J’ai toujours aimé cette charmante promenade qui, à Lyon, de la Croix-Rousse mène au Parc de la Tête d’Or, descendant de longs escaliers entre deux murs où dépassent des figuiers, des cerisiers, de la vigne vierge et de la glycine. Cette rue est la rue Joséphin Soulary.
Ces escaliers conduisent devant une petite maison ; dans le mur est encastré le portrait du poète Joséphin Soulary qui vécu là jusqu’à sa mort en 1891.
Joséphin Soulary (1815-1891) est- un poète oublié. Apprécié par quelques « dégustateurs de poésie qui comprennent bien que les vins précieux se boivent dans les petits verres ». Il fut reconnu par Barbey d’Aurevilly, par Sainte Beuve qui le compare à Théophile Gautier « mais plus rare et qui a des idées ».
Poète de la célébration de la nature, la beauté de la fleur, la douceur du paysage, le charme de l’idylle... «tiens toi debout devant le soleil qui se lève » et maître du sonnet.
Il fut chef de division de la préfecture du Rhône avant de devenir en 1864 bibliothécaire au Palais des Arts de Lyon.
« Dans mon village de Lyon
Nous avons aussi nos merveilles
Des gens de plume et de crayon
Voire des commis de rayon
Et des abeilles... »
Il écrit sur Jacquard
« Sa gloire d’un rayon en sera t-elle accrue ?
Non, le métier qui bat au coin de cette rue
Voilà le vrai rhapsode et seul il en dit plus
Que ne feront jamais tous les chants de nos luths »
Ce message a été édité - le 03-10-2020 à 09:48 par Ottomar
Il y avait, rue Duviard, une vieille droguiste qui par ailleurs claudiquait fortement ce qui lui donnait un air très particulier. Elle possédait un accent lyonnais fort prononcé et une propension aux expressions vernaculaires du Plateau de la Croix-Rousse.
Sa boutique débordait largement sur le trottoir et avait une odeur de naphtaline mêlée de lessive que je n’ai jamais retrouvé ailleurs. Il y avait là un vrai capharnaüm composé de mille choses souvent pendues au plafond. Cette brave dame se servait d’une perche, car elle même était fort petite, pour attraper un seau, une cuvette en plastique ou un débouche évier, enfin tout ce que l’on pouvait lui demander et qui ne se trouvait pas sur un rayon ou au sol. Elle, connaissant parfaitement l’emplacement de chaque produit, n’hésitait jamais, soit à se diriger vers l’objet, soit à saisir sa perche et décrocher ce qui était demandé. Ce qui donnait l’impression à l’acheteur d’avoir gagné un lot dans une baraque foraine.
Un jour, j’avais déjà dix-sept ans, je vins la voir pour me procurer une bouteille d’acide chlorhydrique afin de vérifier la teneur en calcaire de certaines roches ( j’étais alors membre actif de la société linnéenne de Lyon). Et que veux-tu en faire me dit-elle ? C’est pour des expériences de géologie lui répondis-je. Observant un court instant de silence et me regardant songeuse et un brin soupçonneuse me dit « tu veux devenir curé ? ». Elle avait sans doute confondu géologie avec théologie . Confusion digne de Guignol ou de Gnafron...une vraie réplique de théâtre en somme qui ne peut s’expliquer qu’à Lyon où depuis quatre siècles s’observent les deux collines. Celle qui travaille, la Croix-Rousse et celle qui prie, Fourvière. Cette droguiste me considérait comme « passé de l’autre côté » en somme !
Un autre personnage reste dans ma mémoire.
Monsieur Boudarel, l’épicier à l’angle de la rue d’Isly et de la rue Jacquard avait, dans son arrière boutique un téléphone comme ceux que l’on voit dans les films de Charlot, un cornet et une manivelle qui était toujours en usage dans les années soixante. Lui était toujours revêtu d’une antique blouse grise que je lui ai toujours vu porter. Quelques rues plus loin, une autre épicerie « chez Fayette » ; mon père m’envoyait y chercher dans un pot en verre, de la moutarde « au tonneau » vendue au détail et au poids, sans comparaison selon lui avec la moutarde »en pot » vendue dans n’importe quelle épicerie.
Tôt le matin on entendait le laitier sur son triporteur qui sifflait tout en livrant le lait à domicile.
Au pied de notre immeuble, une femme âgée sortait tous les matins sa vieille carriole à bras pour se rendre sur le marché du boulevard tout proche où elle vendait des fromages de chèvres.
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Rue d’Isly j’entends encore distinctement le « bistanclaque-pan » des métiers à tisser des derniers canuts de la Croix-Rousse.
Ces personnes, ces odeurs, ces bruits appartiennent à cet « ancien temps » que je revois toujours avec tendresse.
Ce message a été édité - le 03-10-2020 à 15:14 par Ottomar
Ce message a été édité - le 03-10-2020 à 15:16 par Ottomar
Super...alors planons encore avec
le pain abouché:
Place des Tapis, le boulanger vendait des couronnes farinées dont je n’ai jamais retrouvé le goût ailleurs. Je venais spécialement dans cette boulangerie, alors qu’il en existe une au début de la rue d’Isly, pour cette fameuse couronne.
Je crois avoir trouvé le secret de ce pain si particulier. Il s’agit vraisemblablement d’un pain « abouché ». Nizier du Puitspelu nous en donne la définition dans le Littré de la Grand’Côte.
« c’est un pain qu’on a mis à cuire en renversant la petite paillasse ronde dans laquelle est la pâte. Pour le pain non abouché, qui se nomme pain « jeté », on le jette au four comme un palet. Un pain abouché est meilleur...le mitron étant obligé d’enfariner le fonds de la paillasse pour que la pâte n’y adhère pas.
On enfarine sa vagnotte (redingote) quand on veut couper le pain abouché, ce qui n’arrive pas avec le pain jeté. »
En effet je me souviens de ce pain qui nous « enfarinait » délicieusement et qui contribuait à lui donner sa spécificité, son goût et son charme.
Il m'arrive (rarement maintenant) de venir à Lyon. Tous ces métiers ont en effet disparu. Les rues cependant en conservent les traces . Imprimées dans ma mémoire, elles restent perceptibles mais évanescentes.
Merci Marcek pour cette lecture.
Ce message a été édité - le 01-03-2023 à 14:03 par Ottomar
Je me souviens quant à moi, étant d’un âge vénérable ( née en 1939 pour ne rien te cacher ) de tous ces petits métiers aujourd’hui disparus . Dans le petit village du Lot, non loin de Cahors, il y avait un garde-champêtre dont le tambour nous rameutait, nous, les gamins, sur la place du village ! Il y avait le rémouleur, le ramasseur de peaux de lapins, le vitrier …une petite épicerie et bien sûr le café de Gratadou où les hommes venaient boire leur chopine et jouer aux cartes. J’habitais la maison qui jouxtait le café et , de la cuisine, j’entendais les gros rires de ces hommes à qui les chopines donnaient de l’entrain ! Mais un jour, je fus bien aise de les trouver au café pour un appel au secours : ma grand-mère , forte femme heureusement avait l’armoire de sa chambre qui avait basculé sur elle et elle la retenait à bout de bras… guettée par l’épuisement …les mains vigoureuses des hommes rameutés remirent l’armoire en place en deux temps trois mouvements !
Ce message a été édité - le 01-03-2023 à 12:08 par Marcek
Le temps historique paraît long alors que le temps que nous évoquons dans nos souvenirs paraît toujours très court.Ce qui a été ne sera jamais plus cependant ces instants passés sont toujours vivants et bien vivants en nous. Ils ne s'effacent pas.
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