Elle est seule

Elle est seule au bord du lit,
Comme assise au bord du vide,
Au fond d'elle s'est flétri
Son élan le plus limpide.

Il a suffi d'une nuit
Et d'une étreinte passable,
Entre l'ivresse et l'ennui
D'une fête interminable,
Pour que se forme en son sein
Cette vie déjà perdue,
Œuvre d'un trop bon copain
Qui l'a prise à peine nue.
Quelques semaines plus tard,
Elle a sonné à sa porte :
"Il n'y a pas de hasard,
C'est ton gamin que je porte."
Il est d'abord resté coi,
Puis a éclaté de rire,
Avant de lui lancer, froid :
"Non mais c'est quoi ce délire ?
Inutile d'espérer
Que je veuille être le père.
Tu n'auras qu'à avorter,
Après tout c'est ton affaire !"

Il suffit de presque rien
Pour subsister en ce monde,
Mais ce petit peu, ce rien,
Ce luxe de tout le monde,
Elle ne l'a même pas.
Pas de travail, ou à peine,
Pour dormir un matelas
Où le temps pèse et se traîne
Et, pour payer le loyer
De sa chambre de misère,
Le réflexe de prier
Avec une rage amère.
Alors, quand elle a compris
D'où lui venaient ces nausées,
Ses jours se sont assombris,
Ses nuits se sont effondrées.
Elle a pris un rendez-vous
Sans en parler autour d'elle.
C'est légal ! - Pas de remous,
Cela ne concerne qu'elle …

Il a suffi ce jour-là
D'une visite banale
Pour que tombe soudain, là,
La vérité médicale :
Malformé, handicapé,
Cet enfant ne doit pas naître,
Il est déjà condamné,
Il n'a plus qu'à disparaître !
Le docteur a insisté :
"Avec sa pathologie,
Vous ne pouvez le garder,
Ce serait pure folie !"
Le mari lui-même a dit :
"Fais-le pour nous, ma chérie,
Et fais-le pour lui aussi !
Quel enfer serait sa vie !..."
Elle a envie de hurler
Dans la lumière éblouie,
Paradis aseptisé
Du centre d'orthogénie …

Au fond d'elle s'est flétri
Son élan le plus limpide,
Elle est seule au bord du lit,
Comme assise au bord du vide …




Ecrit par Ombrefeuille
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