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Salus
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Posté à 15h29 le 27 Jul 19

Suite à une suggestion d'Obofix, je transfère cette étude depuis la rubrique "Textes longs" jusqu'ici, où il semble qu'elle soit plus à sa place...


Dessin de couverture : Mazyn

PPPF N° 1

- La poésie impréhensible -

Comme j’ai cinq minutes et un texte en suspens, profitons pour ouvrir une rubrique, de bric
et de broc, comme d’habitude, écrite au débotté...mais le mieux possible, promis !
Vous qui avez suivi les « Gloses », savez à peu près à quoi vous attendre, les autres n’ont
qu’à essayer.

A ceux qui liront ça, il sera demandé par avance de tout pardonner à l’auteur, lequel ne
cache pas qu’il espère ainsi s’en tirer à bon compte, notamment en ce qui concerne moult
assertion subjective qui ne peut que fatalement désigner le nombril de celui qui écrit ; ce
qui est bien, c’est quand ça ne se voit pas trop !

Ainsi, nous disserterons, dans quelque prose tout émaillée de vos pertinentes remarques
(Si, si, on doit bien écrire : « tout émaillée ! »), de vos réflexions sagaces et de vos jets de
pierres et de bile, nous disserterons de la chose poétique vue de l’autre côté du rideau,
dans les machineries mêmes, aux ateliers de fabrication, aux forges, aux creusets, nous
glisserons le concept entre le marteau et l’enclume, déferons plis à plis des rimes
damassées, et vous verrez que loin de perdre son mystère, tout ça ne sert que pour laurer
cet hémisphère, l’autre côté d’un monde à toujours inventer…

Par un opportunisme cynique qui m’est hélas coutumier, je vais commencer par citer
quelqu’un d’autre, c’est toujours ça de gagné !
Et puis il faut bien reconnaître que, concernant cette rubrique dont je m’ouvris du projet,
jadis, en quelque e-mail, la réponse de mon ami Guy Menu*, sa modestie dût-elle en
souffrir, comportait de fort concises choses, je vous en livre deux, pour le moins
pertinentes :
« (…) la métrique, la rime, le hiatus, la structure du vers,... et comment arriver à une
déstructuration qui respecte les bases de la structure (…) »
Dixit ! moins l’azur, c’est une définition d’un rouage majeur de « l’impréhensible »
Et celle-ci, avec laquelle il referme une gigantesque parenthèse :
« (…) et tout ce qui ne s'apprend pas, la touche de folie, de grâce, de lumière, qui met le
verbe au milieu de tout et emporte en quatre mots (…) »
C’est beau, on dirait du Mozart !

*Célèbre anonyme, XX – XXI après

Pour ajouter la rouerie à l’ellipse,
En écrivant le titre, on finira !
Et reprenant la rime, etc.
J’arrête là cet énervant supplice…

Ce seront les :
PETITS PRECIS DE POETIQUE FORMELLE*

*Titre garanti sans contrepèterie

A plus,
Salus



PPPF N° 2


Petit Précis de Poétique Formelle

Seconde fournée.

- Résumé : L’auteur, toujours faraud, a réussi à arnaquer le premier épisode !
Mais il va falloir s’y mettre…

– Les préceptes, affirmations catégoriques et vérités assénés sont tous (on devrait au
regard de la majorité féminine, dire « toutes ») de ceux qui font tourner « l’impréhensible »,
machine folle emballée dans l’infiniment vide, explorant en aventurier acharné les
multiples scarifications pratiquées dans la trame du réel par la poésie, et plus
particulièrement par le Symbolisme, outil perfectionné qui s’adapte à la porosité du plan,
fonctionne sur plusieurs niveaux, est susceptible de se thixotroper (si, par adjonction de
synecdoques colloïdales, par exemple), et dont le cristal, ductile mais résistant, possède
un nombre infini de facettes… ça fait rêver.

Cela étant, commençons par survoler, au hasard de l'inspiration, quelques de ces
rouages, partagés ou déduits du classicisme, où s'astreignent, dont dépendent, ces vers
nouveaux ; il pourrait être judicieux d'introduire par un florilège d'exceptions variées telles :
hier, hiatus, Iambe, hyène, oui, amour ...il doit en traîner encore une ou deux, en ce
bouquet, si ça me revient, je vous en parle !

- Hier - suivant la disposition des mots, la musicalité du vers, sa tessiture, les phases de la
lune et la forme des nuages (attention, JAMAIS selon le bon vouloir du scribe ni pour son
confort !), hier se prononcera en diérèse, ex : « T’en souvient-il ? – C’était hi-er ! »
ou en synérèse : « Hier, mort ! Mais aujourd’hui ? - pareil ! »
(notez le côté brutal de la monosyllabe, qui en rajoute!)

Exergue :

La référence de l’impréhensible, c’est la règle classique ; si vous regardez attentivement
autour de vous, et même, chantres, à l’intérieur - de vous – vous verrez qu’en poésie, celle
qui comporte des vers, c’est à dire avec un retour requis à la ligne, la règle classique est
comme l’étoile polaire, elle indique une immuable direction, elle est dans l’axe littéraire !
Écoutez la radio, la chanson la plus mauvaise, la pire des bluettes, rime !
- ou tente de le faire – inversement, prenez, je ne sais pas, un poème de Marine Laurent,
bien qu’elle se défende de toute technique, on voit qu’elle maîtrise la versification ;
simplement (!) elle, elle se situe au-delà !
Mais ses textes sont truffés d’octosyllabes parfaits, d’allitérations savantes, de rimes
artistement approximatives !…De la technique, elle a digéré, quant à son style,
suffisamment de pourquoi et de comment, et ne s’en sert plus que « d’amer » (point
repérable sur la côte, en navigation) pour un voyage poétique libéré de la contrainte
formelle…

- Attention ! la contrainte informelle peut être encore pire !
- Écrire « n’importe quoi », ça ne marche pas, c’est nul.
On a mis plus de mille ans pour forger cet outil merveilleux d’ingéniosité, d’équilibre et de
logique, et ce n’est pas fini ; cessons de considérer la versification comme une entrave ;
c’est un guide !

Fin de l’exergue, qu’on ne confondra plus avec épigraphe, qui désigne une « citation
placée en tête d'un chapitre, d'un livre, sur le fronton d'un temple, etc. »

Que dit « la Règle » pour « Hier » :
"hier" autrefois s'employait en une seule syllabe. Depuis Boileau, il en compte deux, sauf
avant-hier qui s'est maintenu avec une seule syllabe.

Mais la versification, qui demeure un exercice mémoriel de précision de la langue, est
possiblement – et fatalement – ambiguë, ainsi, et selon Matthieu Segui, autre source
autorisée : « (…) le seul contre-exemple apparent connu est celui de l’adverbe hier,
d’abord généralement "synérèsé", puis tout aussi généralement "diérèsé" (chez Racine et
Boileau par exemple), avant d’exhiber une variation apparemment libre entre les deux
syllabations (ainsi chez Hugo). » …et chez moi !

Rappelons que les sons « i-é », précédés d’une consonne, se prononçaient tous, jadis, en
une seule syllabe, et ce contre la logique même de la règle classique, qui se justifie, en ce
qui concerne les diérèses, par un rappel (mémoriel) à l’étymologie, que l'impréhensible
affectionne mais condamne pour « rigidité phonique » - prosodique, donc.
La spécificité de la langue étant à la fois l'écueil du sens et la beauté musicale de la
poésie, à quelques exceptionnelles et géniales traductions près, on peut étendre le
raisonnement et en déduire que privilégier la prononciation vernaculaire est une possibilité
logique, quand rien de vraiment universel n'a jamais été atteint sur le sujet.
Pétrarque était italien, sa musique est dialectale (Toscane)
L'impréhensible, vauclusien, a croisé le premier en Avignon !
(Nota : Le parler du Sud-Est de la France respecte plus souvent les diérèses
étymologiques que partout ailleurs dans le pays ; cependant, et pour leur élégance, on
conservera les synérèses.)
- L’arrangement pur et simple est inadmissible.
Pour exemple, l’on prononçait encore, du temps de Louise Labé, Sanglier en deux
syllabes, grief en une seule, etc. (essayez, pour voir !)
- Hiatus, Iambe et Hyène, leur exception, c’est plutôt une question d’élision ; selon moi,
l’on pourrait choisir, à son gré : « le hiatus », ou « l’hi-atus »,
« la hyène », ou « l’hy-ène » « Le iambe », ou « L'i-ambe »
(on peut rajouter « la ouate » ou « l'ou-ate », « le ion » ou « l'i-on » et si vous en trouvez
d'autre, vous gagnez un caramel !)
Mais ces hiatus-là (et non ces ziatus !) ne sont point fautifs, au contraire ! leur particularité
crève les yeux : « La ouate, hiatus admis » (lawate yatusadmi) (heptasyllabe cohérent)
Essayons à l'envers : « L'ou-ate, hi-atus admis (louwati atusadmi) ( heptasyllabe
incohérent)
Etrange ? Etrange...
…Et je dirais que l’Académie préconise l’élision ; mais attendez que j’y entre, à
l’Académie !
Car à élider, fatalement, l'on liaisonne, et penser qu'on pût, en vers, écrire ''des zi-ambes'' !

Et puis, il est des mots qui sortent de tout contexte d'usage, et qui demandent la réflexion
d'un ressenti indubitable ; et, s'il prononcera, par respect pour la logique de la lettre,
« anni-hiler », le vers impréhensible se contentera d'une voyelle longue pour « Graal, ou
Baal ».

Note :
(Lorsque, comme suit, des vers sont cités sans nom d’auteur, c’est que ce sont les
miens !)
Parfois point la nécessité d’une exception, d’une entorse qui s’impose d’elle-même :

Plutôt qu’aimer la farce infâme
Qu’un semblant littéraire oint
(Il faut parfois n’élider point)
Nous préférons nous fouler l’âme !

(Tiré de « Vierge Orée »)

Nous trouvons une équivalence du procédé dans un vers des « Oiseaux de passage »,
monument poétique, d'un classicisme rigoureux, de Jean Richepin :

Elle a fait son devoir ! C'est à dire que oncque
Elle n'eut de souhait impossible, elle n'eut
Aucun rêve de lune, aucun désir de jonque
L'emportant sans rameurs sur un fleuve inconnu.

Ce quatrain, comme l'ensemble de ce long poème, est une merveille et c'est le ''e'' dur du
mot ''que'' qui justifie ici le hiatus, lequel, heurt sonore puissant et particulier, se doit rare,
mais l'est moins qu'il n'y pourrait paraître (Blanc et noir, un joug atroce, etc)

- Pour revenir à l’élision, celle, normalement autorisée, avec « oui », sera, sauf
dérogation justifiée, proscrite dans la versification impréhensible, voici un contreexemple
légitime :

La poésie est solitairE,
OUI mais parfois,
Une élision louche déterre,
Au vent le froid
Du désir de lire et connaître,
- Au prix d' effrois !
La pensée au coeur de quelque être
En qui, je crois,
Se peut cacher un Baudelaire,
Un chantre adroit !
(...)

(Dans « La recherche des voleurs de feu ») Regardez bien, ce sont tous des alexandrins
déguisés, il faut les lire sur deux lignes !) et l'élision y est décrite en toutes lettres
(marquée ici en capitale). Bien évidemment, nul texte ne demande de comprendre ni de
traquer ce genre de détail, qui cherche, plus que tout, une simple fluidité dans l'oreille
interne du lecteur.

Au niveau formel, bâti sur le principe de la régénération cellulaire du mythe, le corpus
d'affects qui constitue l'ensemble de la mécanique empirique propulsant cette poétique en
perpétuel devenir, multiplie les engrenages et les différentiels, forcé par la cinétique et le
principe d'Orphée d'innover avec une rigueur nécessairement parnassienne, dans un
contexte poétiquement ambigu, noir et jaune, sensuel, musical, romantiquement onirique...

- Quant aux soi-disant « libertés diérètiques » de la versification salucéenne, le moindre
examen un peu sérieux vous convaincra qu’un mot prononcé retrouvera toujours, en
d’autres occurrences, le même nombre de syllabes, celui du parler du Sud-Est– sauf
exception motivée par une raison compréhensible :

J’ai déguisé mon priapisme,
J’eusse été nu, m’aurais-tu duit ?
Et comment l'eussé-je déduit,
Sans la diffraction du prisme ?

Tiré de « Mensonges et rêves », contrairement à mon sabir habituel – et vernaculaire - qui
devrait prononcer le mot en synérèse, on lira :
« Di-ffrac-ti-on » - Pourquoi ? Le sens même du mot l’exige !

Puis, en ce qui concerne le mot « amour », chacun sait que le pluriel en féminise l’emploi :
« Un amour malsain, des amours malsaines »
Mais des générations d’aèdes, et non des moindres, s’étant permis absolument n’importe
quoi avec ce mot, et avec raison, puisqu’il recouvre absolument n’importe quoi, toute
licence s’ouvre désormais aux poètes, qui prendront garde, toutefois, de ne pas sombrer
dans le ridicule !
Ils se méfieront aussi de ces rimes fatales : Amours / Jours / Toujours, considérées
comme éculées par la poésie classique - elles le sont, et ce depuis des siècles !
(Il n’est cependant pas interdit de tenter de rafraîchir ces rimes par une occurrence
particulièrement originale ; j’y ai moi-même joué, avec plus ou moins de bonheur, mais, là,
je ne retrouve plus le texte, tant pis !)
La prochaine fois ?
Ben…on continue !

Salut,
Salus !

Relativement au sujet, lire « Louche Mage », je m’y explique, en vers.

PPPF N° 3

Troisième épisode des

« Petits Précis de Poétique Formelle »

(Rubrique à périodicité vague, pleine d’idées et d'extravagances morphologiques)

- Résumé :

Le magistère opaque, en son instance épique,
Étarquait comme un foc l’âpre obédience éthique,
Et dans l’air qui serait plus qu’un sublime gaz,
Griffait le sylphe avec le reflet de ses strass.

Vous y êtes ? - Embrayons !
L’impréhensible prône la rime savamment approximative dans un flux émotionnel le plus
pur et le moins visible possible (sauf quand c’est justement l’inverse).
- La poésie réfute la facilité, même et surtout quand elle en a toute l’apparence
(voir Paul Fort, par exemple)
- La part majeure sera donnée à l’inconscient, sans tomber dans la chausse-trape d’une
soi-disant « écriture automatique »
- Comprendre un poème n’est pas une nécessité absolue, pour l’aimer ; mais tout poème,
hors fatrasie (où justement, c’est le contraire !), devra être, hypothétiquement et
techniquement, compréhensible, le langage ne gagnant pas à se passer de sens (ainsi,
nous tiendrons la fatrasie pour une jolie petite impasse) ; à l’inverse, et c’est extrêmement
difficile à faire, une langue pleine de sens peut se passer de musique intrinsèque, et ne
garder que la force de l’idée, la pureté d’un concept, l’âcreté d’une émotion ; René Char,
qui savait le génie aride du vide, et qui, s’il l’utilisait rarement de manière classique,
maîtrisait parfaitement la versification, s’est adonné, presque voué, à l’exercice, et nous a
rendu des pages parmi les plus belles de toute l’histoire de la poésie, acérées,
vertigineuses de nudité, et d’une déchirante et violente vérité…
…Et, bien contre son gré, le pauvre, il a entraîné dans son sillage d’espadon solitaire tout
un banc d’alevins bruyants et braillards, d’une affligeante modernité, qui ont partout
essaimé, couinant que la poésie ne devait plus rimer et qu’on pouvait se contenter, sans
rien apprendre ni comprendre, d’écrire n’importe quoi en se haussant du col, si l’autre ne
voit pas le génie, c’est que l'autre est nul !
(Se reporter au texte péremptoire autant que prémonitoire de l’impeccable parnassien
Leconte de Lisle « Aux modernes »)
- L’exception étant l’indubitable marque des sages et des monstres, l’impréhensible
tentera d’autant plus de gagner en maîtrise classique qu’il en sabotera sournoisement le
vernis, instillera le vers dans le fruit, coincera la césure entre chair et ongle, etc !

- La structure cristalline du système sera soigneusement préservée, étant considérée
comme une réussite en perpétuel devenir, un prodige de subtilité et d’intelligence
dynamique.
- Ce n’est pas parce que « on n'y comprend rien » que ça ne veut rien dire !
Il en découle, pour en revenir au début de l’exposé, que les « rimes idéales » ne seront
point celles que nous donnent les manuels en citant immanquablement le très ennuyeux
La Fontaine, dont on reconnaîtra à regret les qualités grammaticales, la technique et le
prestige, mais bien plutôt celles-ci, qui se doivent évidemment exceptionnelles :
astringente / intelligence ! (La plus belle des trois !)
Ou encore : attendre / septembre !
Voire une vraie rime au timbre inversé : ça plisse / Sulpice ! (Sévère, cinquième siècle)
Cette forme de consonance, où le rappel décalé de la note, comme le son « in » dans le
premier exemple, contrebalance l’absence d’homogénéité du son final,
la presque similarité des phonèmes (tendre / ptembre), dans le second,
ou l’inversion d’une demi-syllabe dans le troisième (pli / lpi),
rajoute, sans dépareiller, à la richesse et à la variété de la rime ; le petit gouzi-gouzi qui
nous chatouille le cerveau à leur lecture est censé être un plaisir…Mais des esprits
chagrins et pisse-froid vous soutiendront le contraire !
- D’une façon générale, on respectera scrupuleusement la coïncidence des lettres
finales, ou de leurs équivalences judicieusement autorisées, ainsi que, mais de manière
moins rigoureuse, les consonnes d’appui – ou leurs équivalences - consonnes dont nous
étendrons l'emploi jusques aux rimes en ''té'' et ''dé'', justifié d'un certain parallélisme :
''gare aux dès / garrottés'', par exemple, et, toujours dans le souci prudent d'une
promotion des occurrences, on rajoutera le ''m'' et le ''n'' en appui, sous couvert d'un
anagrammatique jeu musical (Aminé / Animé) ou d'une importante similitude (Sa douce
haleine / Tout ça l'aime), plus, s'ils n'y sont déjà, le y et le i en finale (Lorelei / trolley), tout
en s'autorisant derechef les délices de rimes truquées comme :
''Conférencier / Confiance hier'' ou ''Mastaba" avec ''Mais, basta !'' par exemple.
Dans le même ordre d’idée, quoique d’une fréquence beaucoup plus rare – on peut dire :
rarissime ; nous mènerons toujours la quête ingrate et désolée, la recherche quasi-stérile
du « hiatus justifié » véritable trèfle à quatre feuilles littéraire, il ne m’en est pas échu trois
sur plus de 1000 poèmes !
(sis au dernier épisode - nous parlons de versification - le hiatus (ou l’hiatus) : « Qu’un
semblant littéraire oint », en octosyllabe, sera plutôt vu comme se glissant au « défaut de
l'armure » de l' élision, perle également introuvable, mais d’une nature légèrement
différente) ; Donc, exemple tiré de « Antique », que vous ne devez pas encore connaître,
si je ne me trompe :

A Ephèse où l’on baise
Le grand pied d’Artémis
A Ephèse où l’on baise
Sous les blancs tamaris
Aérienne et carmine
Comme guêpe aux agapes
La vestale achemine
Ses rondeurs et ses grappes
(……..)

(Vous noterez le côté cryptonyme de la vraie fausse rime "Artémis / tamaris", ainsi que la
nuance de sens qui atténue la répétition – proscrite à la rime – du doux mot "baise")
Le hiatus « A Ephèse », répété, trouve sa légitimité dans le premier mot du quatrain
suivant : « Aérienne », c’est le rappel sonore, à la base de toute musique, qui le justifie,
voire l’impulse rétrospectivement ; attention, il ne s’agit pas de chercher, tel un chien
truffier, lesquels mots pourraient bien, ensemble, contrarier la règle !
Non, il est question de créer, dans l’inconscient – ou le conscient - du lecteur, un effet
« d’étrange réalité » comparable aux touches de pinceau des impressionnistes ; on
comprend ou on ne comprend pas, mais ça doit marcher ! - De la musique, vous dis-je! -
De plus, et de même que le classicisme admet logiquement le « e » muet dans certaines
expressions « toutes faites » (à tue-tête, en queue de poisson, un pue-la-sueur...) nous
accepterons le hiatus dans « à tu et à toi, peu ou prou, alea jacta est, etc. »
Dans une veine parente et malgré l'incompréhensible laxisme de la versification, nous
censurerons quant à nous les mariages malvenus des mots finissant par les sons in, an,
on, un, et leurs nuances dues au « m », avec une suite débutant par une voyelle, et ne
produisant pas une liaison naturelle (nous y reviendrons) : « Un âne » oui ! (un nane)
« un bourdon inconnu » non ! (un bourdon ninconnu) Ces liaisons seront acceptées, sans
les faire, dans les expressions « valises » qu'on considérera, nous venons de le voir,
comme des mots composés à part entière, ainsi, nous pourrons écrire : « entre chien et
loup » par exemple et sans frémir !
Où l'on devine, dans la culture, l'importance hélas trop temporelle de l'us...
Cependant et sans vergogne, nous profiterons de toutes les occurrences qu'il nous offre,
l'usage, quant aux mots trop incongrus à liaisonner : plomb, blanc, gland, etc.
N'oublions pas que la poésie s'écoute, se regarde, se ressent, s'entrevoit, se chante...
Et que la littérature se doit une forme supérieure du langage !
On peut aussi attaquer de front :

Hiatus
( létal !)
Voué à Éole,
Alloué aux ailes
Des zéphyrs élus,
Azurés ;
Le rêve bref de brèves Eves
Imaginaires
Est le trou d’air de cette ivresse
Où Dieu s’éthère

On finit là dessus ?

Prochain épisode :

"Le retour de l’anaphore dans les procédés oscillatoires de sinuosités ricochant"

Chouette, c'est la récré !

Merci,
Salus.


PPPF N° 4

Un copain ayant mis à jour le côté bassement thésauriseur du stratagème consistant à
peupler l’espace des « commentaires » d’autre chose que – justement – des
commentaires, vous recevrez désormais, en toute honorabilité (ah ! la presse sous le
manteau !), votre rubrique préférée, qui sent le nard de vos nuits blanches, comme aurait
peut-être dit Nougaro…
Il s’agit évidemment du quatrième épisode des « PPPF »

Petit Précis de Poétique Formelle

(Où l’on tentera de parler musique)

Les monts d’un massif qui s’érode,
Figure inverse aux volutions,
Lentement, comme on clame une ode,
Du poème et de ses fluxions :
A la torchère des trochées,
L’hexamètre nous brûlerons !
Dans nos rimes, ainsi torchées,
A la gloire des Luberons.

La prosodie est la partie sonore du texte lyrique, si je synthétise les longs articles de mon
dictionnaire préféré (dictio, onis « action de dire, propos, mode d'expression »),
Je trouve ceci :
− METRIQUE : Ensemble des règles de versification qui concernent la quantité des
voyelles, les faits accentuels et mélodiques, surtout en grec et en latin (d'apr. Mounin
1974).
− LINGUISTIQUE :
1 Étude de phénomènes variés étrangers à la double articulation (signifiant / signifié) mais
inséparables du discours, comme la mélodie, l'intensité, la durée, etc. (Mounin 1974).
2. [Pour certains linguistes américains ou de l'école anglaise] Segmentation de la chaîne
parlée selon des traits relevant habituellement de la phonématique mais qui affectent des
unités plus étendues que le son minimal (d'après Mounin 1974).
− MUSIQUE : [Dans le chant, la déclamation musicale, les récitatifs] Ensemble des règles
concernant les rapports de quantité, d'intensité, d'accentuation entre la musique et les
paroles.
Merci à Mounin 1974…

Ainsi, il y aurait une musique dans et propre aux mots, et celle-ci, soutenant ou contrariant
le sens, le peignant « d’inanité sonore » (Mallarmé) ou des riches atours de beautés
sépulcrales, serait même l’axe autour duquel – De la musique avant toute chose –
(Verlaine), tournerait le vers…
Et même à la nier, voire avec génie, tel René Char proférant :
« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil. »
Mauvais alexandrin de 18 syllabes, ne sonnant pas, mal rythmé, prosodie exsangue,
MAIS !
Toute cette indigence calculée soutient admirablement l’aphorisme, d’une portée
philosophique et symbolique démesurée…Un géant, celui-là, et courageux résistant, s’il
vous plaît !
… Et même à l’ignorer bêtement, comme trop de chanteurs « à texte » (sic),
La musique est là ! Parce que la musique, c’est avant tout la parole, le son de notre voix,
celui de la nature, le crincrin du grillon qui chuinte de silence et de chaleur, et les effarants
grondements sourds des océans brisant aux récifs leurs langueurs infinies …
L’allitération, l'assonance et la contre-assonance, sont des outils prosodiques majeurs,
internes au vers, dont il faut user, et même abuser, mais dont on se méfiera toujours, car,
truffés de pièges démoniaques allant du ridicule jusqu'aux hauteurs fermées, parfois
poétiques, d’un Boby Lapointe, ce sont aussi des outils sournois et dangereux comme une
meuleuse d’angle, ils vous sauteront des mains, voire à la gueule si vous les mésestimez.

Tentative directionnelle :

Contre-assonances

Elle avançait, main dans la poche
Avec un déhanchement louche
Fort fascinant
La rue entière était son fief
Et chaque admirateur un serf
Officiant
Comme au culte d'une déesse
Prêtre d'un cul qu'une idée anse
Au firmament !
A la dérobée, aux regards
Biais, elle tut d'un air retors
Sa face altière
Et toisant tout ce petit monde
Bloqua la foule qui se scinde
Et qui soupire !
Les militaires trop moqueurs
Les goguenards de basses moeurs
Et l’hétaïre.
Mais si fermé qu'on puisse l'être
Roulant des appas de ministre
Devant les gens,
Quand on est si belle que ça
Et qu'on rend l'homme un peu gaga
Et fous les sens
Mieux vaut se tenir sur ses gardes
Pour éviter toutes les guerres
- Et les enfants !

Outre ce que l'on en peut penser, on notera qu'une utilisation structurelle de la contreassonance
(dans ce texte presque systématique), crée une musique cohérente, d'un
équilibre parallèle à celui de la rime ! Une vraie trouvaille, qu'on attribue, peut-être un peu
vite, à Tristan Derème, génie méconnu. Laforgue, autre éfrit de la Muse, s'y est adonné
avec brio dans « Lunes en détresse », petit chef-d’oeuvre ciselé, mais la Lyre use depuis
toujours de ces cordes, procédés qui sont la base même du timbre poétique, simplement,
ça se passe à l’intérieur du vers !
Ainsi, dans un registre tout de pudeur et de tonales discrétions, d'accords parfaits tissant
leur mélopée sous-jacente, lisons Gérard de Nerval ! (rassurez-vous, c’est un pseudo), cet
immense poète force le respect par la simplesse apparente et le dénuement inconcevable
de ses vers, sa prosodie est d’un éclat, d’une si humble pureté, qu’elle semble refuser
toute technique !
Offrons-nous « Avril », puisqu’au moment où j'écris, son rayon m'entre par la fenêtre!

Avril

Déjà les beaux jours, - la poussière,
Un ciel d'azur et de lumière,
Les murs enflammés, les longs soirs ; -
Et rien de vert : - à peine encore
Un reflet rougeâtre décore
Les grands arbres aux rameaux noirs !

Ce beau temps me pèse et m'ennuie.
- Ce n'est qu'après des jours de pluie
Que doit surgir, en un tableau,
Le printemps verdissant et rose,
Comme une nymphe fraîche éclose
Qui, souriante, sort de l'eau.

Je suis extrêmement admiratif ; la musique est parfaite, il n’y a pas un son plus haut que
l’autre, le sens en prend une dimension dantesque !

Hélas, évidemment à la traîne, l’impréhensible, s’il travaille et recherche tous azimuts, et
bien sûr dans ces directions qui ont indubitablement fait leurs preuves, est plus porté au
funambulisme :

La fin

J’ai la faim, c’est la fièvre
Séraphins éphémères
Sous la pierre, assassins !
N’ai jamais aimé
Toujours ai menti
Amour j’aimantais
A Colombine
La nymphe aux limbes
Lymphe de l’âme
A Vénus
Où nue Eve
M’est venue
Au vent
Violent
Miaulant
Rouge
Sang
Noir
Ah !

Sans parler de ce texte, qui joue sur l’allitération plus que sur la rime,
l’impréhensible, à contre-courant du classique, comptera pour acceptable, et le cas
échéant, privilégiera les rimes vocaliques, normalement prohibées, entre les sons ouverts
et les sons fermés :
o / au / ô / é / ai /, etc, mais en respectant la similitude finale, ainsi : « ivraie / livrée »
(gamme rimbaldienne) nous restera agréable, et de même pour les rimes
consonantiques comme :
« des paons / dépends », et celles accolant, au delà d'une savante déformation,
synérèse et diérèse, telles « dahir / eider » ou « grief / bief »
(à noter que « grief », qui représente la première syllabe du mot latin « gravis », grave, se
devrait, par respect étymologique, prononcer en monosyllabe, ce qui, aux essais,
s’avérera problématique ! - mais peut-être prononçait-on « gref »)
Dans un égal souci d’éclectisme esthétique, nous privilégierons les équivalences
consonantiques jusqu'à l'intérieur du vers, et la rime, riche et diffractée, cherchera
l’échappatoire :

A débattre : un lai torsadé,
Allitéré, dont le prix stagne ;
Vers faussé, ce petit tag me
Paraît valoir être bradé !

(Petits quatrains d'annonces)

Ainsi, nous élargirons le chant des possibles ; de multiples occurrences s'offriront à la
Muse, et la musique gagnera en nuances ce qu’elle peut sembler y perdre de rigueur.
Répétons-le, ça n’est pas dans la façon que réside l'inspiration, mais la façon peut en
aiguiser le fil, la parer, la servir ; l’art se peut, lui, en toutes circonstances :
« Je donnerais les vêpres magnifiques du Rêve, et leur or vierge, pour un quatrain,
destiné à une tombe ou à un bonbon, qui fût réussi »
…Seul Mallarmé est susceptible d’un pareil humour, dissous dans autant de flegme
poétique !
(Vous avez, bien sûr, noté les allitérations emmêlées et savantes entre
« vêpres / rêve / vierge » le son « i » qui traîne partout, et l’extraordinaire ellipse du sens
soutenue par le génial rappel de son légèrement aberré, même pas une contreassonance,
« tombe / bonbon » (!!!)
Bien sûr, certains éléments de la chaîne logique du langage ne sont qu’un résultat de
nous-mêmes, et vice-versa, tout n’est donc pas prévu ni calculé, plus à l’écrit qu’à l’oral, le
discours, comme la musique, s’invente, pour partie, « à mesure », dans celle (de mesure)
de ce qu’on a pu digérer de connaissances, d’intuition, de rouerie et d’azur...
Il n’est pas interdit, à l’écrit, de reprendre et de corriger, de peaufiner, de polir, ça dépend
du rendu que l’on désire.
Ne croyez pas mon but de survoler l’ensemble des règles et systèmes prosodiques, ce qui
nous ramènerait à une poésie scandée qui ne se pratique plus depuis mille ans – mais se
peut encore apprendre – même si la nôtre en découle, directement.
Je voudrais juste rappeler que le tempo, c’est le battement du cœur qui le donne ; la
musique, elle, est dehors…

Salut,
Salus.

P.S
Hésiode, 8ème siècle avant…

LES MUSES PARLENT :

- Nous disons beaucoup de mensonges
Tout pareils à la vérité…
Mais s’il nous plaît, la Vérité,
La vérité entière et pure,
Nous l’énonçons d’une voix sûre…

(Dans « LA THEOGONIE », vers 27 /28)

…Superbement traduit du grec archaïque par le « Jedi » (Marguerite Yourcenar)


PPPF N° 5

Comme prévu par les astres
Et tous les Nostradamus
(Entonnons des orémus !)
Voici, prestes Zoroastres,
Les « Précis », ces écrits nus,
Indiqués, par les cadastres,
Comme lieux des festes pastres
Sacrifiant aux Janus
D’ambiguïtés littéraires
Presque frères des Satyres,
Au son des fifres d'un gueux,
Flûtiaux, tambourins et danses !
- Les gambits et les sentences,
Vous seront – j’espère – jeux !


- Petit Précis de Poétique Formelle -

(Le sens)

Je suis fou comme mon frère le lapin, je cours dans la littérature, je creuse frénétiquement
ici, je grignote vite là ; pris de panique, je fonce à travers le touffu des phrases, jusqu’au
trou bienveillant de mon credo poétique, d’où je regarde ma part de ciel avec une sérénité
vigilante ; parfois, sous quelque lune amie, j’ai senti le vent de nuit chuchoter dans mes
immenses oreilles…

L’impréhensible, tous azimuts ?
Hé ! Non, pas tout à fait.
En fait, ce sont les multiples portes ouvertes par les symbolistes, les quelques déchirures
pratiquées par les surréalistes, et d’hypothétiques électrons libres, tels François Villon ou
Antonin Artaud, qui guident le tâtonnement nuageux de mes vers…
Le sens ? bien sûr, il est rigoureusement nécessaire,
mais il n’est indispensable que d’être !
La compréhension du lecteur ne se doit qu’une éventualité certaine ; il suffit que l’on soit
sûr qu’un sens existe, derrière le chaos apparent et sensible d’affects et de musique, pour
pouvoir apprécier, juger, frémir.

Analyse – exceptionnelle – d’un texte :

Les oiseaux

Le brin d’herbe sous la tourbe,
Simplissime germe encor.
Cimaise où l’amour s’embourbe,
Diaphane et sordide d’or,

Cette hébétude laurée
Se love en son Epinal.
Je t’aime et vole à l’orée
Des jours où luit ton fanal,

Tes fards promettant les aubes
Aux ports emmêlés de nuit.
Ma nature est dans tes robes
Et rien de toi ne me nuit.

Le brin d’herbe simplissime
Caducée aux impressions
Hisse l’âme sur la cime ;
L’abîme est scintillations


Le brin d’herbe, c’est le paradigme de la vie, dans ce qu’elle représente de plus humble,
de plus simple, et de plus têtu, le symbole autour de quoi tournera le texte, un moyeu, un
axe.
Le second couplet, et premier quatrain, décrit l’amour institutionnalisé, formel, civique : le
mariage (en « image d’Epinal », mais aussi à travers la représentation de la « cimaise »
(ornement sous-sommital d’une arche, par exemple), cette forme d’amour, toute sociale,
dans laquelle retombent presque tous les couples, contribuant activement à
l’établissement de ce monde par le remodelage infini de la même structure, cette forme
« d’amour », l’impréhensible la juge « hébétude laurée »
(des lauriers de la reconnaissance sociale ; le monde comme chaîne, avec le couple pour
maillon.)
Le deuxième quatrain, suivi du second distique, c’est l’inverse !
C’est l’amour vrai, parce qu’il est fou, prêt à tout,
prisonnier – consentant – seulement de lui-même, d’où le titre, dont l’évidente symbolique
doit voler à l’idée du lecteur !
Amputé en tercet, afin que pèse mieux le dernier vers, le troisième quatrain revient au brin
d’herbe, solitaire chose menue ballottée par le vent, mais véritable « caducée »
(Emblème d'Hermès, qui devint la marque des hérauts, des messagers),
et puis, vous savez, ces jolies images signifiantes que l’on voit, par exemple, au-dessus
des pharmacies…
Brin d’herbe, donc, apportant le message absolu de la vie…
Je vous laisse vous débrouiller avec le dernier vers, vous avez l’air doué.

Dans l'étude approfondie de tout possible ouvrant à la compréhension tactile et
émotionnelle du langage, testant les mètres et les maîtres dans de dangereuses
recherches inextricables, avec l'utilisation gratuite et réitérée, sans nécessités de
composition, de formules et de façons anciennes, voire moyenâgeuses, comme
d'anastrophes futuristes, de vrais-faux dodécasyllabes non césurés, mais avec élision du
retour à la ligne, et inversement (!), de syncopes inédites, de rimes hallucinées, internes,
suggérées, équivoques, de présentations tronquées, de formes tant rigoureuses
qu'apocalyptiques, d'agencements de contraintes tendancieux, décalant les sons et les
sens, refusant toutes les facilités, arrangements, compromissions, mélangeant les hymnes
et les rythmes, les isthmes et les schismes, à contre ou avec le courant, tenant
systématiquement compte de l'ensemble des règles de la versification, joyau sans cesse
étudié qui ouvre aux arcanes sonores, musicaux, signifiants, du discours, et de certains
ajouts drastiques comme de la justification des amendements pratiqués, usant
d'inconcevables stratagèmes (une strate à gemmes), écartant certaines diérèses, mais
privilégiant l'étymologie, et rejoignant à l'occasion des mots la stricte pureté formelle de la
poésie classique, qu'il prétend maîtriser, comme, à l'aise avec la contrainte diffuse, la
prose poétique non rimée, peu, mais cependant usitée, jouant, comme ici, de tous les
fascinants imbroglios de la langue, dont seul l'écrit est en mesure de présenter la
dimension alchimique, astrale, magique, l’impréhensible, entreprise universelle au chiffre
d’affaires que je vous dis pas, vise infiniment plus haut que les minables directeurs de
holdings, chefs d’État véreux, et autres petits mégalomanes ridicules, insignifiants
poissons baignant dans la fétidité tiède de leurs discours frelatés ;
l’impréhensible, s’aventurant sur la trace à peine marquée d’un explorateur exceptionnel,
espère, puisque celui-là - et celui-là seul - en a prouvé la possibilité, inciser à son tour la
trame du réel pour marcher de plain-pied dans les dimensions oniriques de l’équilibre de
l’oeuf !
Je parlais, vous l’aviez deviné, d’Arthur Rimbaud, nous finirons cette trop courte session
par une de ses magies alchimiques, qui défient l’entendement :

AUBE

J'ai embrassé l'aube d'été.
Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les
camps d'ombre ne quittaient pas la route du bois. J'ai marché, réveillant
les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se
levèrent sans bruit.
La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et
blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.
Je ris au wasserfall qui s'échevela à travers les sapins : à la cime
argentée je reconnus la déesse.
Alors je levai un à un les voiles. Dans l'allée, en agitant les bras. Par la
plaine, où je l'ai dénoncée au coq. A la grand'ville elle fuyait parmi les
clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de
marbre, je la chassais.
En haut de la route, près d'un bois de lauriers, je l'ai entourée avec
ses voiles amassés, et j'ai senti un peu son immense corps. L'aube et l'enfant
tombèrent au bas du bois.

Au réveil il était midi.


PPPF N° 6

LE PELICAN

Poussant l’abnégation jusqu’aux délires de l'auto-mutilation, l’auteur, arrachant de son
ventre béant les palpitations épistolaires, chaudes encore de ses remugles intérieurs,
propose de nouveau, de facto et de profil, un épisode tourneboulant et sixième, si je
compte bien, des désormais irremplaçables « PPPF »

(Petits Précis de Poétique Formelle)

Il se peut que ne soit pas de fond ;
Le néant même est plus que probable…
Je vois bien, mon idée est en sable ;
Des châteaux, c’est ce que les gens font ?

Or la forme est une chose stable ;
Et c’est ainsi que les choses vont ;
Et tous de voir, et qui rêveront,
Midi sonner sur leur propre table !

Bon appétit, ministres lecteurs,
Qui parfois sont sinistres licteurs,
Oui ! je devine, à travers ma feuille,

Silhouettes troubles et démons,
Tout ce staff noir que nous dessinons,
Que votre imagination recueille.

…Sur ce sonnet sans queue ni titre, nous attaquerons abruptement par une étude
métrique :
- Plutôt étrangement, Théodore de Banville, dont le nom est plus connu que l’œuvre, situe le
(Verlaine et d’autres, surtout La Tour Du Pin, que j’exècre, l’utiliseront)
Le problème n’est pas, comme toujours, d’obéir ou non à un diktat, le problème, ici, est de
dépasser l’alexandrin sans tomber dans la redondance rythmique, ou le jeu, par ailleurs
intéressant, qui consiste à accoler par exemple un octosyllabe avec un tétrasyllabe pour
former un dodéca...
vers français entre une et treize syllabes ; vous avez bien lu : y compris !

Extrait d’un impréhensible multi-syllabique en quatrains de 12, puis trois fois 15 « pieds » :

"Et de celle qui saigne ou de celui qui sème
Le reptile usage, éprouvant visage, ossuaire lent,
Qui récolte en son suaire de lin l’hymne somnolent ?
Filez deux à deux, ce linceul hideux où s’endort qui s’aime !"

(« Le spectre de l’habitude »)

Dans les vers longs qui précédent, le glissement « naturel » irait, pour ce texte, aux deux
césures sur trois hémistiches : 5 / 5 / 5
Ainsi, et jusque-là, car tout se peut, l'étude des vers au-delà de treize, voire de douze
« pieds » est au mieux un joli cul-de-sac…
On attend le découvreur d’un passage qui nous ouvre à l’exploration, envoyez vos
suggestions au journal.
Quittant rarement la cadence harmonique classique, mais affirmant péremptoirement
pouvoir dire ce qui lui chante (!) dans la forme exacte qu’il aura décidé, l’impréhensible
poussera l’exercice de la syncope dans ses derniers retranchements ; exemple :

Vide rythmé

La vie, ainsi, têtue, et qui passe,
Est mienne et vôtre, et celle de tous ;
Que n’avons-nous fait de cet espace !
Ci-contre, au grand jeu, de guerre lasse,
Aurions-nous gaspillé les atouts ?

Ça compte, un an ! Ça passe tout doux,
C’est tôt lâché, déjà j’en perds trace !
Tout être lucide, au froid des trous,
Hésite, recule et s’y fracasse ;
Ce sont, sans fond ni fin, des puits fous !

Ça vient, ça prend d’une sèche toux
Ou d’un secret qui mord et tracasse,
Des anges âgés, changés en jougs,
De l’aimé perdu l’amour vorace,
D’autres maux, d’autres morts, d’essais flous !

Le trou, profond, profond et sans grâce,
Inquiète, afflige - absorbe un de nous !
De te voir partir m’atteint, me glace :
Bien trop tôt ton tour ! Noirs manitous,
Croche-becs, planent rond, l’air rapace !


Séquences rythmiques :

Vide rythmé
Tati - Tati / Tati et Tata
Tati - Tati / Tati et Tata
Tatititata / Tatitata
Tatititata / Tatitata
Tatati / Tatati / Tatata

Tati - Tati / Tati et Tata
Tati - Tati / Tati et Tata
Tatititata / Tatitata
Tatititata / Tatitata
Tatati / Tatati / Tatata (Ce sont, sans / Entorse !)

Tati - Tati / Tati et Tata
Tati - Tati / Tati et Tata
Tatititata / Tatitata
Tatititata / Tatitata
Tatati / Tatati / Tatata

Tati - Tati / Tati et Tata
Tati - Tati / Tati et Tata
Tatititata / Tatitata
Tatititata / Tatitata
Tatati / Tatati / Tatata

O K ? (Ce sont des ennéasyllabes)

Mais, hors exercice, il y faut plus de nuance, une bonne musique sera toujours le résultat
d’un mélange savamment dosé entre instinct et rigueur, le rythme, entre les coupes, les
césures, le tempo intrinsèque des mots et le battement du sens dans la veine, le rythme
est une notion primordiale !
Jadis, la poésie n’était pas rimée, elle était rythmée !
La rime n’est une évolution que dans la mesure où une dimension se rajoute au lyrisme
antique.
Impréhensiblement, tous les mètres seront utilisés, y compris l’absence de syllabe, dont le
« trou » sera toutefois indiqué par une ponctuation forte ;
exemple tiré de « Spagirie » qui parle justement de ça :

(…)
Régisseurs, agençant les sons et les mots,
!!
Vous déformez en ovale onze au son faux.
?
Aux alexandrins, la voie ardue est ouverte :

Ni d’yeux ni mètre aveugle, au pire en pure perte !


Ah, la ponctuation !

Glissons vers ce sujet connexe, vous savez que je suis payé à la ligne, il en manque un
peu pour les azulejos de la piscine…
La ponctuation est une partie intégrante du langage ; ce point-virgule, par exemple,
marque l’entrée de la présente digression, ce signe fort (double) peut aussi faire office
d’un « deux-points » un peu adouci.
- Voyons ces vers , tirés de « Cautèle céleste » :

(...)
Où l’arc en fiel lâche ses traits,
Le poète est censé se taire ;
Silence atone aux doux attraits…
(…)

Hein ? on pourrait presque poser deux points, après « taire », ce serait, disons, plus
brutal !
(A noter que, dans ce cas, les trois points de suspension du vers suivant perdraient de leur
Chaque fois que possible, c’est à dire chaque fois que l’ouverture au sens n’est pas
gênée, l’impréhensible, tel que nous l’a enseigné, par exemple Apollinaire, qui en exagère
parfois le non-usage, l’impréhensible se passera de ponctuation.
Or, les bonnes occurrences sont rares ; on pourra aussi tenter de la simplifier, la réduire
aux signes « forts » (doubles), se contenter d’une seule virgule, dans un texte où elle
apparaît indispensable, la décaler savamment (l’exclamation peut, notamment, parfois
prendre avantageusement place dans une phrase interrogative, lui ajoutant quelque
nuance théâtrale :

Et comme aux volontés du poison des crotales,
Serais-tu mort ! que tu t'étales...

Pour ardue, l'étude est pertinente, et concerne nos rouages internes les moins
visibles, lesquels semblent réguler les nuances d'expressions les plus subtiles...
La ponctuation est l’équivalent littéraire des muscles du visage, qui soulignent une
affirmation ou un doute, des mouvement des mains, étayant quelque furieuse profession
de foi, de la tessiture de la voix, montant crescendo dans les aigus ou s’évanouissant en
points de suspension…
La ponctuation est une machinerie linguistique à part entière, qu’elle soit prégnante ou
sous-entendue, exaltée ou niée, elle est une respiration de la phrase, possède une
symbolique confuse, une liturgie mystérieuse, des pouvoirs occultes, une volonté propre…
L’impréhensible travaille à établir quelque dimension poétique parallèle, avec l’aide de cet
outil aux multiples possibilités, la recherche est âpre, presque stérile, mais non
désespérée ; et si les résultats sont piètres ou se font attendre, la certitude est acquise
d’un potentiel magique quasi inexploité.
Il est à noter que certaines règles de ponctuation semblent incompatibles avec
l'agencement du vers, ainsi en est-il des parenthèses, dont nul n'est censé ignorer qu'elles
doivent précéder le signe (telle que la phrase présente nous le confirme) !
Or, sans même évoquer la ponctuation à l’intérieur des parenthèses, à cause du retour
requis à la ligne, cette obligation apparaît souvent déplacée, en poésie formelle, et
gagnera à être transgressée, pour de simples raisons de compréhension (exemple tiré de

« Dame de Pique ») :

(...)
Fugitive et tendre,
Gaie, un peu rouée,
(Je pourrais te pendre !)
Avide de tendre
A toute trouée
L’aile dénouée
D’un cil sensuel,
Ce rire frondeur,
Et consensuel,
Et presque duel,
D'où flirte une odeur
Piquante de fleur…
(...)

Si la phrase était écrite en ligne, la virgule, qu'on lit ici après « rouée », suivrait, sans trop
de souci pour l’oeil, la parenthèse finale, mais, le texte, poétiquement agencé (retour à la
ligne), perdrait en cohésion apparente, car cette virgule nous semblerait incongrue !
Le débat n'est pas clos ; nous opterons quand à nous pour le type de manoeuvre présenté
dans l'exemple, voire pour l'apocope pure et simple du signe.
Nous finirons ce symposium par – justement – une de ces tentatives dont le tâtonnement,
encore ici malhabile, souffrant, à l’instar du texte "rythmique" précédent, d’une trop
évidente précision, est malgré tout prometteur ; ici, la structure de la ponctuation finale, et
des tercets, est celle d'un sonnet irrégulier :

Punctuare

- Sonnet -

L’astre était comme un bec :
Cornu, crochu, laid, sec !
Couché ras vers le pôle !
- Voyez la lune molle :

Un pilastre éclaté !
Et dans le ciel lacté :
Tout luit ! Et puis, regarde :
Tout fuit ! O nuit hagarde !

Es-tu pour toujours, Noir ?
Funeste intercesseur...
Es-tu seul assommoir ?

… L’étendue est rongée ;
Au cosmos replongée ;
La Camarde est ta soeur...

Salut ?
Salus !


PPPF N° 7

(Petit Précis de Poétique Formelle)

RÉSUMÉ :

Il écrivait des mouches et des pattes ;
On n'y comprenait goutte, à ses épates !
Pourtant, pourtant, « quelque chose » semblait
Bouillir, comme d’un littéraire lait…

A l’analyse, où vous participâtes,
On a pu voir, esprit, que tu t’ébattes !
Que passé Charybde et Scylla, s’il est
Subtil, souvent un zéphyr déferlait ;

Que ces privautés cachent, empiriques,
De la recherche folle, et du calcul !
- Il a posé quelques millions de briques,

Monté des arcs de tropes et de mots ;
Il était fou ? Peut-être était-il nul,
Et sculpta-t-il, peut-être des émaux.

Amis du spleen et de la mégalomanie, bonjour !
…C’est les reins brisés mais le cerveau en ébullition, que je vous dégoiserai aujourd’hui
mes borborygmes littéraires ; soyez attentifs, mon humeur, habituellement badine, a
tendance à s’assombrir lorsque mes vertèbres cariées me tracassent…
Le présent séminaire sera donc plus fait de bric et de vrac, encore, que les précédents ;
tant il est vrai qu’un beau bordel bien répandu soulage la précision pointue d'une douleur
clinique :
l’endomorphine, chez moi, se synthétise mieux dans le capharnaüm que dans le
Doliprane, c’est comme ça !
Avant toute chose, recueillons-nous sur le souvenir et les mânes sacrés du bon Cavanna,
que les salauds-de-Dieu n’ont pas eu le temps d’abattre, il est mort tout seul, comme un
con !

- Citation dudit : « Le grand poète français Verlaine (1844-1896) était pédéraste,
mais sa femme ne le savait pas et elle ignora toujours qu’elle était un homme. »
Après la minute de silence traditionnelle - je ne veux pas entendre pouffer - nous pourrons
commencer !

Petit « a » – etc. :
Le moindre détail gâche un poème –
La fin d’un vers vaut pour une demi-virgule (voire un seizième de soupir) –
Le hiatus (ou l’hiatus), il doit vous en souvenir, sera accepté (recherché ?) pour la rareté
de ses occurrences possibles, telle la « raison rimique »
Exemple : Tu les as tués ?
Mais quel as tu es !
D'une façon générale, tout doit contribuer, et c'est la versification classique qui nous
l'enseigne, à contrarier l’épouvantable et superbe rigidité du poème formel ; c'est la raison
pour laquelle une rime nous paraîtra d'autant plus belle qu'elle sera plus dissemblable (en
genre grammatical, en nombre de syllabes, en sens, ou d' étymon)
Méfiance dans l’utilisation de l’alexandrin, mètre majeur, que souvent l’inconscient
galvaude, tant il est « dans l’oreille »
On laissera les textes « dormir » quelques jours, quelques semaines ou quelques mois,
car il y faut l’épreuve du temps pour garantir et confirmer une supposée valeur…
Rappel :
On n’acceptera de voyelle après un mot finissant par « n », que si la liaison se fait
naturelle à l’oreille :
- Un son impur - Non !
- La mystification anachronique - Refusé !
- Non advenue - Accepté !
- Qu’il en oublie - Oui !
Dans le même esprit, les liaisons que le classicisme accepte de ne pas faire en suivant le
« t » du mot « et », seront prohibées par l’impréhensible.
La césure sera utilisée comme un outil ; elle ne sera, sauf exception, pas niée ; et jamais
subie !
Elle se pourra double, décalée, classique, heurtée, en progression, etc.
Revenons aux liaisons (C'est la pagaille ? vous étiez prévenus !), qui ne sont pas sans
rapport avec les césures, dont l’exercice est souvent accolé : les liaisons étant lyriquement
toutes à faire, on prendra garde d’en respecter une musicalité acceptable. (à noter que la
tolérance auditive doit varier avec les époques, et que c’est un des points de faiblesse
quant à l’intemporalité poétique, vers laquelle, pourtant, l’on tendra -)

Rappelons que, si la ponctuation n’intervient aucunement dans la saine obligation
musicale d’opérer les liaisons, dans la poésie classique, et chez l’impréhensible,
Ces connexités ne devront pas, se disant, former un autre mot que celui défini par l’écrit.
Exemple : « …Comme il a tout fait et qu’il est content ! »
On peut entendre : (…Comme il a tout fêté, qu’il est content !)
Cependant, il sera possible de contrevenir si le mot formé entre dans la logique discursive,
qui peut être inverse :
« Le lecteur vaut un plébiscite » (Le lecteur vote un plébiscite)
…En cas d’humour, ou de musique : « Ils sont très anciens les arts ! » (lézards !)
Et : « La petite maison est en ordre » (la petite maisonnette en ordre)
Ou encore, en poussant un peu (illisible) :

- L’ailloli de Cendrillon - (quatrain)

Toujours belle, en son unique harde, et geignant,
Si pauvre ! Et battant les yeux, en s'ingéniant !
Sa chaîne, par ses soeurs que chaque maillon aise,
Rivée en cuisine, à l'ail, l'âme en haillons, niaise !

Etc.

Nous ne nous déroberons pas à nos obligations, et citerons, comme il sied, les vers
immortels, qui de Corneille et qui de Hugo, et dont nous nous refusons tout simplement à
supposer fortuit le caractère humoristique :
« Et le désir s’accroît quand l’effet se recule »
Puis : « Il sortit de la vie
Comme un vieillard en sort. »
Plus sérieusement et très exceptionnellement, on sacrifiera une liaison disgracieuse pour
un vers fondamental, en espérant du lecteur la finesse de ne point la faire…
On utilisera – avec parcimonie – les verbes défectifs à des temps non-admis.
Avec la même prudence, les « e » muets inélidables pourront – moyenâgeusement – se
prononcer :
« La songerie peut, cruelle, / Se faire loi » (Rêverie sans élision)
Répétons-le sans trêve : tout se peut, ainsi que son contraire, et, si la recette est une
partie de l’art, l’art ne tient pas dans aucune recette !

Prenons, par exemple, ce superbe texte de Charles Guérin :

« Sois pure comme la rosée » (Quel titre !)

Sois pure comme la rosée,
Comme le ciel que tu reflètes ;
Sois légère aux herbes brisées,
Ame tremblante du poète.

Colore-toi du sang de l'aube,
Scintille en larme aux cils des feuilles ;
Et si des roses te recueillent,
Qu'une vierge cueille ces roses.

Sois lumineuse et résignée,
Rafraîchis le pied qui te foule ;
Souris au soleil hostile, ourle
Les rosaces des araignées :

Comme la froide et radieuse
Rosée enivre les cigales,
Tristesse du poète, abreuve
L'harmonieux concert des âmes !

...Mais Pégase, ici, en enfonce toute mièvrerie !
Un poème où l’oeil ni l’oreille ne bute sur les inconvenances rimiques tant la musique
emporte et tant le sens éclate !
Il en est des critères - on pourrait dire objectifs - que, lorsque le vers, sans pâtir, peut
déroger, la grandeur est là !
(Ce qui ne sous-entend pas qu’un poème « parfait » soit, de ce fait, moins bon.)
Si tout se peut - et tout se doit – la manière n’implique pas le génie, or le génie se sert de
la manière ! – il importe donc de bien maîtriser ses outils – au boulot !
L’impréhensible est un système ouvert, c’est à dire qu’il y peut entrer toute idée ou façon
nouvelle qui ne grèverait point sa structure élastique…
C'est pourquoi, prêts à nous vautrer lamentablement dans les bauges immondes de la
plus vile médiocrité, nous explorons, en plus de l'Azur immaculé d'Orphée, les bas-fonds
nauséeux de l'âme humaine, d'où parfois la Poésie éclot aussi.
Forts de ces aventures littéraires, où l'esprit chavire, danse, coince et passe (pas de retour
possible), nous avons pu constater les beautés sulfureuses de la transgression, lorsqu'elle
est conduite avec le tact nécessaire, tant transcender une faute de goût constitue une
victoire esthétique !
Bien sûr, toutes ces choses, cet ail de basse cuisine, dit Verlaine, ne s'entendent que si on
les étudie, et n'ont qu'un rapport diffus avec le sens ou la philosophie d'un texte, pourtant,
l'impréhensible fait le pari que toutes ces touches impriment l'inconscient du lecteur, ou de
l'auditeur, car la poésie, qui est musique du sens, est faite pour être chantée !
Et chacun, avec sa culture, sa sensibilité, sa curiosité propre, est à même d'apprécier, de
ressentir, sinon de comprendre.
31
Je vous livre un texte, puisque nous, nous sommes à l'office, ou j'utilise à la rime des mots
de même sens, puis de sens contraire, avec la même étymologie, toutes choses
nettement prohibées, et avec raison, par la versification.
Mais ! Comme j'y décris un élément mouvant (la mer), qui s'ouvre et se referme sans
cesse, et sur elle-même, l'utilisation des rimots* « unie / désunie / réunie » m'a paru
judicieuse, ainsi même que d'y ajouter « apparaître / disparaître »
jugez-en :

Comme une langue

Une vague petite apparaît
- Emergence - en la surface unie ;
Fugace, une Aphrodite embrunie,
Au grand large à l’esprit sans attrait,
Mornement s’ourle et disparaît.

Lasse, où Thalassa l’excommunie
Et l’englobe en un mouvoir distrait,
Ephémère, une trace, un long trait
Dit encore une fleur désunie,
Qu’à jamais Poséidon nie.



Or la mer gigantesque entrouvrait
Le lent cours de sa chair réunie,
Et de pourpre à l’écume bannie,
Colorait le liquide portrait
D’un fugitif universel,
Abstrait.

(''Rimot'' est un néologisme inventé par Mr Darius Hypérion, poète)
Tous les azimuts sont à explorer ; l’impréhensible, fort d’un instinct bien documenté, a des
raisons de penser que la structure de l’esprit humain est toute entière contenue – ou plutôt
se calque très exactement sur la structure du langage, dont les deux axes principaux, la
métaphore et la métonymie, battent de leurs immenses ailes dans l’azur éthéré de la Lyre.
opportun

Le langage est une gageure
Et je gage – et même je jure –
Que c’est lui qui moule l’esprit
- Le mien ? - Sur l’esse,
et nul ne rit !

Souvenons-nous, pour conclure, dans le respect effaré que suscitent les fulgurances dont
est coutumier ce grand maître du Feu, de cette phrase énorme qui condense vingt cinq
années d’études freudiennes acharnées, et plusieurs milliers de pages, en quatre mots :
« Je est un autre » !!!
- Merci, Rimbaud, d’avoir été - d’être encore.

Salut !
Salus.



PPPF N° 8

(Petit Précis de Poétique Formelle)

AVEC LA MUSE

- Résultats de la tractation –

(A l’Alfred, pour son invraisemblable vélocité)

Si l’impréhensible y ressemble aux sables
Mouvants de ces lois – versification –
Si la licence, illicite aux censeurs détestables,
C’est le vice-versa de toute action,

Si c’est ainsi, si les vers sont si stables,
S’il ne se peut jamais une effraction,
Si, donc, le dogme est un gnome, et Pégase aux étables,
- Qui versa le vice, à notre faction ? -

Comme en Italie, au large de Naples,
Musset chante Ischia, l’île d’affliction,
Où l’on saigne ; où le pain se peine à toutes les tables ;
Où la fille est belle, et pauvre - fiction ?

Pendant que, public, tu lis et tu hâbles,
Moi je chanterai, d’ici, sans friction,
Grâce, Poésie, à tes azurs inconnaissables
L’île de mes vers – quelle appréhension !


Le trouble clair-obscur émanant de ce tableau, peint sur un seul contraste, ne saurait
tromper votre proverbiale sagacité ; il s’agit bien du huitième épisode des « PPPF »
(Petits Précis de Poétique Formelle), dont vous n’espériez plus l’avènement pourtant
promis ; cohortes de Saint-Thomas, faut-il que l’on vous choie !
…Que, malgré l’indigence de votre foi, l’on continue, pour vous, de briller obstinément,
inondant vos foules innombrables des lumières intemporelles d’une opiniâtre suffisance ;
Si quelqu’un veut ma photo, les chèques sont à adresser au journal, qui transmettra.
Mais reprenons la mise à sac des secrets impréhensibles, que s’arracheront les
générations futures, avec les derniers cheveux de leurs érudites têtes traumatisées par
ces vérités trop lourdes assénées avec la fougue dévastatrice d’une main de fer piaffant
dans le gant austère de la maîtrise abrupte de l’aléa (jacta est), et de l’aléatoire !

Nous commencerons sans honte par nous appuyer sur les assertions rimées de nos
glorieux prédécesseurs ; que celui qui n’a jamais pioché me jette la première pierre !
Ainsi Verlaine, déclarant dans son « Art poétique » :

(…)
Il faut aussi que tu n’ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise :
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l’Indécis au Précis se joint.
(…)

…Et Mallarmé, dans le final de son « Hommage » (Toute l’âme résumée…) :
(…)
Le sens trop précis rature
Ta vague littérature.

Oui !
Mais le flou se doit savant, entretenu, justifié, évocateur ;
les exigences du décalage entre la logique discursive, éventuellement grammaticale,
et l’évocation inconsciente des sons, appellent à la subtilité la plus exquise comme à la
brutalité la plus outrancière ; le sens, dont la nature violente et l’âpreté, voire l’amertume
constitutionnelle, apportent un contre-point naturel à la fluide musique idéale des mots, ira
tel que l’eau coule sous les risées des vents contraires : il y faudra de l’attention pour en
séparer l’aval et l’amont ; on n’en devinera moins chaque énigme qu’on en ressentira la
diaspora sensible, ubique, mais équivoque, de sa globalité ; mécaniquement, le sens sera
pivot, servira d’axe et circonscrira la tessiture, les capacités sonores du texte…

Exemple :

…A la fin j’ouvre la machine :
Comme une fleur de Cochinchine
Cet étrange bouquet de sons
M’envahit de ses émotions…

Sauf un hypothétique correspondant, qui, par exemple, m’aurait enregistré des prestations
exotiques, disons, de Vladimir Horowitz, quelqu’un, un ami musicien, qui m’aurait
emprunté mon « portable » pour me le rendre, silencieusement enrichi de piano,
ordinateur qui serait resté des semaines inactif, sauf celui-là, nul, pour apprécier ce
quatrain, n’a besoin d’en plus savoir que ce que son énoncé évoque ; même, la
connaissance du pourquoi risque fort, à ceux qui y sont étrangers, de voler une part du
rêve légitime que leur esprit, aiguisé par d’impersonnelles muses, n’aura pas manqué de
précipiter, au creuset de son alchimique forge intime…

Avec l’exploration obstinée d’une polyvalence touffue, et le gigantesque bagage à sans
cesse intégrer que nous ont laissé, depuis Lascaux, les gratteurs de glyphes, c’est bien en
« horrible travailleur », investi de l’écrasante responsabilité comme du terrifiant devoir que
constitue la reprise des pistes non défrichées que les symbolistes n’ont qu’à peine
entrouvertes, que l’impréhensible se propose de vous accompagner dans le monde torve
des vers.

Dont acte :

UNE RECETTE DE VERTIGE :

Le mélange nécessite
L’explicite, et de l’obscur ;
L’allitération tacite
Dans un sens qui soit très sûr ;

La musique parasite
De l’épée – Excalibur –
Toute fable qui suscite
Un imaginaire pur.

Si la tension s’y structure,
Quelque équilibre s’atteint ;
L’on est, funambule, astreint
A courir cette aventure,

D’autant plus que le vent dure
- C’est le calme que l’on craint -

Rappelons que, par-delà, les volutes des illusions et les voltes de la musique :

Les discours des arts, chants majeurs,
D’ajours forts, d’où poussent les fleurs,
Ces interstices polymères
Sont alvéoles pulmonaires !

L’impréhensible est une exploration des champs cachés de l’Azur, et vise à une
immortalité plausible, via les espaces intermédiaires que la superposition probante des
plans spatio-temporels autorise à déduire…
Déjà, la mise en évidence des capacités motrices de l’imaginaire ne laisse guère de doute
quant à l’existence de chas percés dans l’acier des aiguilles suturant la blessure du réel ;
car c’est par le catgut et par la plaie que l’univers nous livrera le pan occulté de nous-mêmes…



Une obligation de cohérence, pendant logique de toute cette folie, est plus que jamais de
mise dans une poétique dont l’ésotérisme formel le dispute au fond cosmologique.
Or, dans le passé,
contradictoirement soutenu par des millénaires de rationalité acharnée, et, plus
logiquement, par la beauté intérieure des choses,
le rasoir du vers,
aiguisé à l’infini, a fendu la toile perse et bombée de l’éther, et nous voici sous une
immensité de ténèbres semée de quelques milliards de mondes insignifiants.
Les derniers soubresauts des dieux vomissent d’antiques horreurs, cependant que des
fulgurances poétiques secrètes sont mises en évidence par des astrophysiciens ; ainsi,
l’on admet aujourd’hui, encore qu’à contre coeur, que le résultat peut dépendre du point de
vue.
Ou qu’ici l’on se puisse, à la fois … et là !
Bien sûr, « Je » est toujours un autre.
Le post-symbolisme néo-classique :

(Sonnet)

A travers les halliers dans les berges fangeuses
J’aimais poser le pied nu des primes jeunesses
Je célébrais sans Dieu les seules grandes messes
Dont silencieusement se bénissent les yeuses

Nature autoritaire au cercle de ton mess
Je forçais l’élitisme avec panache, gueux,
Animiste, primaire, ivre, irrévérencieux !
Ainsi j’étais, semblable au monstre du Loch Ness,

Comme une antiquité survivante du songe
Et nageant sous l’orage à la noirceur des eaux
Je communiais en moi, que l’animal prolonge !

Nourri par la magie et les métempsycoses
Je m’incarnais encor dans les mousses des lauzes
Et parfois je hurlais au satellite oblong…

Sortez en ordre et en silence, pour ne pas réveiller ceux qui dorment.

Salut,
Salus

Fin des PPPF !

ISBN : 978-2-955961230
Imprimé par Scopie (Toulouse)
Dépôt légal : octobre 2017

......................


Message de Lo :

Posté à 19h10 le 26 Jul 19

'Les chas percés dans l’acier des aiguilles suturant la blessure du réel"

Elles sont denses tes minutes


Réponse Salus :

Posté à 21h11 le 26 Jul 19


Danse ! Danse ! Danse ! Danse !

(Rimbaud)


Ancienmembre
Membre
Messages : 395


Posté à 19h36 le 27 Jul 19

Merci Salus d'avoir posté ce Petit Précis de Poésie Formelle dans cette nouvelle rubrique consacrée aux techniques d'écritures.



Salus
Membre
Messages : 6899


Posté à 20h02 le 27 Jul 19


C'est moi qui te remercie :
Manquant de discernement
Le, se perd, presque dément,
Musicien, poète (et Cie)...

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