèvres brûlantes, et leurs bouches. Le feuillage frissonne de douceur. Il l’allonge sur un lit de fougères, lui fait un oreiller de mousse, la déshabille toute entière, l’enserre dans ses bras. Elle le dévêt à petits gestes tendres. Il se penche sur elle. Sa gorge se livre et ses lèvres murmurent, elle s’offre, il est un cerf en rut, elle voit l’ombre de sa ramure triomphale portée haut. Ses mains brûlantes prennent possession de ses hanches, lui ouvre les cuisses, elle l’accueille avec des frémissements de joie. Elle est une biche gracieuse et légère, il l’a coursée en quelques bonds prodigieux, elle s’est soumise frémissante, il la pénètre muscles bandés au milieu des hêtres, des aulnes et des frênes, il est le cerf blanc, le maître puissant et ailé, il la fécondera avec vigueur parmi les jacinthes et les anémones. Elle, ses yeux quittent le monde, affolée d’éternité, comme en prière. Une houle sauvage s’est levée et les a emportés loin, jusqu’aux océans primitifs. Le soleil s’est effondré dans une tempête de feu. Ils s’élèvent ensemble au-delà des ciels … Recouverts de feuilles mortes et de mousses, et d’écumes, ils rouvrent les yeux au monde, se dévisagent avec gratitude.



Poème posté le 21/02/11


 Poète
DanOo



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