« Que voulez-vous, Monsieur, je suis de ceux… »
Me répondit l’homme attablé à deux chaises de moi,
Par dessus son verre à demi plein d’ombre, alors
Que je ne l’avais pas questionné, perdu dans mes
Pensées, au demeurant passablement moroses :
« …De ceux que vivre n’intéresse plus beaucoup :
J’ai traversé des guerres, des amours, des trahisons,
Fait toutes sortes de métiers plus ou moins honorables,
Souvent assez peu gratifiants, eu quatre enfants
Qui me donnaient jadis de leurs nouvelles, au temps
Où ils avaient encore, à l’occasion, besoin d’argent.
A présent, je ne reçois plus qu’une petite carte
Une ou deux fois par an, pour le premier janvier
En général ; plus rarement pour mon anniversaire.
Ils étaient davantage attachés à leur mère, et ma foi,
C’est normal. Depuis que je suis seul, mon existence
N’a plus rien d’excitant. Je n’ai rien à leur raconter.
J’en suis réduit à quelques murs et à venir ici
Boire un café tous les matins, pour rencontrer
Des gens. Mes jambes se fatiguent vite et je suis
Obligé de faire un effort pour aller au supermarché… »
Je me suis appliqué à l’écouter avec patience,
Puis j’ai hoché la tête gravement : « Je vous comprends !
Excusez-moi : il faut que je m’en aille… », ai-je dit
Pour échapper à une confession qui me faisait
Trop voir qui je serais bientôt, comme dans un miroir.