- Mon Prince Gulo Gulo,
Entends notre adversité !
L’hiver fut rude, les blés cariés.
L’ergot pourrit nos seigles que le vent finit
De coucher dans nos parcelles de pierrailles
Je fais appel à ta légendaire clémence !
C’est ainsi qu’un pigeon implorait pour son feu,
Maître Glouton, âpre négociant en grains,
Propriétaire et meunier de son état.
Le triste sire faisait la pluie et le beau temps
Sur ce territoire qu’il décréta sien
Comme les menus sujets d’icelui.
On grondait, on pestait, on courbait l’échine.
Ce jour d’hui était à l’orage,
On levait l’impôt à merci.
Sur le carreau de la halle, osiers percés
Et lambeaux de jute débagoulaient
Céréales, baies de lierre et vers séchés.
Sous un dais de pierre ouvragée
Un carcajou à gueule de hyène
Dominait l’assemblée réunie.
Un blaireau, vavasseur cupide,
Comptable arbitraire et griffu,
Tenait entre ses pattes coupables,
Gerbe de bâtons* abusivement entaillés.
De l’autre côté, en contrebas, un tanuki,*
Lieutenant masqué, croc en majesté bouillait
D’écharper les fomenteurs de troubles…
Vilain, tu me sembles gras et bien arrogant !
fit le patricien pointant de son sceptre,
La bedaine du colombin.
Mon ventre gonflé crie disette, il sonne creux.
Ma femme couve trois beaux œufs
Qui à la prochaine saison, vous prêteront allégeance.
Avec ces trois sacs de millets, voilà pour l'année future,
Mes seules richesses, s'humilia Grain d'Orge.
Je serai magnanime, concilia Maître Glouton, applaudi
Par une troupe d'oies et de dindons en peau de mouton .
« Coupons la poire en deux » continua le suzerain :
Qu'on lui réquisitionne sa récolte,
Qu'on lui laisse sa progéniture ! »
Les contribuables se dispersèrent alors
Laissant leur tribut sans mot dire.
Quand les uns n'ont pas de cœur,
Sans roupettes ni trompette
Tes pairs crève-la-faim
N'ont qu'une grande gueule.
Il ne sert à rien de picorer dans la main
De tes affameurs autolâtres
Si tu veux becqueter, planque ton blé.
Je vous dois quelques explications.<br />
Le bâton à entailles permettait de comptabiliser les dettes payables au mois ou à l'année. Ce principe était encore en vigueur au milieu du 20ème siècle0<br />
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Le tanuki : il s'agit d'un canidé, le chien vivérin avec un faciès de raton-laveur.