La nation n’est qu’un sol où naissent par hasard
Les enfants de parents aussi aléatoires,
Deux idées fictives en font le préjugé :
Un ancêtre commun, un ennemi juré.
Ainsi l’Hexagone, la frontière incertaine,
Qui erra bien longtemps pour trouver sa Lorraine.
Est-ce l’Aurignacien ou le doux Cro-Magnon
Venus droits des Balkans ou de ce Proche-Orient
Qui furent nos anciens sculptant des Madelons
Dans Les Eyzies creusées comme un fromage alpin ?
Homo- sapiens était-il déjà géomètre
Mesurait-il sa tête avec un décamètre ?
Furent-ils les Celtes aux vertus ossianiques,
Ces farouches gaulois décorant les champs d’urnes
Sans cesse querelleurs, ces baroudeurs claniques
Sur leur identité sont restés taciturnes,
Serait-ce les Romains, durs guerriers en tuniques
Qui parlaient le latin sans être bucoliques
Ou ces cousins germains de francisque mémoire
Qui laissèrent leur nom en guise d’héritage ?
Augustes capétiens aux conquêtes barbares,
Ils chauffèrent les Cathares en pucelage
Et avec un Bâtard envahirent Illion,
Qui saura se venger plus tard de cent façons.
Semé de fleurs de lys, le parterre royal
Au gré de guerres atroces s’agrandissait
Se nourrissant du sang de tous ces va-nu-pieds,
Epouvantails fauchés qui n’iront plus au bal,
Après le roi-soleil, fusèrent des lumières
Qui dans les colonies éclairaient les misères.
Viendront les Républiques et leur désarroi
Tantôt démocratiques tantôt hiérarchiques,
Un peuple d’insoumis trahi par les caciques,
Le nez dans le ruisseau, dans un piteux état,
Sur les barricades agonisa sans voix,
Utopie balayée par le veule bourgeois.
Le siècle des extrêmes pourra achever,
Dans l’immonde tranchée ou les sinistres camps
L’épopée des nations à jamais mutilées
Commémorées sans cesse avec emballement,
Fusées tricolores, sourire des Mariannes
Qui attendent ce Barbe-Bleue comme sœur Anne…
Mais toi, tu restes là, dans tes belles parures
Terre sans frontières, aux charmes infinis
Bretagne ensorcelée où tanguent les voilures
Sur l’océan de bistre aux gouffres interdits,
Provence au mille éclats où naquit la lumière
Sous les ailes irisées de l’aigle solitaire,
Majestueux sommets où se suspend le temps
De givre étincelant balancé par les vents,
Miroitantes gorges sous un ciel d’émeraude
Où nagent des soleils en tapis d’or qu’ils brodent,
Cigales assoupies dans le parfum des nuits
Quand les yeux des amants comme une étoile brillent,
Car tes exquises fleurs et tes bosquets sauvages
Poussent sur les versants dans leur fin carrelage,
Les biches gracieuses tout emperlées d’aurore
S’enfoncent dans les bois que rien n’arrête encore,
Tels les gens du voyage trop souvent proscrits,
La nature si sage n’a pas de pays.