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Les femmes et les enfants d’abord
par Ann


par Ann


Léon et Emile visaient la haie de prunellier. Ils défiaient les épines noires qui garantissaient ce bout de terrain, des vaches et des voleurs. Sous la marquise, derrière eux, un courant d’air balançait doucement l’abat-jour rouillé de la lampe envahie par les mannes. Sa lumière allongeait l’ombre d’un décrottoir qui racla des armées de bottes crottées, cette lame enfichée dans le perron que ces gens de la ville n’utilisaient plus. La marquise, couvrant «l’antichambre» des visiteurs qui devaient se déchausser avant de pénétrer le cœur de la maison, avait un carreau cassé et un autre fêlé que personne n’avait l’idée de changer. Ce n’était pas du ressort des belles-sœurs et les hommes étaient épuisés d’une année de labeur. Emile, un rude gaillard au cou de taureau travaillait à la préfecture. Jacqueline, sa femme n’avait jamais bien compris ce qu’il y faisait mais il rapportait la paye et c’était bien l’essentiel. Léon, gendarme de brigade n’était pas un manuel et ces carreaux cassés étaient la preuve évidente des forfaits d’Emile, enfant turbulent qui chassaient les araignées à coups de ballon. Les compères, la main sur la braguette finissaient une plaisanterie sur un rire gras sentant la verveine « Maison » des retrouvailles. Le soleil ne pénétrait jamais dans l’unique pièce de vie avec sa cheminée noircie et ses parefeuilles piquetés d’anciennes crasses. Sur la longue table de châtaignier, il y avait toujours une poignée de haricots à éplucher, une pelote de laine en cours de tricotage et des godets pour les hommes toujours prêts à conclure une affaire en levant le coude. La table était la seule pièce de valeur à avoir échappé à la folie des années 50 qui régnait ici en bleu suspendu au-dessus de la pierre à évier. Un design de formica qui vous prenait à la gorge. Contre le mur, le buffet au ventre rond, les portes tarabiscotées aux angles d’un entrelacs de feuillages, complétait le mobilier. On avait retrouvé son confiturier assorti défiguré d’un grillage à poules dans son mausolée de fientes à côté de la cabane à outils, une manœuvre du vieux qui n’avait aucun goût pour l’Art Déco. « Ça coûte des sous aux Puces, ces trucs-là ! » répétait Jacqueline éplorée par un tel désastre. Au centre de la partie haute du buffet, plusieurs générations étaient figées en costumes de mariés ou en maillots de bain. Tous ces clichés, témoins des grands événements familiaux étaient coincés pèle-mêle entre le bois et la vitre du meuble. Sur la tablette de marbre vert, un poupon braillait dans les bras d’un grand-père décharné mais ravi dans un cadre entre le sucrier et le cendrier du défunt Magloire Andrieux, le père de Fine et d’Emile qui avait cherché la sienne de gloire sans la trouver en montant à la capitale. Fine s’était contenté de trouver l’amour dans les bras de Léon, un lyonnais qui avait fait ses classes dans le Vivarais. Loin des pièges à touristes, on s’ennuyait ferme à Issanlas. Le marché du lundi attirait quelques habitués venus échanger quelques ragots contre un sachet de châtaignes. Puis on se réunissait au bar-épicerie en attendant le passage du car, l’attraction du village. Un unique chemin de terre creusé dans une friche d’ajoncs et de bruyères bordée de tourbières menait sur la colline. C’est comme ça qu’ils se retrouvaient depuis bientôt vingt ans avec femmes et enfants au mas des Perdus. Léon arrivait de Lyon et Emile, son beau-frère de la proche banlieue parisienne. Sur ce haut monticule, pelé à son sommet, il y a deux cents ans, on y avait pendu un paysan et son cochon, jugé pour avoir détroussé un abbé que l’animal aurait dévoré. Pour oublier cette malheureuse histoire, on avait construit une bergerie à l’emplacement du gibet. De pendus aux perdus, il n’y a qu’une jambe qu’on estropia au fil du temps pour le repos de l’âme de ces villageois qui n’avaient pas attendu le juge qui ne vint jamais pour exécuter les coupables. L’animal finit dans les jarres de sel tandis que son maitre se balançait au gré du Mistral. L’abbé qui revint quelques temps plus tard, leur donna l’absolution par deux coups de goupillon. C’est ainsi qu’on enterra l’affaire et le pauvre paysan en terre chrétienne. On digresse, on digresse, revenons donc à nos cochons pressés de soulager leur vessie. C’était le rituel après le premier repas des retrouvailles. Les enfants allaient se coucher, les femmes faisaient la vaisselle et les hommes sortaient pisser. Léon écartait les deux boutons du milieu, ça suffisait amplement pour libérer son humble attirail quand Emile faisait glisser la fermeture éclair sur une nature généreuse qu’il attrapait d’une main ferme. Le parisien plaisantait sur les boutons de Léon : « Toujours à l’ancienne ? Ça doit la contrarier Ma p’tite sœur qui n’a pas de patience ! » Et le Lyonnais avec son accent hérité des canuts, répondait: « je n’voudrais pas la coincer dans ton rail, c’n’est pas pour me vanter mais c’est ça qui la rendrait triste ma Fine que ça aille trop vite ». Le coursier de la préfecture caressait son appendice entre le pouce et le majeur. Son vieux frère d’arme était bien là. Eux seuls connaissaient toutes leurs héroïques conquêtes, conquêtes d’avant son mariage car depuis, la Jacqueline veillait sur ses propriétés. « Le vermisseau n’a pas grandi depuis qu’on s’est vu ! » ricanait sans méchanceté Emile. Léon sans jalousie, se demandait quand même si les femmes se causaient de ces choses-là. Il se rassurait intérieurement, se disant que s’il n’avait pas les bons outils, il avait le don et que la Fine était suffisamment éprise pour ne pas le dénoncer ! Ils arrosaient copieusement les épineux emmaillotés de ronces dissertant de concert, quand les deux complices virent en contrebas, des lueurs flottant sur la brume montant des eaux saumâtres.

La Confrérie des Couards<br />
<br />
Première partie


Poème posté le 18/07/14



 Poète ,
 Interprète
Ann



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