Ecrire, c'est s'écrier
par Gkak
À Muse :« Laisse la liberté d’écrire aux autres ! »
Je laisse écrire tout le monde
Même ceux qui ne savent pas !
Et qu’on se le dise à la ronde
Vous n’aurez mon mea-culpa !
Je laisse écrire tout le monde
Surtout ceux dont la main peu sûre
Hésite, et pas une seconde
Ne me vient l’idée de censure.
Est-ce que j’ai un air moqueur
Quand l’amoureux transi griffonne
À celle qui a pris son cœur
Un long texto sur son I-phone ?
Quand le cancre rature et biffe
Tant la peur du zéro le noue ?
Quand le scribe, sur ses genoux,
Grave, un à un, les hiéroglyphes,
Ou qu’il embellit une tombe
Des sceaux d’une Néfertiti ?
Quand l’ado muni d’une bombe
Couvre un mur de ses graffitis ?
Quand le comptable fait ses comptes
Qu’on appelle des écritures ?
Quand grand-mère écrit, mieux qu’un conte,
Ses recettes de confitures ?
Quand l’artisan fait un devis
Sans se soucier de l’orthographe ?
Son stylo, c’est un tournevis,
Son métier, c’est son autographe !
Quand le cuistot trace à la craie
Son menu, tout en italiques ?
Quand le préfet pond ses décrets
Et le pape ses encycliques ?
Quand se triturent les méninges
Des millions d’écoliers en Chine ?
Je respecte même le singe
Qu’on fait taper à la machine !
Je suis ravi qu’écrive ‘l’autre’…
S’il fait l’effort d’être lisible !
Je tolère, chez les apôtres,
Jusqu’aux redites dans leur Bible !
Je compatis aux malheureux
Les Nerval, Baudelaire, Artaud,
Qui tournent des vers sulfureux
Sous leur crâne pris dans l’étau.
Mais je plains nos compositeurs
Sans plus de rimes que de voix,
Et ces romanciers sans hauteur
Qui se prennent pour Genevoix !
Tu peux bien, archinul Houellebecq,
Noircir tes pages d’amertume
Tu n’auras de moi un kopeck
Pour tes navets, même posthumes !
Je laisse écrire tout le monde,
Soporifique Modiano,
Marquis de Sade à l’âme immonde,
Et autres du même tonneau !
Et si je mens, que Dieu me gronde !
Entrez, Modernes et Anciens,
Entrez, plumitifs, dans la ronde !
Littré reconnaîtra les siens !
Je crie : Liberté d’expression !
Haut et fort à chaque manif.
Tout crayon vaut mieux qu’un canif !
Vive la presse à sensation
Et sa cousine satirique !
Torchez vos Une, journalistes
D’Asie, d’Europe ou d’Amérique !
Dois-je encore allonger ma liste ?
Eh bien, tenez, un général !
Je lui présente mes respects
S’il range au hangar ses Mistral
Et rédige un traité de paix !
Je laisse écrire au procureur
Le plus lourd des réquisitoires
Si ne fait de lui un tueur
Quelque sentence exécutoire !
Je laisse écrire un basané,
Un Noir, un Blanc, de toutes races !
Je laisse écrire au condamné
Sa lettre qui demande grâce.
Je laisse acter tous les greffiers
Avec les mots glacials du Droit !
Et je laisse même signer
L'analphabète, d'une croix.
Qu’avoue, par écrit, Cahuzac
Ses mensonges à son percepteur !
Qu’écrivent même les facteurs,
Mais ça alourdira leur sac !
Qu’écrive enfin notre Sarko
À tous les pauvres cons de France
Qui ne font pas Cocorico
Mais qui raquent la redevance !
Voulez-vous obtenir la preuve
Que je ne parlais pas pour rire ?
Mettez-moi Madame à l’épreuve,
Prenez la peine de m’écrire !
Epistolière brune ou blonde,
Belle citoyenne du monde,
Soyez trentenaire wapa
Ni effrontée, ni pudibonde…
Sinon je ne répondrai pas !
Poème posté le 23/01/16