SAMIVEL – Chapeau pointu (Stock 1946)

Le bon temps

L'autre soir un vieillard me fit un long discours,
ou qui me parut tel, car l'entr'acte était court.
(c'était à l'Opéra-Comique)
- Il se perd, me dit-il, de nombreux coups de trique !
et je cherche partout le gramme de bon sens
qui manque à la plupart des gens
en cette lamentable époque.
Je puis en témoigner : tout allait autrement
de mon temps !
Ah ! c'était le bon temps ! Et tenez, quand j'évoque
ce qu'était la Scène autrefois...
Les chanteurs avaient de la voix !
Les danseuses dansaient. Maintenant...elles sautent !
Et n'allez point me parler d'autres
actrices que notre Sarah !
Ah !
oui, c'était le bon temps !... mon jeune ami, les femmes
de jadis avaient des appas...
aujourd'hui...je n'en voudrais pas !
Fagotées de robes infâmes,
sans chic et sans allure...et bien pire : sans âme !
On ne sait plus aimer comme avant, croyez moi,
et j'ai connu d'autres émois...
D'ailleurs, je vois partout décadence effroyable.
On a perdu l'art des repas.
Les enfants parlent même à table !
Et leurs parents...n'en parlons pas !
Les quatre saisons se détraquent.
On prend un rhume en plein mois d'aout.
De tous côtés les peuples craquent
et nous allons, Dieu seul sait où !
- Ma foi, Monsieur, lui répondis-je,
je vois bien qu'en comparaison
le nouvel âge vous afflige...
et vous devez avoir raison.
Oui ! J'en suis convaincu, les filles
brunes l'étaient plus qu'aujourd'hui.
Les merles sifflaient mieux. Et le soleil ne luit
pas si fort. Et les roses brillent
aux doigts de belles moins gaiement...
C'est un désastreux changement !
Votre époque était bien la seule,
j'en conviens...
...et vous étiez jeune...

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