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Ottomar
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Posté à 10h16 le 12 Mar 21

La promenade au Chambon sur Lignon



Lors de son dernier séjour parisien entre l’automne 1776 et avril 1778, Jean Jacques Rousseau dans « les rêveries du promeneur solitaire (1782) »  écrit:

« mon imagination déjà moins vive ne s’enflamme plus comme autrefois à la contemplation de l’objet qui l’anime, je m’enivre moins du délire de la rêverie ; il y a plus de réminiscence que de création dans ce qu’elle produit »

Ainsi dans la seconde promenade, il revit ses rêveries chaque fois qu’il se les remémore.

C’est un peu ce que j’ai ressenti en ce mois d’août 2020 en revenant au Chambon sur Lignon. Je savais que je serais confronté à mes souvenirs d’enfance.

Entre cinq et huit ans je suis venu, l’été et à Pâques dans cette ville dans un « home d’enfants » nommé « les Pins ».
La juxtaposition des deux regards, le présent et le passé est difficile car beaucoup de choses ont changé depuis ...soixante ans !
Si je ferme un instant les yeux et que je pense à ma jeunesse au Chambon je vois nettement une maison entourée de sapins, beaucoup de pommes de pins à terre (les babets) et je peux me remémorer quelques instants vécus dans cette maison : le directeur du lieu et son épouse appelés affectivement « oncle Raymond et Tante Françoise », les chambres ( celles des Mousquetaires que j’occupais ), de longues promenades le long des sentiers caillouteux et la vision des grands espaces du plateau de Massif Central, la présence de mon copain de toujours Paul-Henri, un dîner d’anniversaire où un magicien avait été convié pour nous surprendre ( ses tours avec des anneaux en cuivre dont j’entends encore le bruit en se percutant), les animatrices suédoises qui nous avaient appris « Frère Jacques » dans leur langue, et dont je me souviens encore aujourd’hui de toutes les paroles.

J’ai aussi une image qui est très présente à mon esprit, il s’agit d’un lieu au bord du Lignon avec mes parents et ceux de Paul-Henri. Là nous pêchions des écrevisses avec des nasses en cordes.
Ce lieu apparaît dans ma mémoire comme le célèbre tableau de Watteau que j’ai découvert beaucoup plus tard, « L’embarquement pour Cythère » ; son atmosphère suspendue d’un paysage d’automne plus que par les personnages représentés sur le tableau. Tableau qu’évoque également Gérard de Nerval, le poète du Valois, dans les Filles du Feu. « Nos costumes modernes dérangeaient seuls l’illusion ».

Nerval me parle aussi dans « Poésies de jeunesse » :

Qu’ils étaient doux ces jours de mon enfance
Où toujours gai, sans soucis, sans chagrin,
je coulais ma douce existence,
Sans songer au lendemain.



Par quel mécanisme mental une œuvre picturale de cette nature et les vers d’un poète peuvent-ils s’inscrire sur un souvenir vague, cela reste un mystère. « Mais des illusions ne conduisent-elles pas souvent, sans qu’on s’en doute, vers une espèce de vérité que l’exactitude ne cernera jamais » comme le note un autre poète, Philippe Jaccottet, dans la promenade sous les arbres.
La présence dans mon esprit de ce tableau s’impose. Il apparait avec la luminosité des coloris, une certaine grâce, une délicatesse s’alliant à un désir de retrouver cet état de l’enfance ou en ce jour précisément, ce moment survit réellement dans la grâce et la délicatesse.
Une simple perception toute personnelle d’un moment effacé, un instantané photographique. Une volonté persistante de ressentir comme tel cet instant.

Ce paysage pictural et rêvé , composé d’arbres aux verts feuillages, d’une eau douce et tranquille et d’une légère brise qui a inspiré Watteau est en fait le paysage d’un étang proche d’Ermenonville. Je suis passé à plusieurs reprises devant ce paysage et cet étang. La sensation d’un instant de bonheur figé dans le temps m’est chaque fois apparu.

Le Chambon d’aujourd’hui me réserve quelques surprises. J’ai beaucoup de difficultés à retrouver l’emplacement des Pins. Je crois cependant l’avoir trouvé. Il s’agit toujours d’une structure pour héberger de jeunes enfants. L’ensemble est en travaux de rénovation. L’environnement, en revanche a totalement changé. Il n’y a plus une forêt de sapins mais une mosaïque de maisons individuelles. Une zone résidentielle pour les vacances d’été.
Le village lui même est méconnaissable. L’Hôtel « Central » où logeaient mes parents quand ils venaient me rendre visite le week-end n’existe plus. Seule la façade laisse encore deviner le nom de l’hôtel ; le rez-de-chaussée est occupé par une banque.

Ma véritable découverte se situe cependant sur un tout autre plan.
J’avais appris, il y a quelques années que les habitants du Chambon sur Lignon, en grande majorité protestants, avaient, durant la dernière guerre, caché de nombreux juifs pourchassés par les nazis. A ce titre la ville, avec des communes voisines, reçut en 1990 le diplôme d’honneur, décerné par l’institut Yad Vashem de Jérusalem, titre de « villes des justes » « qui se sont portées à l’aide des Juifs durant l’occupation allemande, et les ont sauvés de la déportation et de la mort ».

Un Lieu de Mémoire, fort bien réalisé avec des textes, des films, des photographies, a été installé pour expliquer au public cette sombre période et le rôle des habitants de la région pour ce sauvetage exemplaire.

En face de ce Lieu de Mémoire se trouve le Temple du Chambon. Sur le porche est gravé un verset biblique dans la pierre de granit :

« Aimez-vous les uns les autres 
»

et, à l’entrée du Temple, une plaque commémorative rappelant que les pasteurs, durant la dernière guerre, préchérent pour l’accueil et appelaient à la résistance avec les Armes de l’Esprit.

Et c’est avec Gérard de Nerval que je termine cette promenade au Chambon sur Lignon avec ces quelques vers :

Sur le pays de chimères
Notre vol s’est arrêté :
Conduis-nous en sûreté.







Ce message a été édité - le 12-03-2021 à 10:17 par Ottomar



Ce message a été édité - le 12-03-2021 à 17:15 par Ottomar

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