Une piquante alliance 13

Les marronniers lâchaient leur épineuse progéniture sur la friche. Ces nombreux hérissons s’en allaient rouler dard-dard sous les feuilles d’or de l’automne commençant. C’était une belle matinée d’octobre ; les dernières guêpes tournaient autour des prunes pourrissantes, les champignons soulevaient leur chapeau grignoté par d’impudentes limaces se rendant à la mairie. Les enfants étaient à l’école, les hommes étaient absents. Derrière les fenêtres, les langues de vipère allaient bon train au passage du couple.
— Quel toupet de ne nous avoir pas conviés à la cérémonie ! jeta Victorine Bagout.
— Y seriez-vous allées ? Moi pas ! Pour cautionner cette honteuse dépravation ! fit la teigne de Simone à qui le bonheur des autres donnait la nausée.
— Vous rendez-vous compte : à cinquante-cinq ans, penser aux galipettes ! invectiva la jalouse Justine La Frite
— Croyez-moi, ils n’ont pas attendu de régulariser pour jouer la bête à deux dos, surenchérit Philomène, aigrie vieille fille dont les avances firent fuir tour à tour tous les gars de la localité et même les plus benêts.
Mémé et Kostia traversèrent le village jusqu’à la mairie sans escorte.
— Ma chérie, à embrasser votre cou, je sens du piquant ! Est-ce le présage d’une chaude nuit entre vos bras ? fit Kostia émoustillé.
— Mon ami, je crois bien avoir oublié quelques épingles à mon corsage, répondit Mémé.
Bras dessus, bras dessous, ils riaient de se savoir épier, ils surenchérissaient les plaisanteries grivoises et la description peu amène de ces ombres dont les rideaux se soulevaient sous les postillons de la médisance. Mémé portait, éperonné dans son chignon gris, un chapeau à large bord portant une ribambelle de fleurs en soie et une voilette de dentelle ivoire. Une chemise bleu nuit richement brodée d’arabesques argentées sur le col ornant son flanc côté cœur, enrobait les formes généreuses de l’heureux Kostia.
Les deux complices avaient bien orchestré le cérémonial commençant par la publication des bans qui faisait depuis un mois, jaser le voisinage qui passa à la forge de Kostia ; chacun à tour de rôle cherchant à se faire inviter :
— On veut voir quand tu passeras la bague au doigt de Jeanneton ! Ah la bonne blague, mon vieux Kostia, il était temps que tu ne sois complètement fané ! firent à peu près tous les hommes de la commune.
— Ah mais ! Pour la blague, vous repasserez ! Comprenez, nous préférons une cérémonie comme qui dirait : dans l’intimité !
— Coquin de Kostia, question intimité, tu auras toute ta nuit de noce ! fit le Raymond qui ne parlait plus qu’à son oreiller depuis plusieurs longues années.
— Allez les gars, n’insistez pas ! Mais après la cérémonie, vous serez invités aux festivités ! On videra le garde-manger et la cave puis on dansera mais laissez-nous la matinée sans témoins que les officiels. Vous savez comment est la Jeanneton ! Si vous n’obtempérez pas, elle pourrait bien vous empaler sur broche et vous faire manger par les petits cochons de lait prévus pour l’occasion.
— On attendra donc au bas des marches pour vous escorter à la table d’honneur, promit dans un crachat bien gras, Jean-Guillaume le boulanger, une bonne pâte qui ajouta : « J’apporterai la pièce montée, ça me fera plaisir ! »
— Et nos femelles, on ne pourra pas les empêcher de causer mais on se les tiendra à l’écart ! fut la promesse de Marie-Baptiste, le garde-forestier, habitué du gibier de potence.
Ce fut des noces joviales dont on se rappelait encore des années plus tard quand il fut question de porter en terre Mémé qui réserva à la communauté, le secret de ce grand jour officiel béni, croyait-on par l’abbé Degourges et Félix Lafourche, le maire de l’époque, ces deux-là mangeant depuis longtemps déjà les pissenlits par la racine.


Suite de <br />
<br />
BUISSON ARDENT 1<br />
MEME 2<br />
LA TOILETTE DES CHATS SAUVAGES 3<br />
LES PANIERS DU MARAIS 4<br />
MENTHE OU ROSE 5<br />
L’ŒUF BRISE 6<br />
LA SOUPE AU LAIT 7<br />
OU L’ON FAIT CONNAISSANCE AVEC MAITRE KOSTIA 8<br />
LE FORGERON 9<br />
LES HARDIESSES DE MAITRE KOSTIA. 10<br />
LE SHOW DES PUCES 11<br />
LES CONFESSIONS DE MEME 12<br />
<br />
Ce qui devait être le point final, appelle une suite... La révélation


Ecrit par Ann
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