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Auteurs Messages

Jim
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Posté à 18h30 le 22 May 22

Extrait de la préface,
écrite par Pierre Vesperini (*),
à « Les Magiciennes et autres idylles » de Théocrite



Aujourd'hui, les poètes écrivent des textes destinés à être lus en silence et dans la solitude. Mais les poètes grecs d'avant Alexandrie – Homère, Hésiode, Sappho, Anacréon, Pindare, Eschyle, Sophocle, Euripide, Aristophane – n'écrivaient pas des œuvres orientées vers la lecture solitaire.
Les poètes archaïques sont des chanteurs - « aèdes », dit-on parfois, pour calquer le grec aoidoi et éviter de tirer Homère et les autres du côté de la « musique », sinon de la « chanson » - se produisant lors de performances rituelles, possédés parfois par les Muses ou par Apollon. La mise par écrit de certains de leurs chants, quand elle se fait, a lieu après eux et indépendamment d'eux.
Les poètes classiques, eux, écrivent, mais toujours, eux aussi, en vue de performances rituelles (banquets privés, fêtes publiques, concours des Grandes Dionysies, etc.), où l'écriture est toujours indissociable de la musique. Les poiètai lyriques (Pindare, Simonide, etc.), tragiques (Eschyle, Sophocle, Euripide, etc.), comiques (Aristophane, etc.), sont indissociablement « écrivains » et « compositeur de musique ». Quand nous « lisons » par exemple l'Œdipe roi de Sophocle, c'est à dire sans musique, c'est comme si, dans deux mille cinq cents ans, nous lisions le livret du Parsifal de Wagner sans la musique, et que nous rangions Wagner dans l'histoire de la littérature.
Autrement dit, le poète, tel que nous le connaissons, n'existait ni dans la Grèce archaïque, ni dans la Grèce classique.
Il naît à l'époque de Théocrite, à partir de la constitution de la grande bibliothèque du Musée d'Alexandrie, où les rois lagides, se mettant à l'école du Lycée d'Aristote et de sa conception encyclopédique de la philosophie, ont décidé de rassembler tous les livres du monde. Des savants pensionnés, les « philosophes » du Musée, les classent, les lisent, les éditent et les commentent. Et les auteurs dont ils s'occupent en premier, avant les prosateurs (historiens, orateurs, philosophes), ce sont les poètes, car ce sont les poètes qui dominent la culture, et donc gouvernent l'éducation des élites comme du peuple.
C'est ainsi à Alexandrie que se constitue pour la première fois un « canon » poétique. Et c'est à Alexandrie que, pour la première fois détachés de leur monde d'origine, celui de la performance musicale, les poètes – d'Homère à Aristophane en passant par les Lyriques et les Tragiques – deviennent des « écrivains ».

(*) cette génération n'aura pas produit que des microbes, quelle joie !



Ce message a été édité - le 22-05-2022 à 18:53 par Jim

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