Où l'on fait connaissance avec maître Kostia 8

Le bois crépitait dans les flammes. Dénoncé par la sentinelle de porcelaine, anti-bouille-lait sonnant de la clochette et semblant guetter un moment d’inattention de Mémé, le lait gonflait à la limite du débordement. Juliette dressait la table, Paul coupait le pain, Luis ronronnait avec le chat. Le robinet gouttait. Les mûres marinaient dans le sucre. Mémé fouettait l’omelette et le cidre pétillait dans le broc. Les contrevents clos, les hiboux chantaient une sérénade aux chauves-souris.
— Luis, tu pourrais m’aider ! rouspéta Juliette
— La table, c’est un truc de fille et puis je suis trop jeune, fit Luis
— Et toi, Paul, tu ne dis rien ? fit la grand-mère
— Paul est amoureux, Mémé, répondit Juliette
— C’est une jolie maladie que cette maladie-là, continua Mémé.
Luis raconta toute l’épopée de l’après-midi, un vrai moulin à paroles pris dans une tempête.
— Paul était sous le charme d’une branche tombée d’un saule dont les cheveux se perdaient dans l’eau. C’est n’importe quoi et il a bien failli se noyer ! ajouta Luis. « Dans un profond trou d’eau »
— L’amour est insondable en effet mais notre Paul s’en est bien sorti, conclut Mémé qui s’enquit du sort de l’œuf : « Alors cet œuf, vous l’avez remis au liechi puisque vous êtes revenus sains et saufs ! Et ma foi, avec une bonne récolte ! »
— Eh bien, en fait, non, commença Juliette. C’est un hérisson qui l’a mangé !
— Mais le hérisson, j’te dis que c’était lui le méchant ogre des bois. Il était tout pareil avec des puces, reprit Luis quand on frappa au loquet.
— Qui va là ? fit la grand-mère : « Entrez ! »
— C’est le vagabond ! fit Juliette
— Le liéchi, fit Paul
— Le hérisson, fit Luis
— Maitre Kostia ! accueillit Mémé les bras grands ouverts se dirigeant droit sur le visiteur avant de vite se reprendre. Elle recula, serrant les enfants effrayés contre elle.
— Je viens chercher mon dû, vieille femme ! Ces ingrats que tu veux protéger, ont emporté ces baies que je vois là dans ce chaudron l Et je meurs de faim !
— Ils vous ont payé d’un œuf magique, Maitre Kostia ! s’avança Mémé.
— C’est ma faute, Liéchi ! Ne faites pas de mal à ma grand-mère ! riposta Paul qui rassembla son courage à deux mains.
— Ne crains rien, jeune homme ! Ce petit suffira pour mon souper ! répondit l’homme menaçant son frère, Luis.
— Pitié, Maitre Kostia ! reprit Mémé. Prenez plutôt place parmi nous, il me reste une dizaine d’œufs et un pichet de cidre, rien que pour vous.
— Nous vous laisserons notre part de tarte aux pommes, ajouta Juliette tremblante de peur.
— J’accepte l’invitation à la seule condition qu’il y ait de la confiture pour accompagner mon fromage et une rincette de calvados avec mon café, répondit l’ogre qui tendit son assiette à Luis tremblant comme une feuille. « Et pas de faux-col sinon je pourrais bien tremper ma soupe avec ses abattis ! » précisa l’homme en claquant de la langue.
Les garçons plongèrent le nez dans leur assiette quand Juliette osa demander : « c’est vrai ce que dit Paul, que vous avez des puces comme les hérissons ? »
— Forcément puisque c’est un hérisson, fit Paul dans un hoquet de peur.
— Mais alors Maitre Kostia, avouez que vous avez mangé l’œuf magique et que c’est pour cette raison que vous avez rempli les paniers avec les baies du roncier ! dit Mémé essayant d’apaiser le repas du soir pour que les enfants ne fassent pas de cauchemars.
— Vieille femme, tu as deviné. Je me change souvent en hérisson pour ne pas effrayer les enfants , cet après-midi était une erreur. Il me suffit d’en croquer un, une fois de temps en temps. Inutile de les effrayer, ça fait tourner la chair fraiche. Mais je ne résiste pas aux œufs, avoua le géant dont la voix finit par s’adoucir.
— Je le savais ! s’enhardit Luis que l’homme roux prit sur ses genoux en ajoutant :
— Mais tu ignores que je fais élevage de puces savantes…
— Racontez, s’il vous plait ! On pourra les voir ? fit Luis curieux
— Elles ne me quittent jamais, ces friponnes ! Mais il se fait tard, je reviendrais. C’est promis, je reviendrai. Je finirai bien par préférer la cuisine de votre grand-mère aux cuissots d’enfants, répondit l’ogre visiblement repenti.


Suite de <br />
<br />
BUISSON ARDENT 1<br />
MEME 2<br />
LA TOILETTE DES CHATS SAUVAGES 3<br />
LES PANIERS DU MARAIS 4<br />
MENTHE OU ROSE 5<br />
L’ŒUF BRISE 6<br />
LA SOUPE AU LAIT 7


Ecrit par Ann
Tous droits réservés ©
Lespoetes.net