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Auteurs Messages

Laugierandre
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Posté à 17h46 le 16 Apr 20


LE PASQUIL

Ce mot désigne un poème satirique. Il apparaît dans le premier tiers du XVIe siècle et vient de l'italien "Pasquina" qui indique une statue antique à Rome servant de support à des écrits satiriques. On parlait aussi de pasquinade".

Le terme était encore utilisé au XVIIe siècle. Il fait partie des "forfaits" dont on accable Boileau lorsqu'il est de retour à Paris :

...
Un écrit scandaleux, sous votre nom se donne,
D'un pasquin qu'on a fait, au Louvre on vous soupçonne
...

BOILEAU. (Épitre VI.À M. de Lamoignon. 1677)


À la fin du siècle, le "Dictionnaire de l'Académie" (1694) définit ainsi le "pasquin" :

"Satire courte, ainsi nommée à cause d'une vieille statue mutilée qui est à Rome, où on a accoutumé d'afficher ces sortes de satires".

Le mot disparut ensuite en ce sens, supplanté par "l'épigramme". Au XVIIIe siècle, il prend le sens de "bouffon".

Quant au pasquin de Boileau, il faut admettre qu'aucune de ses "satires courtes" ne porte cette mention. Sous le titre "épigrammes" on trouve quelques vers qui constitueraient bien un pasquin :

À M. Perrault, sur les livres qu'il a faits contre les anciens

D'où vient que Cicéron, Platon, Virgile, Homère,
Et tous ces grands auteurs que l'univers révère,
Traduits dans vos écrits nous paraissent si sots ?
Perrault, c'est qu'en prêtant à ces esprits sublimes
Vos façons de parler, vos bassesses, vos rimes,
Vous les faites tous des Perraults.

BOILEAU, 1693.

___________________


LA BARCAROLLE

Ce mot d'origine italienne désigne une "chanson de batelier vénitien" (de "barcaruolo", qui signifie "gondolière". Il s'agit soit d'une pièce pour piano, soit d'un morceau de musique vocale, sur un rythme ternaire caractéristique (le plus souvent de mesure 6/8), qui évoque le bercement des vaguelettes. On trouve une "barcarolle" dans la suite pour piano de Mendelssohn (Romances sans paroles), dans l'opéra "Obéron" de Weber. La plus célèbre est celle des "Contes d'Hoffmann" de Jacque Offenbach.

Ce terme musical n'intéresse la poésie que par rapport aux paroles, qui sont chantées. On sait que dans un opéra, elles passent après la musique.

En voici un bel exemple de Jules Barbier, extrait du livret des "Contes d'Hoffmann"

Belle nuit, ô nuit d’amour,
Souris à nos ivresses,
Nuit plus douce que le jour,
Ô belle nuit d’amour!

Le temps fuit et sans retour
Emporte nos tendresses,
Loin de cet heureux séjour
Le temps fuit sans retour.

Zéphyrs embrasés,
Versez-nous vos caresses,
Zéphyrs embrasés,
Donnez-nous vos baisers!
vos baisers! vos baisers! Ah!

Belle nuit, ô nuit d’amour,
Souris à nos ivresses,
Nuit plus douce que le jour,
Ô belle nuit d’amour!
Ah! Souris à nos ivresses!
Nuit d’amour, ô nuit d’amour!

___________________


À SUIVRE...


Laugierandre
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Posté à 08h17 le 17 Apr 20


LE CENTON

Aucun lien de parenté avec notre traditionnelle crèche de Noël. Le "Centon" est une variété de collage, qui réunit des vers empruntés à des poèmes de plusieurs auteurs pour former un "nouveau poème". Le mot vient du latin "cento" qui désignait un vêtement constitué de plusieurs morceaux. Arlequin est vêtu d'un "cento".

La fabrication d'un "centon" fait partie des travaux pratiques de ce que les linguistes nomment "intertextualité". Rien à voir non plus avec l'érotisme). Laughing

Les poètes ont toujours recopié, conservé, magnifié les vers qui leur plaisaient. On y trouve par exemple dans "Premières vues anciennes" de Paul ÉLUARD (Le Minotaure, 1937), des citations de NERVAL, LAFORGUE, RIMBAUD, APOLLINAIRE, BACHELARD, NOVALIS, DALI et BLAKE, le plus souvent mises côté à côte. Mais ces citations, encore faut-il les "coudre" habilement pour en faire un "centon". La difficulté est triple pour les vrais centons, ceux qui respectent la versification traditionnelle, en fait les seuls intéressants, surtout s'ils sont constitués de vers célèbres que le lecteur reconnaît : il convient de garder les rimes, les mètres, et un sens plausible. La difficulté vaincue fait partie de la poésie, qui est aussi une façon d'agencer les mots. La signature de "l'agenceur" devient alors légitime.

Voici un exemple de "centon" imaginé par Sylvaine GARDERET, dans "Jouer avec les poètes" (Hachette, 1999) :

DÉTOURNEMENT DE VERS

La chambre est pleine d'ombre ; on entend vaguement
Nos deux cœurs exhalant leur tendresse paisible ;
Et pourtant je vous cherche en longs tâtonnements...

Des projets de mon cœur ne prenez point d'alarme,
Cessez d'être charmant, et faites-vous terrible !
La nuit plus que le jour aurait-elle des charmes...

1. Arthur RIMBAUD
2. Paul VERLAINE
3 Paul VERLAINE

4. MOLIÈRE
5. CORNEILLE
6. ARAGON


Ci-dessous, un autre exemple concocté par Maxence PRZYBOROWSKI :

UN DÉLICIEUX MENSONGE

Promenant sur le ciel des yeux appesantis,
Je suis d'un pas rêveur le sentier .solitaire,
Car le vent, élevé bien au-dessus des terres,
Porte le soleil noir de la mélancolie.

Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière
Suspend une immobile ombelle de rosée ;
A travers le chaos des vivantes cités
L'air est parfois si doux qu'on ferme la paupière.

Le silence y somnole entre les quais de songe
Sans rien voir au-dehors, sans entendre aucun bruit,
Ou comme Don Quichotte en sa morne folie,
Laissez, laissez mon cœur s'enivrer d'un mensonge.


1. Charles BAUDELAIRE, Bohémiens en voyage.
2. Alphonse de LAMARTINE, L'automne.
3. Alfred de VIGNY, La mort du loup.
4. Gérard de NERVAL, El Deldichado.

1. Alphonse de LAMARTINE, L'automne.
2. Catulle MENDÈS, Paysage de neige.
3. Charles BAUDELAIRE, Les petites vieille.
4. Arthur RIMBAUD, Roman.

1. Henri de Régnier, Il est un port ...
2. Victor Hugo, Demain, dés l'aube
3. Saint-Amant, Le paresseux.
4. Charles Baudelaire, Semper aedem

____________________


LES VERS RAPPORTÉS

Non, mes ami(e)s, je n'ai pas commis de faute, et il ne s'agit pas de verres que l'on ferait rapporter par le sommelier considérant qu'il s'agit d'un mauvais pinard.

Ce procédé appartient au domaine français de l'esthétique du XVIe siècle. On appelle ainsi un mode de composition qui tient à la fois de l'énumération et du parallélisme.

Autrement dit, au lieu d'énumérer des syntagmes divers, on en "disjoint" les éléments en les regroupant par fonctions ou par catégories. Ainsi dans le sonnet XVII, par exemple, des "AMOURS" de RONSARD, sont énoncés trois grâces de la bien-aimée (l'œil, la main, le crin, c'est-à-dire la chevelure), auxquelles sont liées respectivement trois tortures sur son amant (brûler, enserrer, attacher), et cette logique se poursuit tout au long du poème dont voici les quatrains :


Par un destin dedans mon cœur demeure,
L’œil, et la main, et le crin délié
Qui m'ont si fort brûlé, serré, lié,
Qu'ars, pris, lassé, par eux faut que je meure.

Le feu, la prise, et le rets à toute heure,
Ardant, pressant, nouant mon amitié,
En m'immolant aux pieds de ma moitié,
Font par la mort, ma vie être meilleure.


Les mots ci-dessous pourront permettre de se faire une idée très nette de cette répartition et de ces correspondances isotopiques :

Œil, brûlé, ars (=brûlé), le feu, ardant.

Main, serré, pris, la serre, pressant.

Crin, lié, lacé, le rets, nouant.

On peut considérer de la même manière ce sonnet de Jean de SPONDE :

Tout s'enfle contre moi, tout m'assaut, tout me tente,
Et le monde, et la Chair, et l'Ange révolté,
Dont l'onde, dont l'effort, dont le charme inventé,
Et m'abîme, Seigneur, et m'ébranle, et m'enchante.

Quelle nef, quel appui, quelle oreille dormante,
Sans péril, sans tomber, et sans être enchanté,
Me donras-tu ? Ton Temple où vit ta Sainteté,
Ton invincible main, et ta voix si constante ?

Et quoi ! mon Dieu, je sens combattre maintes fois
Encor avec ton Temple, et ta main, et ta voix,
Cet Ange révolté, cette chair, et ce Monde.

Mais ton Temple pourtant, ta main, ta voix sera
La nef, l'appui, l'oreille, où ce charme perdra,
Où mourra cet effort, où se rompra cette onde.


Ce poème est fondé également sur la "répétition", dans les tercets, des mêmes termes que dans les quatrains, dans un ordre différent.
_____________________




Ce message a été édité - le 17-04-2020 à 10:54 par Laugierandre


Attention
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Posté à 18h11 le 17 Apr 20

LA PASPOESIE


La "Paspoésie" nouveau concept introduit en 2019 par JAD alias Attention, à ne pas confondre avec la mauvaise poésie, la non poésie, l’apoésie, et même la connerie. L’entomologie vient probablement de l'attrition reverberante de l’expression à pas de loup dans une bergerie remplie d’abeilles. Quant à l’ethnologie étymologique, elle ne laisse que peu d’espace au doute philosophique – il s’agit d’une tentative de poésie. Espace résultant à la frontière de la poésie avec la comédie, touchant à peine à la prose, au discours politique et spirituel, au théâtre par l’expressivité et le style discursif de ses personnages, couvrant le sérieux sous l’habit (attention à la prononciation) du dessin animé, elle représente comme la matière noire, 90% de l’univers de la Littérature.
Bien qu’elle garde la forme apparente de la Poésie,
La Paspoésie transgresse ses règles (parfois même celle de la grammaire élémentaire…) pour garder en Lumière, l’Idée, brillante comme une pierre (philosophale) à deux balles.
In fine, elle clame que il y a beaucoup des Paspoetes qui s’ignorent, qui se prennent trop au sérieux, en se clamant Poètes.
Pourtant, être un Vrai « Paspoète » c’est un chalenge, que peu ont encore réussi…
Cela nécessite d’avoir toujours avec soi un Grand Miroir, pour admirer la sublime étroitesse de son Grand Esprit. Essayez au moins un jour, vous verrez que ce n’est pas donné à tout le monde d’être un Petit Grand PasPoete. Oui, dans le monde de la paspoésie, plus on est petit, plus on a de l’importance…
Pour en conclure, son credo est :

« La gloire du monde rend l‘homme triste et vain »
Louis Cattiaux – Le Message
Retrouvé

Voir aussi le classique Le « Grand Poete » le plus petit… par JAD
En règle générale, la Paspoésie commence toujours par un sourire, se comble par un rire saccadé, et fini toujours par une ou plusieurs Larmes.

« ………………………………………………
- Triade magique, c’est Nous, ici (…)
Joyeux vivants d’une Belle Chance
Insouciants, sans importance
Ces trois petits points, (qui font de rimes)
« Comme des poèmes », plus petits…  «


Enfin, vous l’auriez bien compris, La Paspoésie c’est…des Sourires et des Larmes, presque comme des vrais poèmes, sans importance et plus petits…
Le courageux lecteur s’appelle également un Paspoete, et a le droit au même émotions et à le même gloire
Pour en finir, c’est toute tentative de poésie, qui n’atteint pas la grandeur d’une Vraie Poésie, mais qui donne de la joie… au cœur ou au moins un sou, rire au visage !
P.S. Bien sur, à ne pas confondre, sous aucun pretexte, avec la Papouasie !

Salut Sourire


Pardon André !

Si ce terme suscite quelques controverses, et n’a pas l’effet escompté d’une crème antirides, il peut être enrayé de la surface de ce sublime autrement dictionnaire.
heureux heureux






Ce message a été édité - le 15-05-2020 à 21:48 par Attention


Salus
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Posté à 22h45 le 17 Apr 20


Toujours du plus grand intérêt !


Laugierandre
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Posté à 12h56 le 18 Apr 20


Bonjour ATTENTION,

Tu n'as nullement à me demander pardon. Il n'y aura aucune controverse de ma part à l'endroit d'un poète généreux qui vient apporter sa pierre à l'édifice.

Bien au contraire, c'est moi qui te remercie pour ton concours. Tout ce qui peut apporter une connaissance et un enrichissement personnel à un "Dictionnaire poétique" est le bienvenu.

Et je pense que SALUS ne s'y est pas trompé : il est toujours du plus grand intérêt d'agir ensemble, surtout quand l'état d'esprit est BON et dans nos respects mutuels.

Salut Salut Salut Salut

TOUTE MA CHALEUREUSE AMITIÉ ET CONSIDÉRATION À VOUS DEUX.

ANDRÉ


Laugierandre
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Posté à 17h14 le 18 Apr 20


L'ÉPIGRAMME

Le mot est d'origine grecque ("épi", qui veut dire : sur, et "graphein" qui signifie "écrire"). Ce terme apparaît au XVIe siècle par l'intermédiaire du latin. À l'origine, il désigne une petite pièce de vers habile, sans intention particulière.

...
L'épigramme n'étant qu'un propos raccourci,
Comme une inscription courte on l'écrit aussi.
...
Vauquelin de la FRESNAYE.

___________________

Les épigrammes grecques (ANACRÉON, SIMONIDE, MÉLÉAGRE, entre autres auteurs), furent les modèles du genre et elles ont constitué longtemps une importante source d'inspiration.

FUIT-ON L'AMOUR ?

Tu veux échapper à l'amour,
Tu crains ses blessures mortelles ;
Pour le fuir, tu fais maint détour :
Mais tu marches : il a des ailes !

E.P. DUBOIS-GUCHAN

____________________

Les épigrammes latines de MARTIAL furent également célèbres et elles donnèrent au genre une coloration particulière, celle de la satire. La verdeur de ces épigrammes fut longtemps cachée sous la bienséance des traductions : leur vigueur gagne a être restituée.

À BASSA

Tu te soulages dans de l'or
Et tu bois ton vin dans ton verre ?
Le contraste me paraît fort !
Ta merde te serait plus chère ?

MARTIAL
__________________

CONTRE LESBIE

Tu voudrais sans arrêt qu'à tes yeux je me dresse.
Ce membre, ma Lesbie, obéit moins qu'un doigt :
C'est en vain que ta voix ou que ta main me presse :
Ton visage hautain décide contre toi !

MARTIAL
___________________

Au début du XVIe siècle, le mot épigramme désigne encore simplement un court poème. C'est ce terme qu'utilise le Lyonnais Maurice SCÈVE pour présenter ses "dizains" dans l'épigraphe de son célèbre recueil :

(i]À SA DÉLIE
...
Je sais assez que tu y pourras lire,
Mainte erreur, même en si durs Épigrammes :
Amour, pourtant, les me voyant écrire
En ta faveur, les passa par les flammes.

___________________

Mais à la Cour, le mot et la chose ont déjà évolué. L'épigramme est devenue un genre autonome, celui d'un petit poème aimable, bien tourné, et qui s'oriente vers la satire.

POUR MADAME D'ORSONVILLIERS AU ROI DE NAVARRE

Si j'ai joué rondement*
Sire ne vous déplaise :
Vous m'avez finement
Coupé la queue, et raise ;
Et puis que je m'en taise !
Jamais ne se ferait.
Mais seriez-vous bien aise,
Qui vous la couperait ?

*[i] Au billard

Clément MAROT

__________________

Dès lors, les épigrammes plus ou moins satiriques furent à la mode et les classiques du siècle suivant ne furent pas les derniers à écrire sur leurs contemporains. Guillaume COLLETET en vint même à publier un "Traité de l'Épigramme" (1658), après avoir publié les siennes en 1653.

NINON DE LENCLOS

Il ne faut pas qu'on s'étonne
Si parfois elle raisonne
De la sublime vertu
Dont Platon fut revêtu ;
Car, à bien compter son âge,
Elle doit avoir foutu
Avec ce grand personnage.

CHAPELLE

___________________

"L'Épitaphe" étant devenu également un genre à la mode, elle fut une occasion d'épigrammes :

ÉPITAPHE D'UN BAVARD

Sous ce tombeau pour toujours dort
Paul, qui toujours contait merveilles.
Louange à Dieu, repos au mort,
Et paix sur terre à nos oreilles.

Jean De LA FONTAINE.
______________________

CONTRE CORNEILLE

Après l'Agésilas
Hélas !
Mais après l'Attila,
Holà !

BOILEAU

____________________

Les épigrammes, quand ils ne sont pas maladroits ni vulgaires, font honneur à la verve des rimeurs, mais ce sont souvent de bons mots traditionnels qui sont remis au goût du jour avec habileté. En voici un de VOLTAIRE sur FRÉRON :

Un jour, au fond du vallon,
Un serpent mordit Jean Fréron.
Que pensez-vous qu'il arriva ?
Ce fut le serpent qui creva.

VOLTAIRE

_____________________

Même Victor HUGO, ayant séjourné dans une mauvaise auberge, écrivit ce quatrain en forme d'épigramme :

Au diable ! auberge immonde ! Hôtel de la punaise !
Où la peau le matin se couvre de rougeurs,
Où la cuisine pue, où l'on dort mal à l'aise,
Où l'on entend chanter les commis-voyageurs !

Victor HUGO

____________________

L'une des plus "croustillantes" (parmi tant d'autres) n'est-elle pas celle écrite par Pierre CHARRON concernant le poète VERHAEREN ?

PRIÈRE

Monsieur Verhaeren, bon apôtre,
A pris le vers libre en dégoût.
Faites, ô Dieux, qui pouvez tout,
Qu'il se dégoûte aussi de l'autre !

Pierre CHARRON


À SUIVRE...




Ce message a été édité - le 18-04-2020 à 17:15 par Laugierandre







Ce message a été édité - le 19-04-2020 à 11:23 par Laugierandre



Ce message a été édité - le 10-06-2021 à 11:55 par Laugierandre


Laugierandre
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Posté à 19h53 le 19 Apr 20


REVERDIE

Il s'agit d'un poème médiéval célébrant sur le mode lyrique le retour du printemps.

Aux XIIe et XIIIe siècles, on donnait ce beau nom imagé à des chansons célébrant le retour du printemps, de l'amour, et la fraîcheur d'une belle symbolique. On y retrouve aussi le chant des oiseaux, le lever du soleil, la séparation des amants à l'aube


Quan lo rossinhol escria
ab sa part la nueg e.l dia,
yeu suy ab ma bell'amia
jos la flor,
tro la gaita de la tor
escria: "Drutz, al levar!
Qu'ieu vey l'alba e.l jorn clar."

TRADUCTION :

Quand le rossignol chante
avec sa compagne la nuit et le jour
moi, je suis avec ma belle amie
sous la fleur,
jusqu'à ce que le guetteur de la tour
crie: "Amants, levez-vous!
que je vois l'aube et le jour clair."



On observe l'apparition du terme dans des poésies de Gautier de COINCI, Guillaume MACHAUD, JUBINAL, Thibaut de CHAMPAGNE, au sens de chanson joyeuse, qui évoque dans un cadre printanier, floral et verdoyant, des êtres réels ou allégoriques sur le mode narratif et descriptif et même lyrique puisque le poète raconte souvent à la première personne une aventure personnelle et une rencontre amoureuse.

Ainsi la "reverdie", simple motif poétique à l'origine, se métamorphose-t-elle, par amplifications successives, en véritable genre, grâce aux échanges et aux dialogues qui se nouent entre la poésie lyrique et les différents genres littéraires en vers.

Pour résumer, on pourrait dire, en évoquant ce terme, que "tout reverdit".
____________________


LE MOTET

Le "Le motet" est dérivé de "mot". Il s'agit d'un genre médiéval qui appartient avant tout au domaine musical : c'est un chant pour deux voix, d'abord en latin, puis, à partir du début du XIIIe siècle, en français. La pièce poétique qui correspond au "motet" est en vers hétérométriques, sur deux rimes.

Voici un motet d'Adam de la HALLE :

Première voix

J'os bien a m'amie parler
Les son mari,
Et baisier et acoler
D'encoste li ;
Et lui ort jalous clamer
Wihot aussi
Et hors de sa maison enfremer
Et tous mes bons de m'amiette achever,
Et li vilains faire muser.

Deuxième voix

Je nj'os a m'amie aller
Pour son mari
Que il ne se peüst de mi
Garde donner.
Car je ne me puis garder
D'encoste li
De son bel viaire regarder.
Car entre amie et ami
An jeux sont a cheler
Li mal d'amer.

____________________


LA POLYSÉMIE

À ne pas confondre avec la Polynésie. Du Grec "polus", qui signifie "nombreux", et "sèma" qui veut dire "signe", "caractère distinctif". Le champ sémantique d'un mot constitue la totalité des sens, tous les emplois possibles de ce mot, sa polysémie.

Une même occurrence peut ainsi être lue de plusieurs manières différentes. Cet usage est inhérent à la poésie elle-même, où les mots, comme les images "ne cèdent pas leur mystère dans un sens unique" (A. Kibedi VARGA).

Autrement dit, comme le soulignent A.-J GREIMAS et J. COURTÈS : (i]"la polysémie correspond à la présence de plus d'un sémème à l'intérieur d'un lexème"[/i]. C'est seulement lorsqu'il figurera dans un énoncé que le lexème (ou, plus simplement, le "mot") prendra un sens particulier (se désambiguïsera) en ne manifestant qu'un de ses lexèmes. Cependant, les poètes peuvent, tout au contraire, vouloir tirer parti de l'ambiguïté à des fins stylistiques. Ainsi Saint-John PERSE fait-il prendre à un mot un sens différent de son sens usuel. Le mot banal et vide devient soudain inépuisable et neuf.

Il en est de même du poème "Élévations" de BAUDELAIRE, qui rassemble les différents sens du titre lui-même, et concrets, et abstraits. En effet, il s'agit aussi bien de s'élever le plus haut possible dans les airs :

Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par delà le soleil, par delà les éthers,
Par delà les confins des sphères étoilées


Que d'élévation morale et même religieuse (se purifier, pure et divine, les pensers, se trouve condensée en particulier dans ces vers :

Va te purifier dans l'air supérieur
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.

[...]

Celui dont les pensers, comme les alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
- Qui plane sur la vie et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes !


Ces différents sens, conjointement possibles, peuvent être le propre et le figuré : c'est alors la figure de la syllepse qui met à profit la polysémie du mot.
____________________

À SUIVRE...


Laugierandre
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Posté à 11h39 le 20 Apr 20


L'EUPHONIE

Les racines grecques de ce mot sont "eu" (bien) et "phône" (son) que l'on retrouve dans de nombreux composés français. L'euphonie cherche à rendre le plus mélodieux possible ce qu'on écrit, ce que l'on dit.

L'euphonie est particulièrement nécessaire à la poésie.

Certaines règles traditionnelles de la versification n'ont plus de raison d'être aujourd'hui (ainsi le "E" muet non prononcé après une voyelles tonique à la fin d'un mot ne devait pas se trouver devant une consonne : "La pluie tombe" n'était pas admis). Mais aujourd'hui seule l'oreille doit juger de l'euphonie. C'est la raison essentielle qui fait bannir l'hiatus.

L'euphonie est spontanément recherchée en français, même par l'adjonction de consonnes grammaticalement inutiles mais nécessaires pour satisfaire l'oreille : Va-t-en, Donnes-en, et l'on arrive enfin. Ces lettres sans fonction grammaticales sont dites "explétives".

L'euphonie refuse donc le plus possible la rencontre de deux voyelles de deux mots différents (qu'on tolère dans un même mot : aérien ). Elle peut naître de l'emploi discret de l'allitération ou de l'assonance. L'euphonie est particulièrement sensible dans les vers de certains poètes (RACINE, VERLAINE, APOLLINAIRE, par exemple).

MON RÊVE FAMILIER

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant,
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.

Paul VERLAINE


Les phonéticiens estiment que la disposition des voyelles à l'intérieur d'un vers et leur combinaison avec les consonnes concourent à l'euphonie.

Mais il entre une grande part de la subjectivité de l'auditeur dans le reconnaissance de l'euphonie, comme si chacun avait ses sons préférés. Cependant, certains poètes sont plus attentifs que d'autres à cette espèce de fluidité qui rend la poésie proche de la mélodie, comme Charles d'ORLEANS, André CHÉNIER, Paul VALÉRY, René Guy CADOU.

LA JEUNE TARENTINE

Elles est au sein des flots, la jeune Tarentine.
Son beau corps a roulé sous la vague marine.
Thétis, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher
Aux monstres dévorants eut soin de la cacher.

André CHÉNIER


L'euphonie suppose la connaissance des conventions de la versification, de la mesure et de la diction, y compris des liaisons entre les mots essentiels en français. Il faut savoir, par exemple, que dans le fragment de poème ci-dessus la liaison corps a roulé se fait du "R" de "coRps" au "A", et non pas avec le "S" comme le font de prétentieux semi-lettrés, notamment à la radio, avec des mots comme "toujours", "amours", etc.
____________________


POÉSIE FUGITIVE

On regroupe traditionnellement sous ce nom de petit genres poétiques tels que les "madrigaux", les "épigrammes", les "épitaphes", les "énigmes", etc. et quelques poèmes à forme fixe comme le "triolet", la "villanelle" ou encore le "rondeau". Ce sont des poèmes courts, parfois badins, spirituels ou émouvants, qui sont souvent plus charmants que profonds. Leurs modèles viennent de l'Antiquité. Ils apparaissent au XVIe siècle avec Clément MAROT et les poètes de cour.

Exemple :

À RONSARD

L'art de faire des vers, dût-on s'en indigner,
Doit être au plus haut prix que celui de régner.
Tous deux également nous portons des couronnes ;
Moi, roi, je les reçois ; poète, tu les donnes.

CHARLES IX, roi de France, XVIe siècle.


Ce genre de poèmes légers sur des sujets pouvant être dérisoires, donnaient l'occasion aux beaux esprits de dévoiler leur habileté. Difficile à définir, aussi fuyant que son nom, il fut aussi illustré par la poésie précieuse au XVIIe siècle : poésie mondaine, permettant de briller en société, elle fut en honneur dans les salons, y compris ceux de la bourgeoisie.

Mais c'est au début du XIIIe siècle que ce genre devint particulièrement prolifique. Voici un texte de VOLTAIRE, adressé à Mademoiselle GAUSSIN :

Jeune Gaussin, reçois mon tendre hommage,
Reçois mes vers au théâtre applaudis ;
Protège-les, Zaïre est ton ouvrage ;
Il est à toi puisque tu l'embellis.

Ce sont tes yeux, ces yeux si pleins de charmes,
Ta voix touchante et tes sons enchanteurs
Qui du critique ont fait tomber les armes :
Ta seule voix adoucit les censeurs.


Cette poésie fugitive ne l'était sans doute pas tant que ça, puisqu'elle fut connue, recopiée, conservée et qu'elle a traversé les âges pour venir jusqu'à nous. On considère qu'elle est le plus souvent une poésie de circonstance. Elle ne fut pas toujours badine, puisque les épitaphes sont aussi, à leur manière, une poésie fugitive comme en témoignent des vers qui ont été parfois gravés sur des tombeaux ou des cadrans solaires. Les inscriptions en font partie - même si l'auteur prétend les faire durer en les gravant sur la pierre.

Ce genre devait être bien présent (et pesant) pour le jeune Alfred de VIGNY qui avait dix-neuf ans, lorsqu'il affirmait pompeusement :


...
Le vers le plus obscur d'un auteur sérieux
À plus de vrai mérite et vaut plus à nos yeux
Que l'inutile amas de légères paroles
Qui forme le tissu de ces œuvres frivoles
Qui sans rien peindre au cœur cherche à nous éblouir,
Qu'on dit vers fugitifs
Parce qu'ils sont à fuir.



Mais, tout de même, la poésie fugitive peut être tantôt souriante, tantôt grave - et ne pas inciter à la fuite :

SUR UN ALBUM

Rien qu'un vers ! C'est tout votre vœu.
Vous le voulez, je vais l'écrire :
- Qui donne aux pauvres prête à Dieu.
Et j'ajoute, car c'est trop peu :
- Qui donne aux albums prête à rire.

Victor HUGO

____________________


À SUIVRE...




Ce message a été édité - le 20-04-2020 à 11:40 par Laugierandre







Ce message a été édité - le 20-04-2020 à 17:00 par Laugierandre


Salus
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Posté à 13h03 le 20 Apr 20


La leçon sur l'euphonie est excellente !




Ce message a été édité - le 20-04-2020 à 19:17 par Salus


Laugierandre
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Posté à 17h17 le 20 Apr 20


LE TRIMÈTRE

Dans la versification grecque, c'était un vers de trois mesures de deux pieds chacune. Par analogie, la versification française applique ce terme à un alexandrin scandé en trois parties égales (4 + 4 + 4), alors que la coupe "classique" se situe à l'hémistiche (6 + 6).

On précise souvent "trimètre romantique", car cette coupe a été fréquemment utilisée par les poètes romantiques. Mais ils ne l'ont pas inventée. On donne d'ailleurs habituellement comme exemple un vers du XVIIe siècle dont la coupe en trois parties est très nette :

...
Je veux, sans que la mort ose me secourir
Toujours aimer,/ toujours souffrir,/ toujours mourir.

Pierre CORNEILLE


On peut trouver de telles coupes dès le XVIe siècle, mais elles sont assez rares, et laissent place à quelque hésitation quant à leur place dans le vers :

Je veux lire en trois jours l'Iliade d'Homère
Et pour ce, Corydon, ferme bien l'huis sur moi ;
Si rien me vient troubler, je t'assure ma foi
Tu sentiras/ combien pesante/ est ma colère.

Pierre de RONSARD


On pourrait faire ressortir à la lecture de ce dernier vers un alexandrin plus traditionnel :

Tu sentiras combien/ pesante est ma colère./

Le trimètre est assez rare dans la poésie classique où il produit un effet d'autant plus appuyé. Il est beaucoup plus fréquent dans la poésie "romantique" qui, par divers effets dont "l'enjambement", à voulu briser la scansion monotone de l'alexandrin traditionnellement coupé entre les deux hémistiches, tout en continuant à utiliser largement ce vers.

Victor HUGO s'est particulièrement vanté de l'avoir désarticulé. Si le trimètre joint à d'autres procédés, a bien rompu la monotonie de la scansion classique, ce vers a poursuivi sa longue carrière.

Exemples :

LA CONSCIENCE

...
Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres,
Il vit un œil/ tout grand ouvert? dans les ténèbres.

Victor HUGO


LE PARRICIDE

...
Rien que dans un hiver, ce chasseur détruisit
Trois dragons en Ecosse, et deux rois en Scanie ;
Il fut héros,/ il fut géant,/ il fut génie.

Victor HUGO

...

Avec ce qui l'opprime, avec ce qui l'accable,
Le genre humain/ va se forger/ son point d'appui.

Victor HUGO


Le trimètre est souvent fortement marqué chez Victor HUGO, et même parfois martelé, imposant la force de l'expression. On le trouve ainsi répété dans une de ses longues œuvres les plus puissantes :

...

Malheur à ce qui vit ! Malheur à ce qui luit !
Je suis le mal,/ je suis le deuil, / je suis la nuit.


On n'a pas, ici, à hésiter sur le choix de la diction : elle est imposée. Ce n'est pas toujours le cas chez d'autres poètes romantiques :

ÉLOA OU LA SŒUR DES ANGES

...
Lazare, qu'il aimait et ne visitait plus,
Vint à mourir,/ ses jours étant/ tous révolus.

Alfred de VIGNY.


L'un des rénovateurs de l'alexandrin au XXème siècle, Louis ARAGON, n'eut garde de négliger le rythme significatif du trimètre, en des vers bien marqués, reprenant des formules qu'il transforme :

Je vous salue/ Marie de France/ aux cent visages.

Louis ARAGON

___________________


VERS TÉTRASYLLABE

Le tétrasyllabe (en grec "tettares" = quatre) est le vers de quatre syllabes. Il est dans la très grande majorité des cas employé en hétérométrie, et ce à toutes les époques, accompagnant souvent des octosyllabes.

On le trouve aussi dans les "Contrerimes" de Paul-Jean TOULET, alternant avec des hexasyllabes :


Tout ainsi que ces pommes
De pourpre et d'or
Qui mûrissent aux bords
Où fut Sodome ;

Comme ces fruits encore
Que Tantalus,
Dans les sombres palus,
Crache, et dévore ;

Mon cœur, si doux à prendre
Entre tes mains,
Ouvre-le, ce n'est rien.
Qu'un peu de cendre.



Le vers libre l'emploie beaucoup, comme tous les vers courts, en "contrepoint" :


Pourquoi s’étendre si longtemps dans les plumes de la lumière
Pourquoi s’éteindre lentement dans l’épaisseur froide de la carrière
Pourquoi courir
Pourquoi pleurer
Pourquoi tendre sa chair sensible et hésitante
À la torture de l’orage avorté.



L'emploi du tétrasyllabe en "isométrie" est beaucoup plus rare.
Outre l'exemple des troisième et antépénultième strophes des "DJINNS" de Victor HUGO, on peut citer la très parodique "FÊTE GALANTE" de "L'Album zutique" que RIMBAUD dédie à VERLAINE :


Rêveur, Scapin
Gratte un lapin
Sous sa capote.

Colombina
- Que l'on pina ! -
- Do, mi, - tapote

L'oeil du lapin
Qui tôt, tapin,
Est en ribote...

____________________

À SUIVRE...








Ce message a été édité - le 21-04-2020 à 11:25 par Laugierandre


Fasya
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Posté à 17h52 le 20 Apr 20

En trimètre, la tragédie frôle la comédie, ne convainc pas :)


Salus
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Posté à 19h27 le 20 Apr 20


Donc, d'Hugo :

"J'ai disloqué // ce grand ni-ais // d'alexandrin."



Ce message a été édité - le 21-04-2020 à 14:05 par Salus


Laugierandre
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Posté à 11h49 le 21 Apr 20


VERS MACARONIQUES

De l'italien "macaronico", ce genre de vers s'utilise dans un poème burlesque, mélangeant le français et des mots français plaisamment latinisés.

La poésie de ce genre, importée d'Italie au XVIe siècle, est parfois appelée aussi une "macaronée". C'est le discours de Maître Janotus Bragmardo dans "GARGANTUA" de RABELAIS.

Les plus célèbres vers macaroniques sont ceux de la scène finale d'intronisation du "MALADE IMAGINAIRE" :


BACHELIERUS

Grandes doctores doctrinae,
De la rhubarbe et du séné,
Ce serait sans doute à moi chosa folla,
Inepta et ridicula,
Si j'alloibam m'engageare
Vobis louangeas donare,
Et entreprenoibam adjoutare
Des lumieras au soleillo
Et des etoilas au cielo,
Et ondas à l'Oceano
Et des rosas au printanno ;
Agreate qu'avec uno moto,
Pro toto remercimento,
Rendam graciam corpori tam docto.

MOLIÈRE

____________________


LE VIRELAI

Le "virelai", qui vient du verbe virer, a désigné d'abord un "air de danse" au XIIIe siècle, puis une "chanson à danser", encore appelée "chanson balladée" (XIVe siècle). On trouve aussi : virelon, vireli, vireuli.

Le virelai est parfois considéré comme un poème à forme fixe du Moyen Âge, mais c'est plutôt un genre car on trouve sous cette dénomination des poèmes de structures différentes. Leurs caractéristiques communes semblent être l'utilisation de vers courts et le retour d'un refrain.

Les virelais d'Eustache DESCHAMPS sont des poèmes écrits en vers de sept et de trois syllabes sur deux rimes seulement, regroupés en strophes qui ne respectent pas toujours le même schéma. L'apparence écrite est celle du "lai" qui avait reçu le nom d'arbre fourchu, à cause du dessin des vers, qu'on les place tous commençant à gauche, comme jadis, où qu'on décale les vers courts comme aujourd'hui.

Exemple de virelai d'après Eustache DESCHAMPS :

VIRELAI

Tous cœurs tristes, douloureux,
Amoureux,
Langoureux,
Mettez-vous sous ma bannière,
Et allons cueillir bruyère,
Car Mai ne m'est pas joyeux.
Désire lieux ténébreux,
Etre seulz*
Sans clarté et sans lumière,
Quand je suis par envieux,
Comme un leux*,
Chassé en mainte manière
Du plaisant lieu gracieux,
Savoureux,
Et par ceux
Qui me montrent belle chière*



Cependant, l'un des plus célèbres virelais d'Eustache DESCHAMPS ne respecte pas cette alternance de vers de mètres différents; il est construit sur deux rimes et une troisième pour le refrain. Il apparaît comme une "chanson à danser", mais, en fait, c'est plus un rondeau qu'un virelai :

Suis-je, suis-je, suis-je belle ?
Il me semble, à mon avis,
Que j'ai beau front et visage doux
Et les lèvres rouges ;
Dites-moi si je suis belle.

J'ai les yeux vifs, les sourcils fins,
Les cheveux blonds, le nez régulier,
Rond le menton et blanche la gorge ;
Suis-je, suis-je, suis-je belle ?

J'ai la poitrine ferme et fière,
Longs les bras, les doigts fins,
Et la taille fine aussi ;
Dites-moi si je suis belle.

J'ai une jolie courbe des reins,
Le dos cambré, et le fessier avantageux,
Cuisses et jambes bien faites ;
Suis-je, suis-je, suis-je belle ?

J'ai les pieds mignons et petits,
Faciles à chausser, avec de beaux habits,
Je suis gaie et insouciante ;
Dites-moi si je suis belle.

J'ai des manteaux fourrés de gris,
J'ai des chapeaux, de belles tenues
Et plusieurs broches d'argent ;
Suis-je, suis-je, suis-je belle ?

J'ai des draps de soie et tabis,
J'ai des draps d'or ou blancs ou bruns,
J'ai mainte bonne chose ;
Dites-moi si je suis belle.

Je n’ai que quinze ans, je vous le dis ;
Mon trésor est vraiment joli,
Je le garderai sous clé ;
Suis-je, suis-je, suis-je belle ?

Il devra être hardi
Celui qui sera mon ami,
Qui aura une telle jeune fille ;
Dites-moi si je suis belle.

Et par Dieu je lui promets
Que je lui serai très fidèle,
Toute ma vie si je peux ;
Suis-je, suis-je, suis-je belle ?

S’il est courtois et généreux,
Vaillant, habile et bien éduqué,
Il me gagnera à sa cause ;
Dites-moi si je suis belle.

C'est le paradis sur terre
Que d'avoir pour toujours une dame,
Aussi fraîche, et aussi jeune ;
Suis-je, suis-je, suis-je belle ?

Ne soyez pas peureux,
Pensez à ce que j’ai dit ;
Ici finit ma chansonnette ;
Suis-je, suis-je, suis-je belle ?


Ce type de poèmes disparut à la Renaissance, quand les poètes de la Pléiade refusèrent les vieilles formes du Moyen Âge pour en utiliser une nouvelle : "le sonnet".

Cependant, à la fin du XIXe siècle, Théodore de BANVILLE entreprit de présenter les formes poétiques anciennes pour présenter le "virelai". Ce fut une recomposition ingénieuse :


Barbanchu nargue la rime !
Je défends que l’on m’imprime !

La gloire n’était que frime ;
Vainement pour elle on trime,
Car ce point est résolu.
Il faut bien qu’on nous supprime :
Barbanchu nargue la rime !

Le cas enfin s’envenime.
Le prosateur chevelu

Trop longtemps fut magnanime.
Contre la lyre il s’anime,
Et traite d’hurluberlu
Ou d’un terme synonyme
Quiconque ne l’a pas lu.
Je défends que l’on m’imprime.

Fou, tremble qu’on ne t’abîme !
Rimer, ce temps révolu,
C’est courir vers un abîme,
Barbanchu nargue la rime !

Tu ne vaux plus un décime !
Car l’ennemi nous décime,
Sur nous pose un doigt velu,
Et, dans son chenil intime,
Rit en vrai patte-pelu
De nous voir pris à sa glu.
Malgré le monde unanime,
Tout prodige est superflu.
Le vulgaire dissolu
Tient les mètres en estime :
Il y mord en vrai goulu !
Bah ! pour mériter la prime,

Tu lui diras : Lanturlu !
Je défends que l’on m’imprime.

Molière au hasard s’escrime,
C’est un bouffon qui se grime ;
Dante vieilli se périme,
Et Shakspere nous opprime !
Que leur art jadis ait plu,
Sur la récolte il a plu,
Et la foudre pour victime
Choisit leur toit vermoulu.
C’était un régal minime
Que Juliette ou Monime !
Descends de ta double cime,
Et, sous quelque pseudonyme,
Fabrique une pantomime ;
Il le faut, il l’a fallu.
Mais plus de retour sublime
Vers Corinthe ou vers Solyme !
Ciseleur, brise ta lime,
Barbanchu nargue la rime !

Seul un réaliste exprime
Le Beau rêche et mamelu :

En douter serait un crime.
Barbanchu nargue la rime !
Je défends que l’on m’imprime.

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L'ANTÉPIPHORE

J'avais succinctement évoqué dans ce salon ce procédé qui tient à la fois du refrain, de l'anaphore et de l'épiphore. Il consiste dans la répétition, en tête et à la fin d'un ensemble verbal ou poétique, d'un même syntagme ou d'un même vers. Ce genre d'exercice permet d’attirer l’attention, de mettre une idée en valeur.

BAUDELAIRE a maintes fois eu recours à cette figure de style dans ses quintils.

Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses,
Ô toi, tous mes plaisirs ! ô toi, tous mes devoirs !
Tu te rappelleras la beauté des caresses,
La douceur du foyer et le charme des soirs,
Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses !

Extrait de "Le Balcon".
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Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir ?
Peut-on déchirer des ténèbres
Plus denses que la poix, sans matin et sans soir
Sans astres, sans éclairs funèbres ?
Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir ?

BAUDELAIRE
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Que vous disent les vieilles rues
Des vieilles cités ?...
Parmi les poussières accrues
De leurs vétustés
Rêvant de choses disparues
Que vous disent les vieilles rues ?

Émile NELLIGAN
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Exemples de poèmes complets écrits grâce à l'antépiphore :

Marceline DESBORDES-VALMORE

Hélas ! Que je dois à vos soins !
Vous m'apprenez qu'il est perfide,
Qu'il trompa mon amour timide :
C'est vous qui le jurez du moins...
Hélas ! Que je dois à vos soins !

Pressez votre main sur mon cœur
Et jouissez de votre ouvrage.
Le malheur me rend le courage ;
Mais pour juger de sa rigueur,
Pressez votre main sur mon cœur !

Adieu donc ma félicité !
Adieu sa présence et ma vie !
Oh ! Que vous m'avez bien servie
En me disant la vérité !
Adieu donc ma félicité !

Vous avez voulu me guérir,
Cruelle ! ... Ah ! Pardon ! Je m'égare.
Non, non, vous n'êtes point barbare ;
Je le crois, dussé-je mourir...
Vous avez voulu me guérir !
____________________

Charles BAUDELAIRE

LESBOS

Mère des jeux latins et des voluptés grecques,
Lesbos, où les baisers, languissants ou joyeux,
Chauds comme les soleils, frais comme les pastèques,
Font l'ornement des nuits et des jours glorieux,
Mère des jeux latins et des voluptés grecques,

Lesbos, où les baisers sont comme les cascades
Qui se jettent sans peur dans les gouffres sans fonds
Et courent , sanglotant et gloussant par saccades,
Orageux et secrets, fourmillants et profonds ;
Lesbos, où les baisers sont comme les cascades !

Lesbos, où les Phrynés l'une l'autre s'attirent,
Où jamais un soupir ne resta sans écho,
A l'égal de Paphos les étoiles t'admirent,
Et Vénus à bon droit peut jalouser Sapho !
Lesbos, où les Phrynés l'une l'autre s'attirent,

Lesbos, terre des nuits chaudes et langoureuses,
Qui font qu'à leurs miroirs, stérile volupté !
Les filles aux yeux creux, de leur corps amoureuses,
Caressent les fruits mûrs de leur nubilité ;
Lesbos, terre des nuits chaudes et langoureuses,

Laisse du vieux Platon se froncer l'oeil austère ;
Tu tires ton pardon de l'excès des baisers,
Reine du doux empire, aimable et noble terre,
Et des raffinements toujours inépuisés.
Laisse du vieux Platon se froncer l'oeil austère.

Tu tires ton pardon de l'éternel martyre,
Infligé sans relâche aux coeurs ambitieux,
Qu'attire loin de nous le radieux sourire
Entrevu vaguement au bord des autres cieux !
Tu tires ton pardon de l'éternel martyre !

Qui des Dieux osera, Lesbos, être ton juge
Et condamner ton front pâli dans les travaux,
Si ses balances d'or n'ont pesé le déluge
De larmes qu'à la mer ont versé tes ruisseaux ?
Qui des Dieux osera, Lesbos, être ton juge ?

Que nous veulent les lois du juste et de l'injuste ?
Vierges au coeur sublime, honneur de l'Archipel,
Votre religion comme une autre est auguste,
Et l'amour se rira de l'Enfer et du Ciel !
Que nous veulent les lois du juste et de l'injuste ?

Car Lesbos entre tous m'a choisi sur la terre
Pour chanter le secret de ses vierges en fleurs,
Et je fus dès l'enfance admis au noir mystère
Des rires effrénés mêlés aux sombres pleurs ;
Car Lesbos entre tous m'a choisi sur la terre.

Et depuis lors je veille au sommet de Leucate,
Comme une sentinelle à l'oeil perçant et sûr,
Qui guette nuit et jour brick, tartane ou frégate,
Dont les formes au loin frissonnent dans l'azur ;
Et depuis lors je veille au sommet de Leucate,

Pour savoir si la mer est indulgente et bonne,
Et parmi les sanglots dont le roc retentit
Un soir ramènera vers Lesbos, qui pardonne,
Le cadavre adoré de Sapho qui partit
Pour savoir si la mer est indulgente et bonne !

De la mâle Sapho, l'amante et le poète,
Plus belle que Vénus par ses mornes pâleurs !
- L'oeil d'azur est vaincu par l'oeil noir que tachète
Le cercle ténébreux tracé par les douleurs
De la mâle Sapho, l'amante et le poète !

- Plus belle que Vénus se dressant sur le monde
Et versant les trésors de sa sérénité
Et le rayonnement de sa jeunesse blonde
Sur le vieil Océan de sa fille enchanté ;
Plus belle que Vénus se dressant sur le monde !

- De Sapho qui mourut le jour de son blasphème,
Quand, insultant le rite et le culte inventé,
Elle fit son beau corps la pâture suprême
D'un brutal dont l'orgueil punit l'impiété
De celle qui mourut le jour de son blasphème.

Et c'est depuis ce temps que Lesbos se lamente,
Et, malgré les honneurs que lui rend l'univers,
S'enivre chaque nuit du cri de la tourmente
Que poussent vers les cieux ses rivages déserts.
Et c'est depuis ce temps que Lesbos se lamente !

____________________


À SUIVRE...



Salus
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Posté à 14h28 le 21 Apr 20

J'applaudis mais je déplore
De tout vers donc trahi la modernisation,
Plutôt que d'en traduire, en une simple action,
Le texte exact qu'un lys laure :



Sui je, sui je, sui je belle?
Il me semble, a mon avis,
Que j'ay beau front et doulz viz
Et la bouche vermeillette;
Dittes moy se je suis belle.

J'ay vers yeulx, petits sourcis,
Le chief blont, le nez traitis,
Ront menton, blanche gorgette;
Sui je, sui je, sui je belle?

J'ay dur sain et hault assis,
Lons bras, gresles doys aussis,
Et par le faulz sui greslette;
Dittes moy se je suis belle.

J'ay bonnes rains, ce m'est vis,
Bon dos, bon cul de Paris,
Cuisses et gambes bien faictes;
Sui je, sui je, sui je belle?

J'ay piez rondès et petiz,
Bien chaussans, et biaux habis,
Je sui gaye et foliette;
Dittes moy se je sui belle.

J'ay mantiaux fourrez de gris,
J'ay chapiaux, j'ay biaux proffis
Et d'argent mainte espinglette;
Sui je, sui je, sui je belle?

J'ay draps de soye et tabis,
J'ay draps d'or et blans et bis,
J'ay mainte bonne chosette;
Dittes moy se je sui belle.

Que .xv. ans n'ay, je vous dis;
Moult est mes tresors jolys,
S'en garderay la clavette;
Sui je, sui je, sui je belle?

Bien devra estre hardis
Cilz qui sera mes amis,
Qui ara tel damoiselle;
Dittes moy se je sui belle.

Et par Dieu je li plevis
Que tresloyal, se je vis,
Li seray, si ne chancelle;
Sui je, sui je, sui je belle?

Se courtois est et gentilz,
Vaillans, apers, bien apris,
Il gaignera sa querelle;
Dittes moy se je sui belle.

C'est un mondains paradiz
Que d'avoir dame toudis,
Ainsi fresche, ainsi nouvelle;
Sui je, sui je, sui je belle?

Entre vous accouardiz,
Pensez a ce que je diz;
Cy fine ma chansonelle;
Sui je, sui je, sui je belle?


(d'Eustache DESCHAMPS, 14ème siècle)



Ce message a été édité - le 21-04-2020 à 14:32 par Salus


Laugierandre
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Posté à 18h04 le 22 Apr 20



Bien entendu,, SALUS, il vaut toujours mieux lire les originaux. La "modernisation" ne fausse ni ne déforme, quand elle est commise par des spécialistes des langues anciennes.

Il convient, cependant, de saluer l'immense travail réalisé par les grammairiens et poètes linguistes qui ont su rendre accessible, et dans la langue d'aujourd'hui, les textes anciens qui, pour la plupart, se révèleraient impossibles à comprendre s'ils n'avaient pas été réécrits avec les mots modernes, en respectant la métrique.

Je crois que beaucoup d'aspirants poètes (et même des qualifiés), se désintéresseraient de la chose. À moins d'être des puristes émérites et fins connaisseurs des textes anciens.

Je prends un simple petit exemple sur une œuvre courte de RUTEBEUF :

Texte original

Ribaut, or estes vos a point:
Li aubre despoillent lor branches
Et vos n'aveiz de robe point,
Si en aureiz froit a voz hanches.
Queil vos fussent or li porpoint
Et li seurquot forrei a manches!
Vos aleiz en été si joint,
Et en yver aleiz si cranche!
Vostre soleir n'ont mestier d'oint:
Vos faites de vos talons planches.
Les noires mouches vos ont point,
Or vos repoinderont les blanches.



N'est-il pas plus sagace de le lire, rimes et syllabes respectées, en français modernisé, tel que ci-dessous ?

Ribauds, vous voilà bien en point !
Les arbres dépouillent leurs branches
et d'habit vous n'en avez point,
aussi aurez-vous froid aux hanches.
Qu'il vous faudrait maintenant pourpoints,
surcots fourrés avec des manches !
L'été vous gambadez si bien,
l'hiver vous traînez tant la jambe !
Cirer vos souliers ? Pas besoin :
vos talons vous servent de planches.
Les mouches noires vous ont piqués,
À présent, c'est le tour des blanches.


Ça ne me choque pas, puisque le sens et l'esprit du poète n'a pas été transgressé, et que tout demeure fidèle à l'original.

Salut Salut Salut

ANDRÉ

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