Le long marais du Fen aux confins de l’Irlande
Etend ses bras fangeux dans la sinistre lande,
Foulques et outardes sous un ciel effaré
Lancent des cris stridents tels des spectres damnés.
Tandis qu’un soleil las épanche ses blessures
Aux tisons enflammés chutant dans les tourbières,
Que des ciseaux furieux découpent en lanières
Un firmament frileux parsemé de dorure,
L’ombre néfaste du chasseur suant de rage
S’avance pesamment faisant trembler la bise
Qui fouette en vain avec ardeur ce dur visage
Creusé par l’étreinte d’une sombre hantise.
Un dogue tout baveux aux yeux de fièvre jaune
Parfois grogne ou gémit en explorant la faune,
Les crapauds se sont tus dans les herbes mauvaises,
Les saules sont ployés sous le joug d’un malaise.
Il est venu châtier l’horrible cauchemar
Qui sème la terreur dans les humbles chaumières,
Le mal tue les enfants, martyrise les mères,
Dévore les cadavres dans de tristes mangeoires.
La lépreuse lamproie au fond des marécages
Exhale ses poisons aux odeurs de carnage,
Il faut la débusquer, découvrir son repaire
Enfin l’anéantir d’un geste salutaire.
Mais le pauvre traqueur sent au fond de la vase,
Des mains le retenir, l’enliser lentement,
Une boue infecte l’emprisonne et l’écrase
Et dans son agonie, il comprend vainement
Qu’il n’y a que des arbres décharnés, griffus,
Des monstres pitoyables aux troncs distordus,
Fils de la famine, cette goule assassine
Qui ronge les vivants, l’insatiable vermine !
La Grande Famine (en irlandais An Gorta Mór) est le nom donné à une famine majeure en Irlande entre 1845 et 1852. Cette catastrophe fut en grande partie le résultat de cinquante années d'interactions désastreuses entre la politique économique impériale britannique, championne du libre-échange… des méthodes agricoles inappropriées et l'apparition du mildiou sur l'île.