Salus
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Posté à 15h27 le 08 Oct 20
Bonjour...
Avant d'aborder le sonnet, prince des formes fixes, avec votre espérée permission, je voudrais tenter une digression liminaire :
"Tourner cent fois l'idée avant de s'en faire une !" (alexandrin
"classique")
...Et d'abord, il faudrait faire un peu de ménage dans l'utilisation des mots ; nous avons tendance à
utiliser n'importe comment (moi le premier) le terme "Classique" ; le classique, c'est la
littérature du 16ème (un peu lourde !), jusqu'au 18ème ; ses instigateurs poétiques en sont Malherbe
et Boileau, qui commenceront à codifier...
Mais que dit le dictionnaire ?
Classique :
XVIe siècle. D'abord au sens premier et, à partir de Voltaire, pour qualifier la littérature du XVIIe siècle.
Emprunté du latin classicus, « citoyen de la première classe » et, comme adjectif, « exemplaire, de
première importance ».
☆1. Qui est étudié dans les classes parce que tenu pour un modèle d'excellence. Homère, Platon,
Virgile, Molière, Chateaubriand sont des auteurs classiques. Un ouvrage classique ou " un
classique", qui a soutenu l'épreuve du temps, qui est généralement connu, étudié et qui sert de
référence.
- Relatif aux auteurs et aux artistes de l'antiquité grecque et romaine regardée comme base de la
civilisation. L'antiquité classique. Les langues classiques, le grec et le latin. Le grec classique, celui
du Ve siècle avant J.-C. Le latin classique, celui de Cicéron et de César. Par anal. L'arabe
classique, l'arabe littéraire.
☆2. Dans un sens plus récent, qui suit les règles de composition et de style instaurées par la
tradition antique, en parlant particulièrement des écrivains et des artistes du règne de Louis XIV
(voir Classicisme). Boileau, La Bruyère, Fénelon sont des écrivains classiques. Bossuet est un
illustre orateur classique.
Bon, mais on classe abusivement bien des auteurs, notamment romantiques, dans ce cadre ; la
poésie classique est très corsetée, les mots se doivent d'y être "savants", les alexandrins rigoureux (3-3 / 3-3) etc.
Bref, ça ne rigole pas !
Et si Lamartine peut faire office de "chaînon manquant" entre le classicisme et le romantisme, il
faut se rendre compte que des gens qui nous paraissent très sérieux, comme monsieur Victor Hugo,
par exemple, passaient, à l'époque pour de dangereux trublions anarchistes !
Considérer, par exemple, Baudelaire comme un poète classique, ce que presque tout le monde fait,
relève de l’hérésie, le grand Charles se situant bien plutôt entre les sphères romantiques et celles,
avant-gardistes, du symbolisme...
Ceci étant, passons au sonnet (oui, "classique") :
Le sonnet est une forme magique ! C'est l'unique forme fixe qui apporte, par sa seule architecture,
une qualité supplémentaire au texte ; sa construction, qui n'autorise pas à la médiocrité, est un des
arcanes majeurs du précipité poétique ; véritable génie sémantique, le sonnet "pur", défini par
Banville, (Théodore de) est celui dont l'histoire nous apprend que c'est Pelletier, obscur poète pleïadiste
du 16ème, qui l'aurait introduit ; et plus je l'étudie, plus je penche à admettre que ce choix structurel
( abba abba ccd ede) présente une sorte de parangon de l'équilibre littéraire poétique.
(Mise à part ma conviction sur les possibilités de variation de mètre, que je maintiens, je suis
d'accord en tous points avec les informations apportées par Jim)
On pourrait y rajouter que le sonnet se peut commencer indifféremment par une rime masculine ou
féminine, que le sens du texte se doit de bifurquer après le dernier quatrain, et qu'il exige une
"chute" au dernier vers, mais ce dernier point a déjà été évoqué, je crois...
L'hétérométrie, bien sûr, est interdite.
Le sonnet régulier n'admet pas la licence, réclame des rimes exclusivement riches, est plus
susceptible qu'un serpent à sonnette, nous vient d'Italie (avec Pétrarque, peut-être) et je crois que
c'est Clément Marot qui en a pondu le premier œuf français (cocorico)
Cependant, le pouvoir évocateur du sonnet est tel, que même en transgressant ses règles, pourvu
qu'on le fasse avec doigté, et la prudence infinie que nécessite l'exercice, et surtout, qu'on se garde
de toucher à sa structure cristalline ; même transgressé, le sonnet reste capable de miracles et de
mirages...
Sa pratique, rigoureuse et / ou / puis / aléatoire, sera pour le poète, un entraînement de tout premier
ordre ; attention, ça ne supporte pas la médiocrité, réussi, il sera d'autant plus beau, gâché, il sera
d'autant plus laid !
Voici un des plus beaux sonnets de l'histoire de la poésie - et un des plus connus - par José Maria de
Heredia, qui, malgré son nom à coucher dehors, dormait dedans, et maniait un français parfait, ce
qui, pour un parnassien, fût-il d'origine cubaine, est la moindre des choses !
Les conquérants
Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,
Fatigués de porter leurs misères hautaines,
De Palos de Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d'un rêve héroïque et brutal.
Ils allaient conquérir le fabuleux métal
Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines,
Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
Aux bords mystérieux du monde Occidental.
Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
L'azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil d'un mirage doré ;
Ou penchés à l'avant des blanches caravelles,
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l'Océan des étoiles nouvelles.
Hein ! ça pulse !
Tiré de son "Art poétique",
pour finir, beaucoup moins bon, mais plus dans le sujet, voici un texte de Boileau, technicien hors
pair de la langue versifiée (il aurait pu nous en faire un sonnet)
On dit, à ce propos, qu'un jour ce dieu bizarre,
Voulant pousser à bout tous les rimeurs françois,
Inventa du Sonnet les rigoureuses lois ;
Voulut qu'en deux quatrains, de mesure pareille,
La rime, avec deux sons, frappât huit fois l'oreille ;
Et qu'ensuite six vers, artistement rangés,
Fussent en deux tercets par le sens partagés.
Surtout, de ce Poème il bannit la licence ;
Lui-même en mesura le nombre et la cadence ;
Défendit qu'un vers faible y pût jamais entrer,
Ni qu'un mot déjà mis osât s'y remontrer.
Du reste, il l'enrichit d'une beauté suprême
Un sonnet sans défaut vaut seul un long Poème.
En voici deux de mon cru, à 10 ans d'intervalle :
Sonnet
Ce soleil-là n’est pas le mien
J’y brûlerais ma pauvre face
Sans atteindre au profil rapace
Du versificateur ancien
Le sonnet n’est-ce pas dépasse
En lui-même un art parnassien
Et je hais l’académicien
Que toute entorse au code glace
S’il faut pour briller assoner
Subtilement déraisonner
En révérant l’utile règle
Je préfère en utilisant
Du croupion les plumes de l’aigle
Glisser au lof dans le brisant
°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
Sonnet
(Dix ans plus tard…)
Se pourrait mien ce soleil-là,
Mais il est tard pour que j’advienne
A la perfection musicienne
Exigeant, pour son Walhalla,
Qu’on pose strictement le la
A la loi, si théoricienne,
Dont Banville a cru faire sienne
La coercition qui cala
Le poème, en des rails trop fermes,
En en déterminant les termes
Au-delà des classiques us.
Que de larmes de sang suées
A réfuter, de ce corpus,
Quelque atteinte aux Saintes Nuées !
Salut ?
Salus
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