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Auteurs Messages

Salus
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Messages : 6936


Posté à 20h03 le 25 Feb 17








Glose N° 25



Où l'auteur mélange, en professionnel les cartes,
Camouflant l'erreur et la lacune en lagon
Pour les faire accroire écrites au parangon
De l'art littéraire, - un plagiat du grand Descartes !


Le « Chronos Erratum Gang »

Vous a, depuis peu,
décousu ses gloses par ordre de naissance des protagonistes mis en scène ;
suite à un oubli dû à trop de courants d’air dans les hémisphères de ce qui lui tient lieu de cerveau, le « Chronos Erratum » vous présente, avec ses excuses,
un poète né avant Jean-Paul Toulet (Les contrerimes) il s’agit de Laurent Tailhade, né, donc en 1854, anarchiste, libertaire, bretteur colérique, ami de Zola, dreyfusard, ami de Verlaine, qui ne lui pardonnera pas ses « faux » Rimbaud, remarquables de style, mais qui ne tromperont pas les amoureux de l’œuvre du Mage. (Contrairement à ses habitudes provocatrices, le faussaire présentera, à Verlaine et à la mémoire poétique de Rimbaud, de fort convenables excuses…)
Du latin, Tailhade traduit « Le Satyricon » pièce archéologique de cucuteries littéraires romaines, due à un certain Pétrone (et non à Fellini), enchaîne les duels et les hexamètres.

Vengeur, plutôt que critique, c’est un poète enragé et engagé, cependant il écrit superbement,
jugez plutôt :



Ils sont hideux et bêtes,
Ils portent sur leurs têtes
L’air brutal et sournois
Propre aux bourgeois.

Ils lèchent les derrières,
Les pattes meurtrières,
Les sabres dégainés
Des galonnés.

Tous, ruisselant d’extases,
Bénissent les ukases,
Le drapeau tricolor,
L’État-major



…Mais il pond autre chose que des brûlots, et toujours dans une ‘irréprochable’ versification classique (en fait, il se permet pas mal de choses – un anarchiste ! – mais avec beaucoup de respect, de finesse et de rigueur – un anarchiste ? -)
Poème :


Les fleurs d'Ophélie


Fleurs sur fleurs ! fleurs d'été, fleurs de printemps, fleurs blêmes
De novembre épanchant la rancœur des adieux
Et, dans les joncs tressés, les fauves chrysanthèmes ;

Les lotus réservés pour la table des dieux ;
Les lis hautains, parmi les touffes d'amarante,
Dressant avec orgueil leurs thyrses radieux ;

Les roses de Noël aux pâleurs transparentes ;
Et puis, toutes les fleurs éprises des tombeaux,
Violettes des morts, fougères odorantes ;

Asphodèles, soleils héraldiques et beaux,
Mandragores criant d'une voix surhumaine
Au pied des gibets noirs que hantent les corbeaux.

Fleurs sur fleurs ! Effeuillez des fleurs ! que l'on promène
Des encensoirs fleuris sur la terre où, là-bas,
Dort Ophélie avec Rowena de Trémaine.*


(* Rowena de Trémaine, Noble jeune fille victime d’une nouvelle d’Edgar Allan Poe…)


Espérant avoir fait amende honorable, le « glose’s gang » reprend le cours de son flux (non, ce n’est pas une contrepèterie !) pour passer à Patrice de la Tour du Pin – exact inverse du précédent – qui enfonce l’azur de sa prétentieuse et dévote pédanterie, eh, oui, ce sont des choses qui arrivent ; on est très loin des prouesses de l’éther jammessien (Francis Jammes), à foi supposée égale… Dans d’horribles césures, un français châtié, au propre comme au figuré, et des vers qui admettent à peu près n’importe quoi, y compris le hiatus, l’« e » muet - et l’ennui (plus grave !), il réussit le tour de force de transformer Pégase en cheval de labour ; pourquoi je vous en parle ? Ben, parce que je l’ai lu, c’est très bien écrit !
Extrait :

Enfants de septembre


Mais les bois étaient recouverts de brumes basses
Et le vent commençait à remonter au Nord,
Abandonnant tous ceux dont les ailes sont lasses,
Tous ceux qui sont perdus et tous ceux qui sont morts,
Qui vont par d'autres voies en de mêmes espaces !
Et je me suis dit : Ce n'est pas dans ces pauvres landes
Que les enfants de septembre vont s'arrêter ;
Un seul qui se serait écarté de sa bande
Aurait-il, en un soir, compris l'atrocité
De ces marais déserts et privés de légende ?


Autre exemple (tiré de « Amphise » :


D'un coup je tirai sur son mors
Et retournai vers ma forêt,
Galopai sa plus longue laie
Fis un grand courant d'air doré
Où me suivaient biches et cerfs,
Tendis les branches violemment,
Entraînai tout dans mon élan,
Ma forêt qui devenait blonde
Comme le soleil l'animait ;
Et j'ai chevauché sur le monde


Je vous laisse juge, on a le droit d'aimer.
Passons pudiquement sur Anne-Marie Albiach, figure plus contemporaine d'une poésie dont, si je ne me retenais pas, je ne pourrais dire que du mal (envoyez vos épistoles rageuses au journal, les plus virulentes seront publiées), et lisez plutôt Renée Vivien, qui précéda Patrice et Anne-Marie de quelques années, mais dont le brio, quoique un peu conditionné par l’alexandrin (et la strophe saphique) ne se dément pas tout au long de son œuvre...

Oui, je ne vais pas vous dire toutes mes inimitiés, mes amours tièdes et mes incompréhensions, ça prendrait des plombes et on a mieux à faire ; parlons de Sabine Sicaud, qui eut un destin tragique et le mérite d’être une poétesse de génie dans un temps extrêmement court, et à un âge le disputant à celui de Rimbaud, qui, j’en suis sûr, aurait apprécié cette Muse savante, subtile, semblant approximative, mais pleine d’une rouerie et d’une expérience littéraire et prosodique inconcevable chez quelqu’un d’aussi jeune…

Le Vers, par la mort prématurée de Sabine (née le 23 février 1913 et morte le 12 juillet 1928),
fut grevé d’une de ses plus belles promesses.

Voici les deux derniers couplets du « Petit Cèpe », et si je compte bien, elle n’avais pas onze ans quand elle a écrit ça :


Brun et doré, sur le talus,
Tu t'épanouiras en coupole, si ronde,
Si large, que la lune en marche, une seconde
S'arrêtera pour te frôler de son doigt blanc ; la nuit
Se fera douce autour de toi, bleue et profonde ;
Mignonne hutte sauvage... table ronde.

Pour les rainettes, dont l'œil jaune et songeur luit,
Mon cèpe, tu ne seras plus un clou dans l'herbe verte
Mais un pin parasol dans l'ombre où se concertent
Les fourmis qui toujours s'en vont en longs circuits;
Tu seras une belle tente, grande ouverte,
Où les grillons viendront chanter la nuit.



Stupeur ! on met en doute, elle doit prouver, elle prouve, elle gagne quelque concours, Anna de Noailles flashe sur ce prodigieux esprit poétique et participe beaucoup de son accès au public, qui restera (qui reste ?) confidentiel.
Les siens, qui ne lui survivront pas – ou mal, sont des gens charmants, intelligents et atypiques, relativement aisés, leur maison au nom évocateur, située pas très loin de chez moi, demeure…ses vers sont immortels, extraits :
Recueil : Les chemins (1920)
(Ce chemin, ni "Vassili" n'existait pas… encore ! Comme il n'existerait jamais, il a bien fallu à la fée, tout inventer.) - note du gloseur -

Le chemin de l'amour

Amour, mon cher Amour, je te sais près de moi
Avec ton beau visage.
Si tu changes de nom, d'accent, de cœur et d'âge,
Ton visage du moins ne me trompera pas.
Les yeux de ton visage, Amour, ont près de moi
La clarté patiente des étoiles.
De la nuit, de la mer, des îles sans escales,
Je ne crains rien si tu m'as reconnue.



Autre extrait de l’œuvre brève...


Printemps


Et puis, c'est oublié.
Ai-je pensé, vraiment, ces choses-là ?
Bon soleil, te voilà
Sur les bourgeons poisseux qui vont se déplier.

Le miracle est partout.
Le miracle est en moi qui ne me souviens plus.
Il fait clair, il fait gai sur les bourgeons velus ;
Il fait beau - voilà tout.




Dans la propriété familiale, propice aux songes jusques en son nom : « La Solitude », le petit elfe chope une infection épouvantable par une coupure et un bain dans de l’eau douteuse (le Lot ?)…La saloperie lui dévore les os, on connaît pas trop ça, à l’époque, les microbes, Pasteur est encore tiède, mais ces minuscules choses sont extrêmement méchantes, avec des yeux rouges et des dents pointues, ce sont nos ancêtres à tous, méfiez vous-en !
Sabine succombe en exhalant un dernier souffle d’azur, la perte est irréparable, je vous passe quelques de ces merveilles, et à bientôt pour d’autres joyeuses gloses !


…Et quand on meurt, à 15 ans…

"N'oublie pas la chanson du soleil, Vassili.
Elle est dans les chemins craquelés de l'été,
dans la paille des meules,
dans le bois sec de ton armoire,
si tu sais bien l'entendre.
Elle est aussi dans le cri du criquet.
Vassili, Vassili, parce que tu as froid, ce soir,
ne nie pas le soleil. "

Et Aussi :

Vous parler ?

Vous parler ? Non. Je ne peux pas.
Je préfère souffrir comme une plante,
Comme l'oiseau qui ne dit rien sur le tilleul.
Ils attendent. C'est bien. Puisqu'ils ne sont pas las
D'attendre, j'attendrai, de cette même attente.

Ils souffrent seuls. On doit apprendre à souffrir seul.
Je ne veux pas d'indifférents prêts à sourire
Ni d'amis gémissants. Que nul ne vienne.

La plante ne dit rien. L'oiseau se tait. Que dire ?
Cette douleur est seule au monde, quoi qu'on veuille.
Elle n'est pas celle des autres, c'est la mienne.

Une feuille a son mal qu'ignore l'autre feuille.
Et le mal de l'oiseau, l'autre oiseau n'en sait rien.

On ne sait pas. On ne sait pas. Qui se ressemble ?
Et se ressemblât-on, qu'importe. Il me convient
De n'entendre ce soir nulle parole vaine.

J'attends - comme le font derrière la fenêtre
Le vieil arbre sans geste et le pinson muet...
Une goutte d'eau pure, un peu de vent, qui sait ?
Qu'attendent-ils ? Nous l'attendrons ensemble.
Le soleil leur a dit qu'il reviendrait, peut-être...



Recueil " Douleur, je vous déteste " Les poèmes de Sabine Sicaud (Stock)
Et pour finir par un peu de la grande magie qui souffla sur son œuvre (laquelle tient en un seul livre):


La Grotte des Lépreux

Vallée du Gavaudun.


Ne me parlez ni de la tour,
Ni des belles ruines rousses,
Ni de cette vivante housse
De feuillages en demi-jour.

La gorge est trop fraîche et trop verte ;
La rivière, comme un serpent,
S'y tord, à peine découverte
Sous trop d'herbe où reste en suspens
Le mystère des forêts vierges.

Ne me parlez ni de l'auberge,
Ni des écrevisses qu'on prend
Dans la mousse et les capillaires.

Je n'ai vu, de ce coin de terre,
Ni la paix du soir transparent,
Ni celle des crêtes désertes.
Mais, barrant le ciel, deux rochers
Tout à coup si nus, écorchés,
Avec plusieurs bouches ouvertes !

Vers ces bouches noires, clamant
On ne sait quelle horreur ancienne,
Savez-vous si, furtivement,
De pauvres âmes ne reviennent ?

Où sont-ils, où sont-ils, mon Dieu,
Ces parias vêtus de rouge
Qui, là-haut, guettaient les soirs bleus
Par les trous béants de ce bouge ?

Grotte des Lépreux, seuil maudit
Au bord de la falaise ocreuse...
Il faudrait qu'on ne m'eût pas dit
Quel frisson traversait jadis
Ce décor de feuilles heureuses...


Fin de la glose,
salut !


Aurorefloreale
Membre
Messages : 5964


Posté à 21h09 le 25 Feb 17

Merci d'avoir recueilli si belles poésies , merci pour le si beau partage!
Aurore


Salus
Membre
Messages : 6936


Posté à 22h23 le 25 Feb 17


C'est toujours un plaisir qu'on me déchiffre, aussi
Vu qu'il se tape vers, prose, exégèses, gloses,
Sans broncher quand, rageur, je sort mes phrases rosses,
Nul lecteur n'est tenu de me dire merci !


Ancienmembre
Membre
Messages : 391


Posté à 19h53 le 04 Aug 19

Merci pour ces gloses que je relis avec le même plaisir et le même respect pour ton érudition.
Sais-tu que Laurent Tailhade est l'auteur des "Filles de Camaret" une paillarde célèbrissime chez les marins bretons, qu'il écrivit à Morgat, où il s'était réfugié, pour se venger de s'être fait expulser du patelin après avoir fait scandale à la procession du 15 août 1903 ?




Ce message a été édité - le 05-08-2019 à 20:10 par Obofix


Salus
Membre
Messages : 6936


Posté à 22h05 le 05 Aug 19


Je l'ignorais ; le saligaud !

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