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Auteurs Messages

Varech
Membre
Messages : 37


Posté à 17h55 le 15 Mar 20

Globalement, le forum ne m'intéresse guère, mais là, j'apprends, j'apprends...

Merci, Laugierandré de dispenser ainsi, tes connaissances.


Laugierandre
Membre
Messages : 1920


Posté à 19h14 le 15 Mar 20


Bonsoir VARECH,

Toute ma gratitude pour ces mots qui font plaisir à recevoir. La raison discute, la sagesse oriente et La connaissance aiguise notre vision des choses.

Comme on a l'habitude de dire : apprendre, c'est prendre. Et apprendre, c'est se retrouver tous ensemble pour mettre en commun notre expérience et la faire partager dans cette convivialité qui est l'âme d'un forum.

Apprendre permet aussi de s'enrichir tout en restant simple, et dans ce formidable état d'esprit de communiquer et de mieux nous connaître. C'est avec humilité que j'ai décidé d'ouvrir ce petit "lexique sur les règles essentielles de la poésie", et sans aucune infatuation.

Mon but sera atteint si je sais que d'autres membres du forum, comme toi, pourront puiser quelques principes utiles bienvenus qui les aideront à s'intéresser davantage à la poésie et à sa pratique.

Encore MERCI pour ce message d'intérêt, d'Amitié et de gentillesse.

Bien d'autres techniques poétiques vont être postées.

Ma bien chaleureuse estime.

ANDRÉ

Salut Salut Salut


Laugierandre
Membre
Messages : 1920


Posté à 19h33 le 15 Mar 20


Bonsoir ARCANE,

Apprendre c'est aussi se comprendre.

Michel HOUELLEBECQ a dit : "Apprendre à devenir poète, c'est désapprendre à vivre.”

Je suis en total désaccord avec cette locution, car apprendre : c'est s'enrichir ensemble, c'est davantage nous solidariser, sympathiser et éprouver une harmonie et une fraternité pour nous épanouir dans la satisfaction existentielle de vivre pleinement une passion.

Mes vifs remerciements, Chère ARCANE, pour tes mots d'adhésion et d'Amitié.

Douce fin de soirée.

BISOUS de la Cité phocéenne.

ANDRÉ

Salut Salut Salut Salut


Laugierandre
Membre
Messages : 1920


Posté à 09h34 le 17 Mar 20


RIMES BABEBINES

C'est la grammairien ARISTIDE qui donna ce nom à des rimes constituant une variété de la contre-assonance.

Dans la contre-assonance, ce ne sont plus les voyelles qui sont identiques (comme dans la rime), mais les consonnes. Les rimes babebines gardent l'identité de la "consonne d'appui", mais en changeant les voyelles dans un certain ordre.

Les véritable rimes babebines n'utilisent pas d'autre système qu'elles-mêmes et, en outre, elles font défiler les "voyelles" dans l'ordre alphabétique : a, e, i, o, u, celui qu'on utilise dans l'apprentissage de la lecture pour les combiner avec les consonnes, soit, par exemple : "ban be, bi, bo, bu" - d'où le nom donné à ce système.

Ci-dessous, un exemple de Clément MAROT, qui s'en approche fortement :


Or, en Noël venu son petit trac :
Sus donc, aux champs bergères de rerspac,
Prenons chacun panetière et bissac,
Flust, flageol, cornemuse et rebec ;
Ores n'est pas temps de clore le bec,
Chantons, sautons et dansons ric à ric ;
Puis allons voir l'enfant au pauvre nic,
Tout exalté d'Elie, aussi d'Enoc,
Et adoré de maint grand roy et duc
...


André SALMON, poète-romancier (1881 - 1969), a parfaitement utilisé ce système dans un recueil de poèmes ayant, tous cinq vers, sauf ceux qui doublaient le procédé on n'en prenaient qu'une partie :


Or le commandant s'avisa,
Au souffle des vents alizés,
D'accorder à la Poésie
Le rythme de son aviso.
Je l'ai constaté de visu.


Par ce procédé littéraire, on donne une impression étrange à l'oreille qui perçoit l'existence d'un système répondant à une logique, même si elle n'est pas immédiatement reconnue par le profane.

Tout comme les premières mesures d'un morceau de musique permettent de reconnaître le mode, la tonalité, la mesure du morceau, le poète ayant d'abord indiqué (dans l'ordre) la série de voyelles peut ensuite reprendre la simple contre-assonance. Illustration parfaite de ce procédé : ces vers de Bernard LORRAINE :


Autruches s'amourachent
Malgré leurs grands airs rêches,
Des bijoux d'or des riches.
Quand un danger s'approche,
L'autruche, sotte cruche,
Met sa tête sous roche,
L'enterre dans les friches.
C'est alors qu'à la fraîche,
Plumage on lui arrache.
Ah ! que l'autruche
Nous est proche !


Les "rimes babebines" peuvent s'utiliser avec tous les mètres :



Le
Lit
L'eau
l'eut.

ARISTIDE
___________________


LE BESTIAIRE


La première apparition de ce mot apparaît dès le XIIe siècle : il s'agit d'un recueil de textes consacrés aux animaux. Les "bestiaires" étaient presque tous composés en vers.

Les bestiaires du Moyen Âge faisaient partie d'une littérature didactique qui voulait transmettre un enseignement et utilisait la versification dans un souci d'efficacité et de mémorisation.

À côté des bestiaires, les "lapidaires" donnaient des renseignements sur les pierres précieuses ou non, sur ce qui concernait plus généralement la terre et les sciences.

Les "volucraires" étaient consacrés uniquement aux oiseaux. Les bestiaires du Moyen Âge sont des ouvrages composites , savants, mélangeant pseudo-science, religion, légendes, amour et poésie. Toutefois, les bestiaires les plus importants, écrits en langue française, datent du XIIIe siècle. Citons, pour exemple : "Le Bestiaire" de Philippe THAON, "Le Bestiaire" de GERVAISE, et "Le Bestiaire Divin" de Guillaume LE CLERC (qui, à lui seul comportait 3426 vers).

Ces "bestiaires" évoquent aussi bien des "êtres légendaires" que des "animaux réels".

Au XVe siècle, le genre continua un moment avant de disparaître presque complètement. Rémy BELLEAU écrivit un bestiaire et un lapidaire. "Petites inventions". 1157 ; "Les Amours et Nouveaux Èchanges des pierres précieuses, vertus et propriétés d'icelles",1576. Le genre ne reparut pas dans la poésie pendant plusieurs siècles, pour resurgir avec vigueur au XXe siècle.

Le premier à la prouver fut Guillaume APOLLINAIRE avec "Bestiaire au Cortège d'Orphée", dont les premiers poèmes parurent dans LA PHALANGE en 1908. Sans en porter le titre, on peut considérer que le recueil de Paul ÉLUARD, "Les Animaux et leurs hommes", "Les Hommes et leurs Animaux" est une sorte de bestiaire qui passe en revue "Cheval" , "Vache", "Porc", "Poule", "Poisson", etc.


LA CHENILLE

Le travail mène à la richesse.
Pauvres poètes, travaillons !
La chenille en peinant sans cesse
Devient le riche papillon.

Guillaume APOLLINAIRE.


Toutefois, c'est un recueil de Robert DESNOS qui ressuscita pleinement le vieux genre en rendant populaire le thème du bestiaire. Citons : "Trente chantefables pour les enfants sages" (1944) , auxquelles s'adjoignirent ensuite "Les Chantefleurs" :


Une fourmi de dix-huit mètres
Avec un chapeau sur la tête,
Ça n'existe pas, ça n'existe pas.
Une fourmi traînant un char
Plein de pingouins et de canards,
Ça n'existe pas, ça n'existe pas.
Une fourmi parlant français,
Parlant latin et javanais,
Ça n'existe pas, ça n'existe pas.
Eh ! Pourquoi pas ?

Robert DESNOS


La seconde partie du XXe siècle a connu un véritable déferlement de "bestiaires", dont beaucoup d'une affligeante médiocrité. Cependant, parmi tous ces bestiaires certains ont su s'inscrire dans la tradition pour réaliser une poésie nouvelle. Ils ont même, parfois, retrouvé le charme des abécédaires :


M COMME MOUTON

Il n'est rien moins qui nous épate
Qu'un mouton au milieu d'un pré,
Mais que dire quand vu de près,
Ce mouton banal a cinq pattes ?

Daniel LANDER
___________________


LE ZADJAL (ou : ZAJAL ; ZÉDJEL ; ZÉGEL ; ZÉJEL)


Il s'agit d'un poème d'origine arabe qui aurait été inventé au XIIe siècle par Ibn-BÂDJDA. Il serait le modèle d'une forme poétique andalouse populaire, passée en langue castillane au XIVe siècle.

Le genre s'adapte fort bien à la musique, et a atteint son apogée avec le poète Ibn QUZMAN, mort à Cordoue en 1160, qui s'en est servi pour ses panégyriques, mais aussi pour chanter la nature, le vin et, surtout, l'amour. Il fut également à l'honneur chez les soufis, et se perpétua jusqu'à nos jours grâce par exemple à un Mahmud BAYRAM AL-TUNSI.

Cette poésie montre une ressemblance à la poésie vernaculaire postérieure des troubadours du sud-ouest de la France.

En français, cette forme a inspiré à Philéas LEBESGUES son "Livre des Zegels". Mais c'est surtout Louis ARAGON qui l'a fait connaître en écrivant une série de poèmes sous ce titre dans son livre : "Le Fou d'Elsa", en 1963.

Après un distique introductif, le "Zadjal" se compose de quatrains, eux-mêmes constitués par un tercet monorime et un quatrième vers rimant obligatoirement avec le distique introductif

Cependant, ARAGON dans ses propres zadjals , imite pas tout à fait cette forme dont il s'est seulement rapproché dans le tout dernier poème de son recueil. Je le donne, ci-dessous, en exemple, pour la compréhension de cette forme de poésie.


LE VRAI ZADJAL D'EN MOURIR

Ô mon jardin d'eau fraîche et d'ombre
Ma danse d'être mon coeur sombre
Mon ciel des étoiles sans nombre
Ma barque au loin douce à ramer

Heureux celui qui meurt d'aimer

Qu'à d'autres soit finir amer
Comme l'oiseau se fait chimère
Et s'en va le fleuve à la mer
Ou le temps se part en fumée

Heureux celui qui meurt d'aimer.
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L'ÉGLOGUE

Nom féminin tiré du Grec eklogê qui signifie "choix" (pièce choisie). Ce terme, dans sa première définition, désignait un poème choisi parmi les meilleurs d'un recueil. Le mot avait déjà été appliqué par les Romains aux "Bucoliques" de VIRGILE, composé de dix églogues inspirées de THÉOCRITE, les mots églogue et bucolique sont devenus pratiquement synonymes.

DANTE et PÉTRARQUE se sont illustrés dans ce genre.

Une églogue n'est pas une forme fixe, mais sert à désigner, habituellement, un petit poème champêtre, (thème pastoral à la tonalité lyrique) souvent un dialogue entre des bergers de fantaisie, plus occupés à faire des vers ou à interpréter des chansons d'amour qu'à surveiller leurs troupeaux.

Vous feriez oublier, mélodieux chanteurs,
Et l'herbe à la génisse et la nuit aux pasteurs.

André CHÉNIER, avant 1794. "Oeuvres complètes".

RONSARD a composé un recueil d'Églogues qui comprend six poèmes à thèmes différents. Maurice SCÈVE est également l'auteur d'églogues. Je vous livre, ci-après, un extrait d'une "Églogue de la vie solitaire", qui chante la douce vie du berger :

Il est seigneur des bois grands et épais,
Desquels il n'a que doux séjour et paix.
Autour de soi sa tourbe vigilante,
Très hardis chiens, au besoin travaillante,
Garde toujours qui ne diminuisse
Le nombre entier, ou que l'on ne ravisse
Quelques brebis de son laineux troupeau,
Duquel il garde, et tient chère la peau.

Le genre a été particulièrement en vogue à la Renaissance et jusqu'au XVIIIème siècle. On trouve de nombreux poèmes portant le titre d'églogue dans les oeuvres de RONSARD, RACAN, SEGRAIS, MÉNAGE, Mme DESHOULIÈRES, FLORIAN, etc.

Bien qu'il ait pratiquement disparu en tant que genre littéraire, le terme a été parfois employé (et continue de l'être) par des poètes du XXème siècle pour indiquer une coloration champêtre, une correspondance directe avec la nature.

Un des plus célèbres poèmes de Stéphane MALLARMÉ : "L'après-midi d'un faune", porte en sous-titre le terme églogue.

Il s'agit, comme on peut le constater, de petites odes, satires, épîtres. Certains critiques établissent des distinctions entre l'églogue épique ou narrative dans laquelle le poète prend lui-même la parole, l'églogue dramatique (dans laquelle les personnages dialoguent entre eux au style direct), l'églogue mixte (dans laquelle les deux formes sont présentes).

Églogue = élégie, idylle, lyrisme.
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LICENCE POÉTIQUE

La licence poétique est la liberté que donne l'expression poétique de transgresser les normes dans certaines conditions. Ce peuvent être des normes orthographiques, comme la faculté d'écrire "encor" au lieu de "encore" afin de satisfaire au nombre de syllabes du vers, fait que l'on retrouve toujours dans la poésie moderne.

Ainsi dans "Hier régnant désert" d'Yves BONNEFOY, ce distique :

La voix de ce qui a détruit
Sonne encor dans l'arbre de pierre.

La licence poétique peut être perçue comme une spécificité de la poésie, dont elle serait un signe distinctif. Comme je l'ai dit ci-dessus, ces "permissions" sont tolérées et toujours en faveur de l'harmonie et de l'élégance du vers. Les principales licences poétiques concernent l'orthographe, la phonétique, la syntaxe et la rime.

Dans la licence orthographique outre le fait de supprimer le "E" de "encor" on peut également supprimer le "S" final de "certe", tout comme le "S" final de "remord".

Mais on peut de nos jours écrire encore les graphies particulières que sont "avecques" pour "avec" ; ainsi que "doncques" pour "donc" ; "grâces" à pour "grâce à" ; "guères" pour "guère" ; "jusques à" pour "jusqu'à", et "naguères" pour "naguère". Ne soyez donc pas étonnés si vous rencontrez une telle orthographe, même pour des poèmes contemporains.

Exemples :

Tu t'abuses toi-même, ou me porte envie. (BOILEAU)

Les immortels eux-même en sont persécutés. (MOLIÈRE)

Au tumulte pompeux d'Athène et de cour. (RACINE)

Le recours à la dérivation impropre permet, éventuellement, de contourner des règles de la prosodie classique puisque la suite V + e + C est interdite à l'intérieur du vers en fin de mot : on trouvera "pensers" à la place de pensées.

Heureux [...]
Celui dont les pensers, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor. (BAUDELAIRE "Élévation")

Dans l'ordre des licences grammaticales et syntaxiques, on trouve particulièrement l'inversion et l'ellipse.
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LES COLLOCATIONS

Rien à voir avec les "petites annonces de colocataires dans l'immobilier". Les collocations sont des liens entre deux termes tels que si l'un apparaît dans un discours, il y a une grande probabilité que l'autre apparaisse aussi, les deux termes constituant ainsi des associations conventionnelles, comme, par exemple :

- "Des temps difficiles"
- "Une décision énergique"
- "Sens interdit"
- Marcher droit". etc.

Ces associations verbales ont un équivalent exact dans la langue poétique : expressions du style formulaire, périphrases codées, clichés, comme : "Les feux de l'amour", un "spectacle funeste", etc.

Mais il faut bien prendre garde que ce blocage des renvois virtuels propres à chaque terme donne, en contrepartie, une aura nouvelle à la "collocation" : employée ou reconnue comme telle, elle est dotée d'une évidence, d'une force, d'une valeur argumentative supérieures à la valeur des mots isolés qui la composent. Le cliché : "Long comme un jour sans pain", ou encore "plus vieux que Mathusalem", aussi usé qu'il soit, n'est pas l'équivalent diminué d'un superlatif dans les deux exemples cités ci-dessus : il participe d'une naturalisation sémantique comparable à la naturalisation phonique et joue le même rôle qu'un proverbe ou une citation.

Il en est de même pour les collocations poétiques, épithètes ou formules conventionnelles. Les vers suivants d'Athalie ne sont, d'une certaine manière, qu'une série de formules toutes faites :

Près de ce champ fatal Jézabel immolée,
Sous les pieds des chevaux cette reine foulée,
Dans son sang inhumain les chiens désaltérés,
Et de son corps hideux les membres déchirés...

Ils n'en sont pas moins une charge poétique comparable à la poésie qui se dégage des grands tableaux, faite du recours systématique à un répertoire de formules consciemment organisées, comme le montre, par exemple, la place des adjectifs en fin d'hémistiche.

Dans la conversation ou dans les discours portant sur un thème bien défini, même si l'on ne s'exprime pas seulement par expressions idiomatiques et collocations, le contexte au sens large, joue un rôle de désambigüation en ce qu'il contribue à faire privilégier telle chaîne associative, tel sens du mot, lorsque celui-ci est polysémique ou correspond à plusieurs homonymes.

Ce procédé fonctionne aussi dans le registre comique, lorsqu'une expression idiomatique est prise au sens propre. Exemple :

- "J'ai quatre pauvres petits enfants sur les bras. - Mets-les à terre." (MOLIÈRE)

ou dans les fatrasies médiévales. Il devient un procédé poétiques pour créer surprise et étrangeté, comme par exemple, dans cet extrait de GUILLEVIC :

Ici
Ne repose pas,

Ici ou là, jamais
Ne reposera

Ce qui reste,
Ce qui restera
De ces corps-là.

Comme on s'en rend compte, les mots ne sont donc que des points d'accumulations auxquels se rattache une aura d'associations phoniques, grammaticales, lexicales ou sémantiques. Les mots réagissent l'un sur l'autre ; et le sens de la phrase naît de ces actions et réactions continuelles entre les mots qui se suivent, d'autant plus fortes que les mots sont plus proches ou situés à des places bien définies du schéma métrique.
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LE CONTRE-REJET

Le contre-rejet est le procédé de décalage entre mètre et vers qui réalise l'inverse du rejet; autrement dit, un élément verbal bref, en fin d'hémistiche (contre-rejet interne) ou en fin de vers (contre-rejet externe), étroitement lié par la syntaxe à l'hémistiche ou au vers qui suit. Des raisons stylistiques précises sont toujours à l'origine de cette mise en relief.

Un parfait exemple nous est donné dans les deux vers suivants, d'un poème de Baudelaire intitulé "Le Flacon", et qui présente deux cas de contre-rejets à la suite l'un de l'autre (contre-rejet redoublé) :

Cher poison préparé par les anges ! Liqueur
Qui me ronge, ô la vie // et la mort de mon coeur !

Si l'on regarde bien, on se rend compte que le premier vers se termine sur un contre-rejet externe de "Liqueur", et le second est marqué par un contre-rejet interne sur "ô la vie" : le décalage accentue l'effet d'alliances de termes en séparant les éléments par la limite métrique (Liqueur de Qui me ronge, et ô la vie DE et la mort).

On peut résumer ainsi l'explication du contre-rejet : Un mot (ou un petit groupe de mots) finit un vers par sa place et par sa sonorité, mais il appartient, grammaticalement, par le sens, au vers suivant.

Autre exemple :

...
Et de quoi vivait-il ? Nul ne le sait. Son âme
Aspirait l'inconnu comme un puissant dictame.
...

Exemple de contre-rejet en fin de vers (contre-rejet externe) :

Cléopâtre, Hélène et Laure, ça prouve
Que, perpétuel, un orage couve
Sous votre aspect clair, fatal, plein de charmes.

Charles Cros, in "Le Collier de griffes"

Exemple de contre-rejet en fin d'hémistiche (contre-rejet interne, en anticipant sur l'hémistiche suivant (le lien syntaxique doit être fort) :

Prends cette tête au lieu de ta marotte et danse,
Ny touche pas son front// ma mère est déjà froid.

Apollinaire, In "Alcools"

Ce sont les poètes romantiques, et plus particulièrement Victor Hugo, qui ont le plus utilisé le contre-rejet, avec le rejet et l'enjambement, en désarticulant systématiquement l'alexandrin. Mais son utilisation n'est pas seulement réservée à l'alexandrin. On peut le retrouver en des vers et mesures différentes, comme ces "Noces pour 1870", de Camille Pellatan, dont voici un extrait ci-dessous :

Pourtant en terre étrangère,
Le jeune et beau Dunois, il
S'en va prier la bergère
De bénir son nid d'exil.
___________________





Ce message a été édité - le 06-04-2020 à 19:47 par Laugierandre



Ce message a été édité - le 06-04-2020 à 19:55 par Laugierandre


Laugierandre
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Posté à 11h50 le 24 Mar 20


LA SYLLABE

Si l'on se réfère à l'étymologie grecque, syllabe vient de "sun", qui veut dire avec, et "lambanein" qui signifie prendre. D'où "prendre ensemble". La syllabe se définit comme un groupe minimal de phonèmes pris ensemble, qui s'organisent autour d'un unique phonème vocalique. C'est, il me semble, la meilleure définition. La syllabe peut même, dans certains cas, être réduite à une voyelle.

Cette structure phonématique de la syllabe est déterminée par un ensemble de règles qui varient de langue à langue. Certains linguistes refusent toujours à la syllabe une identité physique, et ne lui attribuent qu'une existence psychologique et phonologique. D'autres, au contraire, comme R. Jakobson et M. Halle, attribuent à la syllabe une existence phonétique définie par certaines caractéristiques articulatoires et acoustiques. Autrement dit, une liaison plus intime et un degré de coarticulation plus "étroite du centre de syllabe par rapport aux bords", dus à une augmentation de la fréquence du fondamental. J'avoue que cela est plutôt hermétique et, que, heureusement, les poètes ne se soucient guère de ces explications et de ces polémiques un peu rebutantes. En poésie, le principe s'appuie sur le fait que, dans notre langue française, les syllabes sont nettement distinctes. Sauf sur quelques points, dont la versification tire son profit pour introduire d'heureux dérèglements : faits d'élision, statut du "E"' muet, diérèses et synérèses... La règle première est que toutes les syllabes se comptent dans un vers. En les séparant par une barre oblique (/) on décompte ainsi, par exemple, cet octosyllabe de Victor Hugo (Hymne : Les chants du crépuscule, 1835) :

Gloi/re à/ no/tre/ Fran/ce é/ter/nel/le !

On peut résumer en disant que, dans le vers classique, le "E" muet est toujours pris en compte, sauf s'il se trouve en position de fin de vers ou devant une voyelle à l'intérieur du vers.

NOTE : Il convient d'ajouter à ces restrictions l'élision du "E" muet à l'intérieur d'un mot du type "avou(e)ra", ou encore "remerci(e)ment", etc. Ainsi que dans les terminaisons verbales en : "aient" ou "oient", comme : "chanterai(ent) ou encore "envoi(ent)".

Cette règle de la prononciation systématique du "E" muet entraîne plusieurs difficultés. Et d'abord pour les mots terminés sur une voyelle + "E" muet (du type : "amie", émue", Annie, etc.). S'ils apparaissent devant un mot à initiale vocalique, aucun problème, le "E" muet s'élide :

Le tonnerre est la plui(e)// ont fait un tel ravage. (12 syllabes)
(Baudelaire : In "L'Ennemi" : "Les Fleurs du Mal")



Par contre, s'ils se trouvent devant une initiale consonantique, il faut normalement prononcer le "E" muet. C'est, tout au moins, ce qui se passait jusqu'au XVIe siècle. Dans les sonnets dédiés à Marie, Ronsard écrivait, en 1555 :

Marie, qui voudroit vostre nom retourner,
Il trouveroit aimer ; aimez-moy donc, Marie.


Dans le second emploi de "Marie", à la rime, le "E" muet s'élide sans problème. Mais, au début du premier vers, il faut compter (et donc prononcer) le "E" muet : "Ma/ri/e/, sinon l'alexandrin n'aurait que onze syllabes et donc serait faux. Dieu merci, tout ceci n'existe plus de nos jours, et c'est pour résoudre ces difficultés nées des contraintes propres au "E" muet, que les poètes ont eu recours à des licences poétiques : c'est-à-dire à la transgression délibérée et réglée de certaines normes grammaticales ; normes de l'orthographe quand Baudelaire, dans l'exemple suivant, écrivait "encor" pour : "encore" :

Elle est bien jeune encor ! - Son âme exaspérée (...)

Cette licence continue a être pratiquée par les poètes modernes, lorsqu'ils tiennent à conserver la mesure du vers

C'est pour cette raison, aussi, qu'on ne compte pas en pieds, mais en syllabes, car le pied est un terme métrique applicable seulement aux systèmes qui reconnaissent une opposition formelle entre voyelles brèves et voyelles longues (exemple : le latin et le grec), ou entre syllabes accentuées et syllabes inaccentuées (exemple : anglais et allemand). Longtemps, le mot pied a été confondu au sens de "syllabe" en versification française ; mais, dans un souci d'exactitude terminologique, les métriciens s'accordent désormais à ne lui donner que son sens strict.
___________________


LE VERS LIBÉRÉ

Cette définition a été inventée par les Symbolistes. Le vers dit libéré garde une référence évidente au modèle traditionnel : nombre fixe de syllabes, système d'homophonies finales ; mais il s'en écarte totalement pour ce qui concerne les lois du décompte. Il laisse également de côté toutes règles sur le "E" caduc, l'hiatus, la place de la césure, etc.

La rime est remplacée par des assonances, des contre-assonances, des échos phoniques, ou subsiste sous forme de rime approximative, l'alternance étant abandonnée (ou remplacée) par une alternance de finales vocaliques et de finales consonantiques.

Le vers libéré est, en quelque sorte, un intermédiaire entre le vers libre et le vers classique du vers français traditionnel, le mètre régulier et la rime, mais avec quelques simplifications. Il ne respecte pas, comme je viens de le dire, l'alternance des rimes et ne se préoccupe pas des antiques interdictions, faisant, par exemple, rimer sans vergogne, un singulier et un pluriel, ou encore une rime féminine et une rime masculine. Le son supplante totalement la graphie. Il fait quelques apocopes, si nécessaires. Les poètes du début du XXème siècle, dans cette tradition symbolique que j'ai évoquée, ont pratiqué ce genre de versification. Parmi eux, Francis Jammes et Paul Fort.

Voici un exemple de vers libéré de Claude Roy, extrait de "Le Voyage d'automne":

UN AUTRE MOI

Malgré nous le rêve a bonne mémoire
On cherche à se fuir on croit s'oublier
La mort saura seule perdre en son miroir
ce moi à soi beaucoup trop lié.


On remarquera, dans cet extrait, le manque total de ponctuation, ainsi que l'absence de majuscule dans le quatrième vers.

Autre exemple de Francis Jammes :

Guadalupe de Alcaraz a des mitaines d'or,
des fleurs de grenadier suspendues aux oreilles
et deux accroche-cœur pareils à deux énormes
cédilles plaqués sur son front lisse de vierge.


On notera :

- l'absence de majuscule en début de vers ;

- que le premier vers comporte 14 syllabes si l'on ne fait pas l'apocope des deux "E" finaux de Guadalupe et de de.

- que la règle interdisant la suite V + e = C à l'intérieur du vers n'est pas respectée au v. 2 suspendues aux ;

- que la rime est remplacée par un réseau assez complexe d'homophonies finales : assonances croisées.


Cependant, la référence à l'alexandrin et aux formes traditionnelles reste sous entendue et parfaitement perceptible. On appelle aussi le vers libéré le "JAMMISME", en référence à Francis Jammes, sorte de "dépouillement" rapprochant le vers de la prose. Cette particularité n'attribue à la mélodie qu'une importance limitée, tout en utilisant les mètres habituels parce qu'ils correspondent à une rupture du langage naturellement obtenue par la durée du souffle. Elle ne s'inscrit pas avec rigueur : elle s'y maintient approximativement. Francis Jammes s'est toujours moqué de la césure, mais si la césure s'impose, il s'en accommode. Il pratique d'instinct l'enjambement qui désarticule ses phrases, mais si deux vers spontanés renferment sans bavure ce qu'il veut exprimer, il les adopte d'emblée. Il ne fait rien, non plus, pour éviter les hiatus, mais ne cherche nullement à les provoquer.
___________________


LE QUINTIL

Ce terme provient du latin quintus qui signifie "cinquième". Ce système de versification date de 1749, où on le trouve dans "Les Essais sur l'Histoire des Belles-Lettres" de Juvenel de Carlencas, pour désigner une strophe iso ou hétérométrique* de cinq vers. L'usage de ce type strophique est ancien, puisqu'on le rencontre couramment à l'époque médiévale (il est aussi appelé cinquain).

Le "quintil" ne comporte que deux rimes, dont l'une est forcément redoublée. Leur disposition permet de définir deux catégories de quintils :

- Le quintil à formule simple, c'est-à-dire close uniquement au dernier vers, comme c'est le cas pour la combinaison : A B A A B. Intérêt de cette structure : la rime A centrale est entourée de deux éléments semblables A B : A B-A-A-B. De plus, elle peut être analysée également comme vers+quatrain à rimes embrassées : A-B-A-A-B, très fréquente, en particulier chez les romantiques. En voici un exemple, extrait de "La Sultane favorite" de Victor Hugo :

Repose-toi, jeune maîtresse. (A)
Fais grâce au troupeau qui me suit. (B)
Je te fais sultane et princesse : (A)
Laisse en paix les compagnes, cesse (A)
D'implorer leur mort chaque nuit. (B)


NOTE : La combinaison A A B A B, moins riche structurellement (vers + quatrain à rimes croisées : A - ABAB), est moins répandue. On la trouve, par exemple, dans un poème de Pontus de Tyard, "Chant non mesuré" :

Que me sert la connaissance (A)
D'amour et de sa puissance (A)
Et du mal qu'il fait sentir : (B)
Si je n'ai la résistance, (A)
Pour m'en savoir garantir ? (B)


- On rencontre également, mais de manière plus rare, la formule : A B B B A. D'après H. Morier, les Rhétoriqueurs donnaient le nom de "chinquain" à des quintils de formule A A B B A.


- Le quintil à formule prolongée, lui, est une combinaison complète et close au bout de quatre vers, mais où s'ajoute une reprise de rime finale. Il s'agit donc de quintils qui se fondent sur les deux dispositions fondamentales : rimes croisées, rimes embrassées.

C''est ainsi que l'on pourra voir alternance parfaite si à un système à rimes croisées s'ajoute une rime qui reprend la première, en A B A B A ; ce qui évite tout groupement de rimes plates :

Nous renoncerons au poème,
Le seul rythme parfait qui rôde
Parmi tant d'ombres incertaines
Et celles qu'on porte aux autres
Des hauteurs de l'isolement.

Patrice de La Tour du Pin.



C'est la forme la plus courante, adoptée également par Baudelaire pour la plupart de ses poèmes en quintils, et par Apollinaire pour la "Chanson du Mal-Aimé". La formule A B A B B est beaucoup moins employée.

Si, à des rimes embrassées, s'en ajoute une qui redouble la seconde, on a un système A B B A B (avec répétition de AB autour de B : AB - B - AB), tel qu'on le trouve dans "Le Poison", de Baudelaire, ou dans les "Strophes" pour se souvenir d'Aragon :

Vous n'avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi Simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des partisans.

In : "Le Roman Inachevé"


___________________

* ISOMÉTRIE : du grec "isos", signifie "égal en nombre", et "metron" veut dire "mètre". Il s'agit, dans un même poème ou dans une même strophe, d'utiliser un seul et même type de vers ou de mètre.

* HÉTÉROMÉRIE : du grec "heteros", signifie '"autre", et "metron" veut dire "mètre". C'est l'inverse de L'ISOMÉTRIE. Autrement dit, utilisation, dans un même poème, de deux ou de plusieurs types de vers.

Ainsi, le poème de Baudelaire : "La Musique", est composé d'une alternance d'alexandrins et de vers de cinq syllabes, tel le premier quatrain que je donne en exemple :

La musique souvent me prend comme une mer !
Vers ma pâle étoile,
Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther,
Je mets à la voile.

___________________


LA RIME

Son étymologie est encore incertaine de nos jours, et contestée. Traditionnellement, on rapprochait rime et rythme en raison d'une origine latine commune : le latin rhythmus et aussi rytmus ruthmus, emprunté au grec et désignant en latin "médiéval" un vers simplement accentué par opposition au "vers métrique". Cette hypothèse semble, aujourd'hui, abandonnée pour des raisons phoniques et sémantiques

Historiquement, il faut rappeler que la rime n'était pas en usage dans la poésie classique latine, sinon comme un effet stylistique occasionnel. Elle est apparue comme une marque de fin de vers dans la poésie chrétienne en particulier chez St Augustin (IVe siècle). L'explication la plus courante, de nos jours, est celle qui rapproche la rime chrétienne de textes sémitiques et de poèmes hébraïques rimés : c'est par ceux-ci que les chrétiens d'Afrique en auraient appris l'usage qu'ils auraient introduit en latin, où la tradition rhétorique lui ouvrirait un large champ de développement.

En fait, c'est à partir du XVIe siècle que l'on distingue nettement rime et rythme. En versification française, la rime est fondée sur l'identité entre deux ou plusieurs mots situés en principe en fin de vers, de leur voyelle finale "accentuée", ainsi que des phonèmes qui, éventuellement, la suivent. Les phonèmes en amont peuvent également entrer dans le phénomène de rime ; dans ces deux vers de Baudelaire :

Fruits purs de tout outrage et vierges de gerçures
Dont la chair lisse et ferme appelait les morsures !


Comme on peut le constater, la stricte homophonie de rime porte sur (yr), mais aussi s'enrichit des deux phonèmes qui précèdent (rsl), la rime est donc en (rsyr).

En général, la rime se trouve en fin de vers, ou, plus occasionnellement, à la césure. La rime a une réelle fonction organisatrice dans l'ensemble d'un poème. Elle a un rôle également associatif car elle souligne la structure sémantique par des répétitions fondées sur les signifiants, qui permettent de rapprocher des signifiés autrement étrangers l'un à l'autre : il est fréquent que les mots-clés d'un poème se trouvent à la rime. L'effet de ces rapprochements est d'autant plus fort que les deux mots ainsi mis en présence sont différents : ni opposés, ni synonymes, ni associés dans des clichés, mais tels que leur contact soit une surprise.

Le système des rimes est la forme la plus régulière de récurrence phonique dans les vers français. Il y a plusieurs sortes de rimes :

- LA RIME LÉONINE : l'homophonie s'étend sur deux syllabes, ou plutôt englobe deux voyelles prononcées (volant/consolant). Elle est une référence en poésie classique :

Je pressai son exil, et mes cris éternels
L'arrachèrent du sein et des bras paternels.


- LA RIME ÉQUIVOQUÉE : elle peut se présenter de deux manières, soit fondée sur l'homonymie entre deux vocables de sens différents (nuit, nom, et nuit, verbe), soit sous la forme d'un calembour lorsqu'elle englobe plusieurs mots :

Sur moi ne faut telle rigueur étendre,
Car de pécune un peu ma bourse est tendre.


- LA RIME DÉRIVATIVE : elle fait rimer des mots de même racine :

Et pourquoi non ? Ce serait grand diffame,
Si vous perdiez jeunesse, bruit et fame.


- LA RIME HOLORIME : le phénomène d'homophonie s'étend sur le vers entier, et donc, à l'oreille, on a l'impression de deux vers semblables :

Gal, amant de la reine, alla, tour magnanime,
Gallament de la reine à la tour Magne, à Nîmes.

.

- LA RIME COURONNÉE : la syllabe de rime est redoublée :

Ô Mort très rabice bice,
Tu n'es pas genice nice,
Mais de deuil nourrice rice


La poésie classique applique la règle de l'alternance de la rime féminine et de la rime masculine. Les rimes peuvent être croisée(A-B-A-B) , embrassées (A-B-B-A), ou suivies (A-A-B-B)
____________________


LE HAÏKU

Le "haïku" est la forme poétique japonaise dérivée du "haïkaï" lui-même dérivé du "renga".

Un "haïku" est un poème limité à dix sept syllabes réparties en 3 vers :

5 - 7 - 5.

Paul ELUARD s'est essayé à cette forme très concentrée :

La muette parle
C'est l'imperfection de l'art
Ce langage obscur.


Il est apparu au Japon au XIème siècle. Cette forme de poème influença la poésie française au XXème siècle. Sur le modèle classique, le "haïkaï à la française" est un tercet comportant deux pentasyllabes encadrant un heptasyllabe Voici un autre exemple de Paul ELUARD :

Palissade peinte
Les arbres verts sont tout roses
Voilà ma saison.


Le "renga" était composé, lui, de 31 syllabes en 5 vers, mais en alternance de deux versets. Les 3 premiers 5. 7. 5 (hokku), composés par un poète, les 2 suivants 7. 7 (ageku) composés par un autre poète qui lui répondait, et ainsi de suite en nombre pratiquement illimité. Le poème pouvait atteindre et même dépasser 1000 versets. Il était appelé "poème à la chaîne" ou "poème chaînon".

Le "haïku" abréviation de "haïkaï no renga", qui signifie : "poème divertissant", désigne le quintil du renga lorsqu'il est isolé et se suffit à lui-même. On le rencontre parfois dans la poésie francophone actuelle.

Parmi les maîtres japonais qui se sont illustrés dans l'art du "haïku" ancien, il faut retenir les noms de BASHÔ, KIKAKU et BUSON. À titre d'exemples, voici quelques uns de leurs poèmes :

Sur l'étang mort,
Un bruit de grenouille
Qui plonge.

BASHÔ. (Solitude)
_____________

Pour voir les cerisiers en fleurs
Guidé par sa mère, il vient,
Le petit aveugle !

KIKAKU. (L'Aveugle)
_____________

En mélancolie,
Je suis monté sur la colline :
Des ronces en fleurs !

BUSON. (Ronces en fleurs).

_____________


Le "haïku" suivant un moule bien français s'écrit en deux vers rimant entre eux qui encadrent un vers qui s'harmonise ou se désolidarise du couple selon le sens ou la tonalité du poème. Car, toujours, le poème reste musique et rythme.

Exemple français :

STAND HALL

Le Rouge et le Noir
Qui saignent la Nuit qui marche
Sont couleurs du Soir.

Guy FEUGIER. (Les 40 Haïkus de Minn-Hûit)
_____________

PAS

On ne trouve pas !
À quoi sert d'être immobile ?
Il suffit d'un pas.

Guy FEUGIER (Les 40 Haïkus de Minn-Hûit)
_____________


À SUIVRE...









Ce message a été édité - le 08-04-2020 à 18:49 par Laugierandre


Salus
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Posté à 17h51 le 24 Mar 20

Nomenclature patentée,
Dictionnaire plein de santé
Didactique et documenté
Et tout d'une somme hantée
Par un savoir bien cimenté :
Magique et géant - comme Antée.




Ce message a été édité - le 26-03-2020 à 18:12 par Salus


Pierre
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Posté à 18h39 le 24 Mar 20

Je n'ai pas encore tout lu… Mais bon, je vais mon pas.

En plus j'ai vachement de mérite puisque je sais déjà que je vais en oublier tout un tas…

C'est pas grave. J'aime lire tes trucs.


Laugierandre
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Posté à 11h37 le 25 Mar 20


Bonjour SALUS,

Un GRAND MERCI pour cette élogieuse évaluation de ce petit dictionnaire de poétique.

J'essaie de le rendre le moins possible technique, en y ajoutant de nombreux exemples, pour que la lecture ne soit pas rébarbative et puisse intéresser le plus grand nombre d'entre nous. Surtout à l'intention de celles et ceux qui ne sont pas trop familiarisés avec les procédés et les formes de la prosodie.

Ton appréciation ne peut que m'inciter à poursuivre la démarche.

Très bonne journée àà toi.

CARPE DIEM

Salut Salut Salut


Laugierandre
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Posté à 11h52 le 25 Mar 20


Bonjour PIERRE,

C'est très aimable à toi de m'avoir adressé ce petit mot de sympathie qui ne peut que me réjouir.

Je suis très heureux d'être venu m'inscrire sur "lespoetes.net" et je ne regrette absolument pas ma démarche.

Le niveau et la qualité des poèmes, qu'ils soient "libres" ou "classiques", y est de très bonne facture. La convivialité et le respect mutuel en sont un atout non négligeable, ce qui ne peut qu'inciter à participer avec GRAND PLAISIR au partage de poèmes, articles et commentaires.

Toute ma CHALEUREUSE AMITIÉ et CONSIDÉRATION.

Salut Salut Salut

ANDRÉ


Laugierandre
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Posté à 08h30 le 27 Mar 20


LA PARODIE

Du Grec parôdia qui signifie : "chant" et para qui veut dire : "à côté". La parodie, étymologiquement parlant, est désignée comme une sorte de contre-chant d'une littérature parallèle : elle s'utilise et se lit, généralement, au second degré. Mais on peut affirmer qu'elle se s'inscrit dans le cadre de l'intertextualité. (Voir mon article dans le forum à ce sujet).

En fait, par parodie on a l'habitude de désigner l'imitation satirique d'une œuvre réputée "sérieuse". Il est important de distinguer la parodie du travestissement burlesque (pastiche du style plutôt vulgaire pour traiter un noble sujet).

Le but de la parodie est d'adresser un petit clin d'œil aux lecteurs ; elle est un moyen de se moquer des travers de la société du temps. Elle joue à dessein avec les anachronismes, et se plaît à employer un registre de langue familier, voire trivial (vous me connaissez pour savoir que j'use souvent de ce procédé) pour démystifier, en quelque sorte, l'austérité aseptisées des œuvres classiques dont elle s'inspire. Il s'agissait, par exemple, au XVIIe siècle, de dénoncer le badinage précieux des habitués de l'Hôtel de Rambouillet. Tel était d'ailleurs bien l'objectif de Molière dans ses "Précieuses ridicules", ou encore le "Virgile travesti" de Scarron, inspiré lui-même de "l'Énéide travestie", écrite en 1633 par Giambettista Lulli. "Les Contes cruels" de Villiers de Lisle-Adam (Virginie et Paul), ainsi que "Les Amours jaunes" de Tristan Corbières, ou encore "La guerre de Troie n'aura pas lieu", de Giraudoux, en sont de parfaites illustrations.

Comme le pastiche (sujet que j'aborderai bientôt), la parodie imite un modèle célèbre, un poème suffisamment connu pour être reconnu. Mais, à la différence du pastiche qui est simplement une imitation, la parodie s'invente, et elle est une caricature. Toutes les parodies sont toujours des pastiches ; mais tous les pastiches ne sont pas forcément des parodies, comme le souligne Jacques Charpentreau dans son "Dictionnaire de la Poésie française".

"- Le pastiche sourit, il est tendre et timide" écrivait Victor Hugo. "Le fils pastiche le père, le disciple pastiche le maître", tandis que "la parodie ricane et grince"... Le poète-parodiste pourchasse effrontément la nymphe poésie, et un peu de viol ne saurait lui déplaire.

Victor Hugo a certainement été l'un des poètes le plus parodié et le plus pastiché. C'est ainsi dans cette pièce que les fameux vers du Hugo ont été paraphés par Auguste de Lauzanne, le parodiste de service :

... Sait-tu, futur César romain
Que je t'ai là, chétif et petit dans ma main
Et que, si je serrais cette main trop loyale,
j'écraserais dans l'œuf ton aigle impériale ;

Victor Hugo


Vu à présent par le monsieur ci-dessus cité, voilà ce que cela donne :

Je pourrais dans l'instant, ton dédain m'y provoque,
T'écraser dans ma main comme un œuf à la coque.


Henri Bellaunay, célèbre poète contemporain, à, quant à lui, pastiché presque tous les grands classiques. Voici sa manière de célébrer Villon dans "La ballade des étoiles du Temps jadis" :

Dites-moi où n'en quel pays
Est Sophia la belle Loren
Lollobrigida et Vitti,
Qui ne lui cédaient qu'à peine,
B.B. aux bêtes tant amène,
Dessus banquise ou dans les champs
Aux phoques donnant tendre aveine.
Où sont les Étoiles d'antan ?


Et encore un autre pastiche, du même homme, sur un poème de Hugo :

BOOZ INSOMNIEUX

Il s'était mis au lit de bonne heure. Il avait
Bu la fleur d'oranger à l'effet salutaire.
Il avait pris son bain ainsi qu'à l'ordinaire,
Mais il ne dormait pas, et cela l'ennuyait.

Quand on est vieux, on a des nuits interminables.
On attend le sommeil ainsi qu'un baume frais ;
Mais on l'attend encor lorsque l'aube paraît
Comme un phoque pensif échoué sur les sables (...)


"- Le pastiche, écrivait Oscar Wilde, c'est la muse ironique. Depuis toujours il m'a séduit, mais il exige un amour réel du maître caricaturé. Seuls les disciples peuvent parodier".
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LA BINARITÉ

La binarité est une structure linguistique qui manifeste une relation entre deux termes ou deux segments comparables

Un vers est dit "binaire" quand on désire distinguer deux éléments. C'est le cas, par exemple, pour l'alexandrin dont les deux hémistiches sont égaux (6+6).

Cela s'applique, également, pour le décasyllabe structuré en 4/6.

Exemple pour l'alexandrin :

Que toujours dans vos vers/ le sens coupant les mots
Suspende l'hémistiche, / en marque le repos. (N. Boileau in "Art poétique")


Exemple pour le décasyllabe :

Sur ce propos, / d'un conte il me souvient.
(J. de la Fontaine, in "L'ivrogne et sa femme")


Par la coordination, comme par exemple les épithètes dans "Élévations" de Baudelaire, où l'on trouve :

Avec une indicible et mâle volupté
Et bois, comme une pure et divine liqueur
S'élancer vers les champs lumineux et sereins.

Par la juxtaposition, ainsi dans le premier quatrain de ce même poème où, aux vers 1 et 3, la binarité syntaxique soulignée par l'anaphore (Au-dessus... au dessus... dans l'un ; Par-delà..., par-delà... dans l'autre) se superpose à la binarité du vers, puisqu'il y a chaque fois répartition de part et d'autre de la césure :

Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par-delà le soleil, par-delà les éthers,
Par-delà les confins des sphères étoilées (...)

Très souvent, la binarité se joint à des faits de parallélisme, de chiasme d'antithèse. On parle également de phrase binaire, en rhétorique, lorsque protase* et adopose** s'équilibrent nettement.
_____________________

* Protase : La protase est la subordonnée conditionnelle placée en tête de phrase, qui prépare la conséquence ou la conclusion exprimée dans la principale qui suit, appelée apodose.

** Apodose : On désigne, sous ce terme, la proposition principale qui, placée après une subordonnée conditionnelle (dite protase), en indique la conséquence ou la conclusion. Ainsi, dans la phrase : "Si Pierre oublie encore l'heure du rendez-vous, je vais me fâcher," la principale je vais me fâcher est l'apodose, et Si pierre oublie l'heure du rendez-vous est la protase (À ne pas confondre avec la prostate.)
____________________


LE PASTICHE

Le mot a été emprunté à l'italien au XVIIe siècle, tiré de pasticcio, qui signifie "mélange". En poésie, le pastiche suppose, pour être pleinement goûté, que le modèle soit suffisamment connu du lecteur. Autrement dit, on pastiche un grand auteur qui a son propre style, et rarement un poète de second plan. C'est également la règle dans la parodie, mais celle-ci a alors un aspect satirique que n'a pas forcément le pastiche. En résumé, on peut dire que l'un comme l'autre sont des hommages au talent de l'auteur pastiché ou parodié

Plus le style de l'auteur servant de modèle est caractéristique et personnel, plus il est facile à pasticher. On sait qu'en poésie, la forme joue un rôle important dans cette reconnaissance. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, le pastiche et la parodie ne sont pas des arts mineurs, mais une vraie littérature qui demande une solide maîtrise poétique et beaucoup de talent.

Devant un pastiche réussi, le lecteur doit se sentir saisi d'un trouble vague, comme s'il se trouvait en présence de frères jumeaux - si parfaitement identiques et pourtant différents - en même temps qu'il doit se trouver ravi d'avoir deux personnes à aimer, deux objets à admirer au lieu d'un seul. L'un des deux est plus moqueur que l'autre, certes, puisque si l'un est sérieux, le second fait le pitre. Et le vertige finit alors par saisir celui qui en arrive à se demander si le pastiche, par hasard, ne serait pas l'original

Ci dessous, à titre d'exemple, sur un poème de Rutebeuf une nouvelle structure mise en chanson par Léo Ferré, qui redonna, sept ans plus tard, un regain populaire à ce poème classique.

Que sont mes amis devenus,
Que j'avais de si près tenus,
Et tant aimés ?
Je crois qu'ils sont trop clair semés ;
Ils ne furent pas bien fumés,
Ils ont failli.


...
Ce sont amis que vent emporte,
Et il ventait devant ma porte :
Les emporta.
________________

Que sont mes ennuis devenus,
Qui m'avaient de si près tenu
Et tant navré ?
Comme oisels se sont envolés
Je crois qu'Amour les a ôtés :
Amour est forte;
Ce sont ennuis qu'Amour emporte,
Et soleil lui devant ma porte.

________________

Le pastiche ne reprend pas seulement des vers célèbres en les modifiant, ni de copier le rythme, les rimes ou les tournures d'expression. Il fonctionne dans un système à trois dimensions : un auteur célèbre, un lecteur attentif et cultivé, un pasticheur de talent. C'est l'esprit même du poète qui est pastiché, son style, son inspiration, ses techniques, ses thèmes. Le lecteur appréciera d'autant plus qu'il connaît et apprécie le poète pastiché

Autre exemple : Victor Hugo (1802-1885) pastiché par Édouard Delprat, dans "Les frères d'armes" (1865)


PROLOGUE

Seigneur, Seigneur mon Dieu, prenez pitié de nous,
Car vous êtes celui qu'on adore à genoux,
Et pour qui tout cèdre est brin d'herbe ;
Celui que le glacier tout bas nomme à l'aiglon ;
Celui dont l'autel pur fume au fond du vallon,
Comme au sommet du mont superbe.

Moi, qui suis si petit auprès de vous, GÉANT,
J'ai, devant vos splendeurs, admiré mon néant,
Et dit (car je cherche la cause) :
Si l'Être doux et fort qui fit le Mont-Perdu,
M'a dans la vie aride un moment suspendu,
C'est pour y faire quelque chose !

Je n'irai pas la nuit comme fait le chacal ;
Je ne ramperai pas dans les sentiers du mal,
Comme fait l'adroite couleuvre ;
Je ne pillerai pas comme font les vautours ;
Non. Je chanterai Dieu sur le sommet des tours.
J'accomplirai toute mon œuvre.

Le souffle du Dieu fort remplira mon clairon.
Mon vers châtiera ceux qui courbent leur dos rond
Devant les rois et les infâmes.
Je triompherai, seul, de tous ces triomphants.
Mais je resterai doux pour les petits enfants,
Et tendre pour les faibles femmes !

Et quand j'eus dit cela, l'abîme noir et sourd
Qui vit passer jadis le Kalife Almansour,
Quand il poursuivait Charlemagne,
Fit un signe de tête aux pics de Marboré,
Et leur dit : « Écoutez. Cet homme est inspiré,
« Et l'esprit de Dieu l'accompagne ! »

__________________

À SUIVRE...




Ce message a été édité - le 10-04-2020 à 11:51 par Laugierandre


Laugierandre
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Posté à 12h20 le 28 Mar 20


LE PALINDROME

Du grec "palin" qui signifie "de nouveau" et "dromes" qui veut dire "courses". Le mot apparaît au XVIIIème siècle, mais la particularité qu'il désigne était connue bien avant.

Le palindrome est un exercice savant qui autorise la lecture dans les deux sens, de gauche à droite selon notre système, ou de droite à gauche. Il peut s'appliquer aux syllabes, aux mots, aux lettres ; ne peut porter que sur un mot, sur une phrase, mais également sur un texte tout entier. Il n'est pas sensible à l'audition, ni même à la lecture ; de ce fait il exige que le lecteur soit au courant de son utilisation.

Les spécialistes considèrent que le palindrome est un cas spécifique de "l'anacyclique" qui, en retournant un mot, permet d'en trouver un autre, comme par exemple : Noël qui donne Léon. Il est appelé aussi "rime rétrograde", ou encore vers rétrogrades à cause de la possibilité de lire dans n'importe quel sens.

En voici quelques exemples :

Triomphalement cherchez honneurs et prix,
Désolés, cœurs méchants, infortunés,
Terriblement êtes moqués et pris.


On peut lire ce texte à l'envers, comme suit :

Pris et moqués êtes terriblement
Infortunés, méchants, cœurs désolés,
Prix et honneurs cherchez triomphalement.
_____________________


Douceur, bonté, gentillesse,
Noblesse, beauté, grand honneur,
Valeur, maintien et sagesse,
Humblesse en doux plaisant atour


qui devient, en le lisant à l'envers :

Gentillesse, bonté, douceur,
Honneur, grand beauté, noblesse,
Sagesse et maintien, valeur,
Atour plaisant doux en humblesse.

______________________

Ces acrobaties plus ou moins convaincantes ont séduit quelques écrivains à la fin du XXème siècle, en liaison avec les amusettes de l'Oulipo.

Le palindrome peut s'appliquer mot à mot comme dans l'exemple ci-dessous, de Michèle Grangaud :

Temps à part, pousse pousse, part à temps.
____________________



LA STANCE

Le mot est emprunté de l'italien "stanza" où l'on retrouve l'équivalent dans l'ancien français "estance". Ce terme a été introduit dans notre langue au XVIe siècle, avec à peu près le même sens que le mot "strophe". Il a d'abord été réservé à l'ode et a été couramment utilisé jusqu'au XIXe siècle. Il l'est encore, de nos jours, mais plus rarement.

On a voulu établir une différence entre la stance et la strophe. La première formerait un tout, le sens s'arrêtant avec le dernier vers du groupe, tandis que la seconde admettrait que la phrase non terminée continuât avec la strophe suivante.

Par ce sage écrivain la langue réparée
N'offrit plus rien de rude à l'oreille épurée ;
Les stances avec grâce apprirent à tomber ;
Et le vers sur le vers n'osa plus enjamber.

BOILEAU in : "Art poétique". 1669)


Boileau faisait allusion à Malherbe, qui, comme on le sait, condamnait l'enjambement

Au XVIIe siècle, sous ce mot on désignait ainsi de manière spécifique les passages lyriques des pièces classiques, comme les stances de Rodrigue dans le Cid ou celles d'Antigone dans La Thébaïade, dont la facture hétérométrique, la disposition des rimes contrastaient avec le reste de la pièce, en alexandrins à rimes plates.

Un poème que nous qualifierions de strophique serait donc composé de stances, bien marquées par la structure et le sens. Elles seraient toutes, dans ce poème, composées sur le même modèle quant aux mètres et aux rimes. Le nombre de vers devrait être le même dans toutes les stances.

Le mot stance n'avait pas de connotation particulière ; il désignait aussi bien sous cette dénomination générale un poème religieux, comme celui de Gabrielle de Coignard "Stances sur la nativité de Jésus-Christ" qu'un poème galant de Jean Bertaut, intitulé, lui aussi "Stance". On retrouve encore le terme chez Alfred de Musset, dans son poème intitulé : "À la Malibran", sous-titré "Stances", composé de vingt-sept strophes de même modèle, dont voici un extrait :

À LA MALIBRAN

Sans doute il est trop tard pour parler encor d'elle ;
Depuis qu'elle n'est plus quinze jours sont passés,
Et dans ce pays-ci quinze jours, je le sais,
Font d'une mort récente une vieille nouvelle.
De quelque nom d'ailleurs que le regret s'appelle,
L'homme, par tout pays, en a bien vite assez.

...


Actuellement on emploie le terme strophe de préférence à celui de stance, les deux termes pouvant être considérés comme synonymes.
____________________


LA LIAISON

La liaison est une figure de style qui consiste dans la sonorisation d'une consonne muette finale de mot au contact de la voyelle initiale du mot suivant. La prononciation des liaisons entre les mots pose certains problèmes dans la diction des vers.

La diction poétique, on le sait, suit les règles générales de la prononciation du français, avec quelques nuances qui tiennent à la versification proprement dite. Mais ces règles peuvent elles-mêmes varier suivant les époques, les niveaux de langue, les classes sociales. De nos jours, l'ignorance de l'orthographe la plus élémentaire fait entendre, aussi bien à la radio, à la télévision que dans la bouche des journalistes qui auraient dû préparer leur diction, soit des liaisons fautives, soit l'absence de liaisons. Cette carence (que l'on retrouve même chez certains enseignants de français, eh ! oui, et c'est dramatique) est particulièrement sensible pour les adjectifs numéraux cardinaux (vingt et cent), dont les règles du pluriel sont souvent ignorées.

Cette notion d'harmonie est vague, en poésie. On pourrait, bien entendu, se contenter de laisser chacun décider des liaisons à faire ou à éviter. Cependant, il n'en est pas question étant donné que la poésie exige une diction soignée, du moins quand elle a été composée par un poète sensible à l'harmonie et la bonne élocution.

La structure même de la versification traditionnelle de la poésie française reposant sur la mesure du vers marquée par le retour de la rime, un léger repos, à peine perceptible, est nécessaire à la fin du vers. Cet infime silence empêche toute liaison entre le dernier mot d'un vers et le premier du vers suivant, constituant ainsi une exception à la règle générale de la liaison. C'est la même cause qui empêche un hiatus entre deux vers.


Si je croise jamais un des amis lointains
Au mal que je lui fis vais-je le reconnaître ?

Jules SUPERVIEILLE, in "Les Amis inconnus"


On s'en rend compte, on ne doit pas faire la liaison entre le "S" de lointains" avec le premier mot : "Au" du début du second vers.

Une difficulté peut apparaître avec l'enjambement. On remarquera que les poètes pratiquant l'enjambement, essentiellement avant BOILEAU qui l'avait banni, e après Victor HUGO qui l'employait systématiquement pour briser la monotonie de l'alexandrin, évitent d'utiliser deux mots qui pourraient entraîner une liaison, mais pas toujours, évidemment. En ce cas, la liaison n'est pas souhaitable.


J'ai combattu la foule immonde des Sodomes ;
Des millions de flots et des millions d'hommes
Ont rugi contre moi sans me faire céder ;

...

Victor HUGO, in "L'Art d'être grand-père".



Pour résumer, en règle générale, aucune liaison ne doit se faire d'un vers à l'autre. C'est un principe qui est toujours respecté, même dans la poésie moderne. De plus, il est d'usage de ne faire sentir aucune liaison en cas d'interruption, de changement d'interlocuteur, et devant les interjections.

Par contre, toutes les liaisons doivent se faire à l'intérieur du vers. Cela va sans dire pour les liaisons qui se feraient de toute façon, même dans un texte en prose, ainsi que dans ces vers de "Phèdre", cité pour exemple :


Dans le doute mortel dont je suis agité,
Je commence à rougir de mon oisiveté.



Il est plus difficile d'envisager la liaison quand les mots sont séparés par un signe de ponctuation :

Tu disais ; et nos cœurs unissaient leurs soupirs.

LAMARTINE

___________________

À SUIVRE...




Ce message a été édité - le 10-04-2020 à 11:37 par Laugierandre


Laugierandre
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Posté à 10h35 le 29 Mar 20


LA TMÈSE


La tmèse, du grec "tmêsis" est une figure de construction qui signifie "coupure", et par laquelle un élément verbal (ou plusieurs) s’intercale entre les termes d’un mot composé ou d’une locution ; ainsi dans ce quatrain de la « Prose pour des Esseintes » de Mallarmé.


Telles immenses, que chacune
Ordinairement se para
D’un lucide contour, lacune,
Qui des jardins la sépara.



On se rend bien compte que dans ces groupes de mots indissociables, et d’un usage courant dans le quatrain, se sont intercalés d’autres mots. Un autre exemple de tmèse, extrait d’un texte de Jean de Rotrou, dans "Venceslas" :

Apprenons l’art, mon cœur, d’aimer sans espérance.

Aragon commente ainsi ce vers, montrant la portée de la tmèse qui y est employée : – «Allez-y ne vous gênez pas, déplacez ce cœur à tout point du vers, et vous verrez qu’il n’en reste rien. Et dans lui le lecteur fera toujours un contresens (l’art d’aimer venant d’un coup, rompt la liaison des mots aimer sans espérance, qui est essentiel ici, car ce n’est pas que d’aimer qu’il s’agit).» En déstructurant ainsi la phrase par l’intermédiaire de la tmèse, Rotrou lui donne une expressivité et un sens nouveaux.

On retrouve une autre utilisation de la tmèse dans le distique ci-dessous, extrait de P. Valéry dans son œuvre « Poésies»


Quelle et si fine, et si mortelle
Que soit ta pointe, blonde abeille (…)



La tmèse s’apparente à l’hyperbate qui, en linguistique, est une figure de construction qui met en jeu une forme d’inversion. Autrement dit, la phrase paraît terminée, et l’auteur ajoute un élément, mot ou syntagme, qui est ainsi fortement mis en relief. Le poète René Char, ainsi que beaucoup d’autres poètes, (surtout les surréalistes) ont utilisé ce procédé.

Étant donné que les figures de construction sont destinées à l’agencement du discours, les mots sont considérés comme des matériaux ; il faut les combiner entre eux et les disposer dans un certain ordre afin qu’ils forment un tout cohérent, pour que leur ensemble ait de l’impact. La tmèse, en ce sens, a pour objet la structure de la phrase, voire, plus largement, celle du discours.
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L'ORALITÉ


La poésie a toujours entretenu une relation étroite avec la performance à voix haute, définie comme l'action complexe par laquelle un message poétique est simultanément transmis et perçu, ici et maintenant, autrement dit par la voix et l'ouïe.

" - La poésie est une parole pleine, elle use de tous les aspects physiques de la langue" écrit Coleridge, en 1817. On pourrait ajouter que la poésie chante pour apprendre à douter et maintenir par là notre liberté, notre indépendance de poète.

Ce lien, ancien et fondateur trouve son bien-fondé dans le fait que la poésie a précédé l'écriture, et a longtemps été destiné à des récitations en musique, et qui a connu son apogée à l'époque des troubadours.

Travaillant non seulement les mots, leur organisation particulière pour susciter des effets que l'on peut décrire avec quelque rigueur, la poésie phonique conduit à la limite où la versification cesse d'être de la poésie pour basculer du côté de l'art des sons : la musique. Les synesthésies, comme l'harmonie imitative, doivent donc être utilisées, intégrées, assimilées par l'organisation textuelle du poème. Elles constituent, de ce fait, un moyen et non la fin de l'activité poétique. On peut appeler ce phénomène une sorte de pouvoir mimétique des sons du langage.

Mallarmé, ou encore Isidore Isou, ont cherché des codes précis pour indiquer la façon de restituer correctement leurs textes, en inventant des "poèmes-partitions" utilisant des systèmes particuliers de notation des notations des intonations ou des bruits.

Le XXème siècle a vu se développer une poésie sonore cherchant à exploiter la matière vocale pure d'où le lexique et la syntaxe peuvent être totalement exclus. Ces créations sont présentées comme une libération par rapport aux contraintes de la langue, ou encore, par certains, comme u enrichissement de ses ressources. En 1918, Apollinaire incite, par exemple, à trouver de "nouveaux sons". Ces démarches, en fait, n'ont rien de contemporaines. Elles renouent, simplement, avec des pratiques anciennes comme l'incantation ou le chant. Ces deux formes d'oralité donnent une place importante à un corps qui est à la fois celui "physiquement individualisé, de chacune des personnes engagées dans la performance, et celui, plus difficilement cernable, mais bien réel, de la collectivité". Autrement dit, elles reposent sur l'exercice de la "puissance physiologique" complète de la voix qui ne tient pas de façon immédiate au sens, mais prépare le milieu où il se dira.

À ce titre, son évaluation esthétique doit dépasser le simple examen des textes pour prendre en compte, comme au théâtre, l'ensemble de la performance.

Mallarmé, à ce propos, a écrit : - "Le vers qui de plusieurs vocables refait un mot total, neuf, étranger à la langue et comme incantatoire, achève cet isolement de la parole : niant, d'un trait souverain, le hasard demeuré aux termes malgré l'artifice de leur retrempe alternées en le sens et la sonorité, et vous cause cette surprise de n'avoir ouï jamais tel fragment ordinaire d'élocution, en même temps que la réminiscence de l'objet nommé baigne dans une neuve atmosphère".

Reconnaissons que le fait de faire glisser le sens des mots pour l'accorder aux valeurs expressives de leurs sonorités est la recherche de tout poète amoureux de l'harmonie musicale.
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LES VERS MÊLÉS

Sous cette dénomination on a souvent associé les "vers libres", ce qui a provoqué une certaine confusion avec cette dernière catégorie instituée à la fin du XIXe siècle par les Symbolistes. Les "vers mêlés" sont, en fait, un mélange de vers de "mesures différentes", sans que ce mélange ait une structure régulière. La plupart des "Fables" de La Fontaine sont écrites en vers mêlés, des alexandrins se trouvant associés à des décasyllabes, des octosyllabes ou encore des tétrasyllabes.

Mais au XVIIe siècle on les appelaient des "vers libres". Monsieur De La Fontaine respectait ce mélange de mètres tout à fait reconnaissables (pair le plus souvent) et tous ses vers rimaient. Les rimes peuvent être plates, croisées, embrassées ou distribuées dans un mode de composition non strophique.

Dans l'exemple suivant, extrait du début de la fable intitulée "L'hirondelle et les petits oiseaux", de La Fontaine, on constate que se mêlent octosyllabes et alexandrins. Elle se compose de trois phrases réparties en deux ensembles : un quatrain en rimes embrassées (ABBA), suivi d'un distique en rimes plates (CC) ; autrement dit, deux ensembles qui développent trois phrases enchâssées :

Une hirondelle en ses voyages (A)
Avait beaucoup appris. Quiconque a beaucoup su (B)
Peut avoir beaucoup retenu. (B)
Celle-ci prévoyait jusqu'aux moindres orages, (A)
Et devant qu'ils fussent éclos, (C)
Les annonçait aux Matelots. (C)


Les "vers mêlés" connurent un grand succès au XVIIIe siècle. Les "Contes de Perrault" sont ainsi composés, tout comme certaines pièces de théâtre dont on peut citer "Psyché". Au XIXe siècle, les Romantiques (Musset, Lamartine, Victor Hugo en tête), employèrent à leur tour cette forme qui a bien embarrassé les critiques de l'époque. Certains lui reconnaissaient une grande régularité, tandis que d'autres, au contraire, la jugeaient très irrégulière. On peut noter, dans l'exemple retenu ci-dessus, une parfaite concordance entre la syntaxe et la métrique, concordance d'autant plus respectée qu'elle est soulignée par la ponctuation et la structure des vers : césure des alexandrins, place des accents rythmiques, et respect du principe : rimes féminines/masculines.

Il ne faut surtout pas confondre "vers libres" (ou vers mêlés avec la poésie dite libre, ou libérée. La "poésie libérée", comme l'explique dans son remarquable ouvrage Gilles Sorgel, est une poésie qui n'a plus l'apparence, à l'œil, d'une poésie classique, mais qui en conserve, consciemment ou inconsciemment, les éléments de base.
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À SUIVRE...


Laugierandre
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Posté à 12h04 le 01 Apr 20


L'ORGANISATION DES STROPHES

En s'appuyant sur l'organisation des "strophes", en poésie, on peut distinguer les poèmes monostrophiques, les homostrophiques où un même schéma se répète, et les poèmes hétérostrohiques, qui présentent divers schémas successifs.

On peut donc envisager les formes fixes dans une perspective achronique en proposant des typologies qui s'appuient sur des critères internes, tels que la combinatoire des strophes utilisées, ou la plus ou moins grande importance respective des facteurs formels et sémantiques.

1°) - POÈMES MONOSTROPHIQUES.

Exemple de poème monostrophique :

On trouve le rondel simple qui deviendra le triolet au XVIe siècle.

Sidonie a plus d'un amant,
C'est une chose bien connue
Qu'elle avoue, elle, fièrement.
Sidonie a plus d'un amant
Parce que, pour elle, être nue
Est son plus charmant vêtement.
C'est une chose bien connue,
Sidonie a plus d'un amant.

Charles CROS - Triolets fantaisistes.


Nous avons affaire, ci-dessus, à une forme fixe minimale.


2°) - POÈMES HOMOSTROPHIQUES

Si, dans ce cas, une même strophe se répète, il faut signaler que, généralement, la fin du poème est marquée par un léger changement, tel que la présence d'une strophe plus longue ou plus courte, ou différents jeux sur les refrains.

C'est dans la villanelle, introduite à la Renaissance, et qui est encore en faveur au XIXe siècle. En effet, divisée en tercets, dont le nombre n'est pas fixé, elle est écrite sur deux rimes, le 1er et le 3e vers du premier tercet reparaissant tout à tout dans tout le poème et devenant alternativement le dernier vers de chaque tercet. Quant au dernier couplet, il est un quatrain de 2 vers suivi des deux vers répétés tout au long du poème.

Exemple de poème homostrophique :

Près de Marie-Antoinette,
Dans le petit Trianon,
Fûtes-vous pas bergerette ?

Vous a-t-on conté fleurette
Aux bords du nouveau Lignon,
Près de Marie-Antoinette ?

Des fleurs sur votre houlette,
Un surnom sur votre nom,
Fûtes-vous pas bergerette ?

Etiez-vous noble soubrette,
Comme Iris avec Junon,
Près de Marie-Antoinette ?

Pour déniaiser Ninette,
Pour idylliser Ninon,
Fûtes-vous pas bergerette ?

Au pauvre comme au poète,
Avez-vous jamais dit : Non,
Près de Marie-Antoinette ?

O marquise, sans aigrette,
Sans diamants, sans linon,
Fûtes-vous pas bergerette ?

Ah ! votre simple cornette
Aurait converti Zénon !
- Près de Marie-Antoinette,
fûtes-vous pas bergerette ?

Philoxène BOYER - La Marquise Aurore.


Il convient de citer, dans le cadre des poèmes homostrophiques, le vilerai et enfin l'ode, du moins l'ode horatienne, composée de strophes identiques.


3°) - POÈMES HÉTÉROSTROPHIQUES

On rangera, dans cette catégorie, le rondeau marotique où deux quintils encadrent un tercet, et le sonnet où les deux tercets succèdent à deux quatrains.

Ce qu'on peut retenir de ce classement, c'est la diversité des formes fixes et du rôle qu'y joue la strophe, ainsi que la nature particulière de la fin du texte qui se présente le plus souvent comme une rupture. Les formes fixes s'inscrivent, en effet, sur un continuum qui va de contraintes purement formelles (le rondeau), à une définition exclusivement sémantique (la complainte). Dans l'entre-deux, la plupart des formes fixes sont définies par l'un ou l'autre aspect. C'est le cas du sonnet qui repose à la fois sur un nombre de vers (14), une combinaison de rimes, et une tension ainsi qu'un déséquilibre entre des masses différentes.

Ce double principe de définition explique que les formes fixes soient moins rigides que leur dénomination ne le laisse supposer et qu'elles aient pu évoluer.
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LA RIME RÉTROGRADE

On appelle "rimes rétrogrades" des rimes où les vers peuvent se lire dans les deux sens ; il peut s'agir aussi bien de l'ordre des lettres (on dit aussi palindrome) que de l'ordre des mots. La littérature latine pratiquait déjà le palindrome. Le genre était très en vogue à l'époque des Grands Rhétoriqueurs, étant considéré comme un tour de force. Il fut, peu à peu, abandonné à la fin du XVIe siècle, pour revenir en force au XXe siècle, grâce à un effet de mode remis au goût du jour par les "Oulipiens". En fait, sa valeur poétique est de peu d'importance.

Le record semble être cet hexamètre dont chaque lettre offre une répétition exacte :

Arca serenum me gere regem munere sacra.

On peut lire ce vers à rebours sans que la mesure ni le sens n'en soient altérés.

Un autre exemple classique :

Roma tibi subito motibus ibit amor.

Même principe, mêmes effets.

Voici un exemple plus récent :

Triomphalement cherchez honneurs et prix,
Désolés, cœurs méchants, infortunés,
Terriblement êtes moqués et pris.


On peut lire ces vers tout à fait en sens contraire :

Pris et moqués êtes terriblement,
Infortunés, méchants, cœurs désolés,
Prix et honneurs cherchez triomphalement.


Les spécialistes considèrent que cet exercice intellectuel est un cas particulier de l'anacyclique qui, en retournant un mot permet d'en trouver un autre : "Noël" donne ainsi "Léon".

On l'appelle aussi ce genre de vers des "vers récurrents". Georges PEREC, dans le cadre de L'OULIPO (La littérature potentielle) a proposé un long poème en prose de six pages.

La poésie ne peut utiliser la rime rétrograde que comme une gageure dont la fantaisie fait excuser cette incohérence. À vrai dire, la poésie lyrique a peu à y gagner, car ce procédé reste une difficulté formelle, le plus souvent.
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LA RIME FRATERNISÉE (ou RIME FRATISÉE)

Comme son nom l'indique, le vers fraternise avec le suivant, la rime se retrouvant intégralement au début de l'autre. Elle est à la fois annexée et fondée sur un calembour, comme pour la "rime équivoquée".


EXEMPLE :

Pour dire vrai, au temps qui court
Cour* est un merveilleux passage
Pas sage n'est qui va en court ;
Court est son bien et davantage.

* La cour royale

CRÉTIN


Ce genre d'acrobatie séduisait les Grands Rhétoriqueurs. Il est pratiquement abandonné de nos jours.

J'en ai donné quelques exemples dans mes propres poèmes humoristiques.
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LA RÉMINISCENCE

En poésie la "réminiscence" est un souvenir qui influence un créateur, à son insu. À ce titre, elle ne doit pas être confondue avec le "pastiche", ni avec le "plagiat"

Le mot vient du latin "reminiscentia", autrement dit de "reminisci", qui signifie : se souvenir. Il faut faire, cependant, une distinction entre le souvenir et la réminiscence. En philosophie, la notion de réminiscence vient de PLATON : elle était un souvenir du monde des Idées où l'âme accédait avant sa déchéance. "La réminiscence est comme l'ombre du souvenir", écrivait JOUBERT, en 1786.

Il faut prendre garde puisque la réminiscence littéraire peut être vive et trompeuse. Souvent, nous croyons créer quand nous nous souvenons. C'est un fait d'intertextualité qui se dessine alors. Les poètes utilisent la réminiscence comme une sorte de réutilisation inconsciente d'une tournure, d'un rythme, d'un vocabulaire. L'antériorité d'un des deux poèmes qui se ressemblent atteste la réminiscence de l'autre - ou une simple coïncidence.

EXEMPLE :

- Que le jour s'achève ou renaisse. (Victor HUGO)

- Que le soleil meure ou renaisse. (Louis ARAGON).



La réminiscence provient de poèmes d'une qualité littéraire généralement suffisante pour s'imprimer dans l'esprit d'un lecteur cultivé connaissant bien la poésie. Elle peut reprendre la structure de vers se trouvant inconsciemment dans la mémoire.

AUTRE EXEMPLE :

- Il vient un temps pour la souffrance. (Guillaume APOLLINAIRE)

-Il est un temps pour la souffrance. (Louis ARAGON)



Certaines images traditionnelles s'imposent, réminiscentes ou non. Certaines rencontres poétiques proviennent du fonds poétique commun de notre littérature.

Tout de même, certaines réminiscences sont bien difficiles à distinguer du plagiat. Ainsi ce rapprochement que signalait Charles NODIER dans son ouvrage "Questions de littérature légale", entre 1812 et 1828, en citant cet exemple :


- Et ce même Sénèque, et ce même Burrhus,
Qui depuis... Rome alors estimait leurs vertus.

Jean RACINE (Britanicus) 1669

- Et ce même Biron, ardent, impétueux,
Qui depuis... mais alors il était vertueux.

VOLTAIRE (La Henriade) 1723



Ces ressemblances sont, en effet, troublantes... S'agit-il, comme on dit aujourd'hui, d'une réécriture ?
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LE TRIOLET

Le triolet est une forme fixe médiévale. Il appartient à la même famille que « le trèfle », par analogie entre la feuille tripartie du trèfle et le fait que dans le poème trois vers soient répétés. Au XIIIe siècle, le triolet apparaît comme l’ancêtre du « rondeau ».

Il est fondé sur un système de répétition de vers entiers sur ses huit vers. Les deux premiers sont repris tels quels en finale, le tout premier revenant aussi comme quatrième vers, schéma que l’on peut indiquer ainsi : ABaAabAB

Cette forme plaisante, un peu désuète aujourd’hui, fut à la mode et connut un regain de popularité dans la première partie du XVIIe siècle, car elle convenait bien aux petits poèmes spirituels de la Préciosité. On pouvait placer les triolets les uns à la suite des autres et constituer ainsi un poème strophique.

Le genre passa de mode, remplacé par une poésie plus sérieuse, sans jamais disparaître entièrement. Il fut, en effet, redécouvert à la fin du XIXe siècle par les poètes qui suivirent les Parnassiens. Certains de ces nouveaux triolets connurent un franc succès.

Ci-dessous, un bel exemple de triolet en décasyllabes de Guillaume de MACHAUT :


Blanche com lys, plus que rose vermeille,
Resplendissant com rubis d'Orient,
En remirant vo biauté non pareille,
Blanche com lys, plus que rose vermeille,
Suy si ravis que mon cuers toudis veille
Afin que serve à loy de fin amant,
Blanche com lys, plus que rose vermeille,
Resplendissant com rubis d'Orient.



On peut le constater, les deux premiers vers sont repris en finale.

Un autre exemple de Théodore de BANVILLE, en octosyllabes, cette fois :


Si j'étais le Zéphyr ailé,
J'irais mourir sur votre bouche.
Ces voiles, j'en aurais la clé
Si j'étais le Zéphyr ailé.
Près des seins pour qui je brûlai
Je me glisserais dans la couche.
Si j'étais le Zéphyr ailé,
J'irais mourir sur votre bouche.



À l’époque de la Fronde, le triolet a été utilisé à des fins satiriques. MALLARMÉ en a écrit quelques uns de genre plaisant, tel celui-ci-dessous :


TRIOLET IMPROVISÉ

Peltier et le blond Jalouzet
Sont les deux astres de la classe.
Jalouzet craint déjà loups et
Tigres, quand on nomme sa place.
Peltier plus encor jaloux est
Quand l'" astre blondin " fond sa glace.
Peltier le moine et Jalouzet
Sont les deux astres de la classe.

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À SUIVRE...




Ce message a été édité - le 04-04-2020 à 17:19 par Laugierandre


Salus
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Posté à 15h49 le 01 Apr 20


Attention, ami lexicographe, à ce que tu copies-colles, le net est noir de bévues reproduites à l'infini !
- ainsi, au début de ton post le refrain :

Près de Marie-Antoinette,
Dans le petit Trianon,
"Fûtes-vous pas bergerette ?"

ce sont des heptasyllabes.




Ce message a été édité - le 01-04-2020 à 16:09 par Salus


Laugierandre
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Posté à 19h34 le 01 Apr 20


Bonsoir SALUS, et merci pour cette remarque. Qu'elle soit positive ou négative une critique est toujours la bienvenue, puisqu'elle permet de part et d'autre d'exprimer ses arguments.

Je vais donc procéder dans l'ordre de tes observations :

Je me suis initié à la poésie depuis déjà une cinquantaine d'années. À cette époque il n'y avait pas d'ordinateurs, et mes sources, dans l'apprentissage des dures règles de la prosodie, ont été mon Père, poète classique lui-même, qui m'a enseigné les formes, les règles et les traits spécifiques de la versification traditionnelle.

Ceci pour te dire que si je suis arrivé au niveau dans lequel j'évolue, ce n'est certainement pas en faisant des "copier-coller" pour faire profiter de mon expérience mes Ami(e)s poètes. Bien entendu, je possède d'assez nombreux dictionnaires et ouvrages traitant du langage poétique. C'est à eux que je me réfère, et en AUCUN CAS, aux rubriques d'Internet qui, je suis d'accord avec toi, diffusent le meilleur comme le pire.

Bien sur que les vers de Philoxène BOYER sont des heptasyllabes. Je pense quand même, même si je n'ai pas la prétention d'être omniscient, connaître le nom des différentes rimes, ce qui fut l'un de mes premiers enseignements.

La seule erreur que j'ai commise, c'est avoir oublié le "pas" devant le mot "bergerette".

Voilà ce que j'avais à dire. Je peux, en toute modestie, rassurer tous les poètes du forum sur le fait que les informations qu'ils trouveront dans ce "Petit dictionnaire de poétique", ne sont pas comme tu l'as suggéré avec un peu d'imprudence et de légèreté, le résultat de "copier-coller", mais le fruit d'une longue expérience... et je sais que j'ai encore tant à apprendre, puisque la perfection n'existe pas, mais que s'en rapprocher le plus possible est le but à atteindre.

Salut Salut Salut

ANDRÉ






Ce message a été édité - le 01-04-2020 à 19:37 par Laugierandre

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