Le Champ...

Il me revient parfois l'image d'un instant
Quand, embrassant ma mère en ce jeudi d’été,
Elle glissait dans mes mains une gourde de thé
Avant le grand départ vers les travaux des champs.

Sur le char cahotant dans les chemins de terre
Je ne l’entendais plus crier après mon père,
Rêvant à la fraîcheur de ma gourde au ruisseau
A côté des bouteilles de ce vin coupé d’eau.

En ce temps, faire les foins était une aventure
Qui venait atténuer la douleur des blessures
De mon être fragile et seul parmi les grands
En effaçant, ce jour, l’ennui de mes quinze ans.

La rivière s'écoulait, telle un léger torrent
Et son cours aux reflets d'une vive brillance
Exaltait la saveur d'un été de vacances
Au souffle doux et chaud d'un zéphyr caressant.

Le foin, déjà séché, se fanait au soleil,
Son odeur embaumait quand on le retournait,
Les engins mécaniques allaient et revenaient,
Dessinant sur le sol des andins parallèles.

Un ballet, une danse, harmonie paysanne,
Rythmée ici et là par les râteaux des femmes
Aux dents faites de bois que je cassais souvent,
Comme font les enfants quand ils s’essaient aux champs.

Les bottes se faisaient, remplaçant les andins
Qui disparaissaient aux entrailles des machines,
Elles en tombaient, massives, au hasard qu’on devine,
Les suivant pas à pas comme on suit un destin.

Puis en chargeant les foins en marche régulière
Arrivaient les moments espérés de la gloire
Quand, soulevant ces bottes de forces illusoires,
J’avais le sentiment de soulever la terre…



…Au jour qui s’en allait, grisé par la chaleur,
Je goûtais la saveur de me sentir en sueur
Quand pailles et poussières, sur ma peau, se collaient,
Témoignant des efforts qu’on me reconnaissait.

Et l’on se retrouvait au bord de ce ruisseau,
Fatigués et riants, à l’abri du soleil
Les hommes, en régalade, portaient haut leur bouteille…
Mon père, souriant, me portait aussi haut.

Il n’est pas de plaisir plus simple et enivrant
Qu’une lampée de thé, tout auprès de ces gens
Qui savaient me faire croire, l’espace d’un instant,
Que j’étais, à cette heure, déjà devenu grand…




Ecrit par Fanch
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