Enfants des ruelles
par Arden
Les enfants des ruelles aux plis des cités mornes
Ont dans leurs yeux d'eau pure un reflet argentin
Des soleils clairs et gais qui se lèvent matin
Sur les lacs transparents qu'aucune ombre n'écorne
Dans le vent languissant leurs cheveux s'embroussaillent
Il faut les voir courir le long des murs noircis
Ou dans la foule triste avancer indécis
Allumant de leur rire un feu dans la grisaille
Elle est triste la Meuse aux dolentes péniches
Et tristes ses remous à l'haleine du vent
Mais ils sont gais les ronds qu'y créent les enfants
Y jetant les cailloux que par terre ils dénichent
Un sol, des murs, un ciel; pavés, briques, fumées,
Voilà leur univers avec, de loin en loin,
L'os noir d'un réverbère et, derrière le coin
De la rue, la place aux fontaines grimées
De vert-de-gris; de quoi se faire un magnifique
Océan pour bateaux de papier et pour voir
En riant, dans l'eau froide à reflets de miroir,
Serpenter leur visage en grotesques mimiques
Les enfants des ruelles jamais ne s'embêtent
Il est tant de couleurs sous la toile au marché!
C'est une forêt vierge où ils aiment marcher
En croquant un fruit mûr que jamais ils n'achètent
Et quand il pleut dehors, les enfants des ruelles
Vont jouer à se perdre et à se retrouver
Dans le grand magasin où ils aiment rêver
Devant l'étalage où tant de choses sont belles
Ô le grand magasin! Un soleil pour ces mômes!
Il faut voir leur figure éblouie par ce
Qu'ils n'achèteront pas et ils choisissent ceux
Qu'ils préfèrent parmi les jouets, les bonshommes
De massepain et les clinquantes carabines
-"Dis! si on se payait une glace moka!"
Et ils restent ainsi pleins de rêves jusqu'à
Ce qu'on ferme les portes... Alors ils se débinent
Sous leurs vêtements noirs que d'or dans leur pauvre âme!
Aux enfants des ruelles qui rentrent le soir
Et les Marocains qui au café vont s'asseoir
En les voyant se sentent au coeur un peu de flamme
Et dans le soir qui tombe et la pluie qui s'écoule
Ils s'inventent encore un jeu, en se hâtant
Car déjà le faubourg, le foyer les attend...
Furtifs ils disparaissent entre deux pans de foule
Il y en a partout de ces gamins des rues:
A Liège, à Rotterdam ou à Saint-Pétersbourg!
Mais jamais le ciel noir ni le gris des faubourgs
Ne s'harmoniseront avec l'âme ingénue
Que l'on voit palpiter dans les yeux de ces gosses
Etoiles que l'on a fait tomber ici-bas,
Rendant à l'ouvrier cet argent qu'il n'a pas,
Bien plus même! et au soldat l'oubli de l'atroce
Les fenêtres toujours sourient quand ils passent
Derrière elles des vieux parfois pleurent un peu,
Se souvenant qu'hier ils étaient tout comme eux:
Enfant de la ruelle ou gosse de l'impasse...
Poème posté le 05/12/16