Le joueur
par Candlemas
Cher Fedor,
De joueur à joueur,
je te suis :
la vie nous brûle,
nous sommes fétus
et, portés par le vent, croyons savoir
agrippés au gouvernail, repérer notre étoile,
perdue dans la nuit.
De joueur à joueur,
je double la mise :
jamais plus que sur la corde raide
je ne me suis senti plus vivant
et, cassant mes certitudes, j'ai saisi
une liberté qui me grise comme une folle
chevauchée sur un étalon fougueux.
De joueur à joueur,
je coinche:
chaque rayon de vie me semble plus intense
et je jouis
du sentiment de toute-puissance
que confère à un homme l'expérience
d'être allé au-delà de ses peurs.
De joueur à joueur
je passe:
s'abandonner au plaisir des sens
et se dire que tout est permis,
c'est aussi se perdre un peu,
laisser morale et naïveté derrière soi
ainsi que l'avatar d'une vie.
De joueur à joueur
je te rends ton bluff :
ce faisant, c'est aussi trahir
tous ceux qui prenaient appui
sur ce madrier,
menteur et creux,
qu'on jugeait si sûr et si droit.
De joueur à joueur,
je t'abandonne le tapis :
la roue tourne et je m'épuise;
je n'ai plus de mise, je réintroduis
le réel, le rassurant présent.
Avec délice l'esprit libre se brûle les doigts
jusqu'à ne plus sentir les bouts et perd tout atout
De joueur à joueur,
la main passe, rien ne va plus :
à la force du vent, on ne roule qu'un instant,
et pour ne pas rester au bord de la route
nous autres humains nous nourrissons
d'hydrocarbure,
de corps et d'eau, de corps et d'eau...
C'est pourquoi,
De jouer à joueur,
je t'invite à mon tour :
la vie n'est pas casino
mais chambre d 'hôte,
une chambre avec fenêtre ouverte
sur un bocage impressionniste.
Rien n'est tien, mais tu peux tout...
De joueur à joueur,
je transmets le témoin :
goûte, consomme, gaspille,
tout est à portée de ta main, de ta bouche,
mais quand tu quitteras la partie,
tout restera pourtant
pour le prochain.
De joueur à joueur,
tel un vieux cheval de course, je me couche :
tu ne conserveras qu'une vague sensation,
mais une vague qui nourrit en mourant
le sable de l'arène
où d'autres, après toi,
à leur tour, viendront jouer.
Le Joueur, Alexeï Ivanovitch fait partie de ces hommes qui commencent et qui ne s'arrêtent plus. Il joue dans la passion, dans la folie, dans la déraison, cette folie que possèdent les personnages de Dostoïevski.(...)Mais, au-delà de la question du jeu, qui apparaît comme une métaphore structurant l'ensemble du texte, on découvre un homme tel que Dostoïevski savait seul les inventer; un être de désir, qui ira jusqu'au bout et qui saura prouver qu'il est, selon le mot de l'auteur lui-même, "un homme et non un rouage". Extrait de wikipedia / Le Joueur - Dostoïevski<br />
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J'ai écrit ce texte hier ; j'ai lu le roman il y a 20 ans ; je ne savais pas à l'époque qu'un jour je me sentirais proche de lui au point d'oser une dédicace...<br />
Poème posté le 09/11/09