Le silence des cités



Cité des Ulis 30 mai 2002.
Il fait encore jour. Pas un passant. Les tours sont là, arrogantes. Autrefois les enfants
envahissaient les allées de leur cris. Certains dévalaient les rampes d’escaliers en roller, d
’autres tournaient inlassablement autour du même arbre. Autrefois les jeunes avaient l’
habitude de se retrouver devant les entrées d’immeuble, fumaient-ils ? Ecoutaient-ils de
la musique ? Peut-être se droguaient-ils. Autrefois il y avait toujours un rappeur qui
scandait le mal-être des cités. Autrefois même les dealers avaient droit de cité. Autrefois
une jolie petite fille aux cheveux crépus croyait en son destin, elle serait danseuse,
danseuse étoile à l’opéra. Elle danserait pour Habib. Habib gagnerait la coupe du monde
foot. Les français, les vrais, leur offriraient des fleurs. Le silence est pesant. Rien,
personne, un silence immobile, pas même un chat, pas même un chien, pas même une
voiture. Les fenêtres des immeubles sont éclairées. Le silence gronde. Que!
s’est-il donc passé ? Un tremblement de terre ? Tous les immeubles semblent intacts.
Quel sinistre danger plane sur cette cité ? Les voitures sont bien rangées, mieux rangées
que d’habitude, aucune n’encombre les pelouses ou les trottoirs. La population
aurait-elle fui à pied ? Mais pourquoi ? Et pour aller où ? Une épidémie a-t-elle décimé
tout le monde ? Peut-être une usine chimique a-t-elle explosée, mais aucune odeur
anormale ne flotte, non seul règne le silence sur cette cité. Les hommes ont-ils encore
joué avec leurs O.G.M., leurs clones et leurs avions décapiteurs de tours ? Le soleil
aujourd’hui a brillé normalement. Il s’est couché à l’heure prévue laissant place à ce
silence angoissant. Aucun papier ne traîne, une tempête les auraient-ils éparpillés loin,
très loin ? Tout semble propre, trop propre. Les immeubles scintillent d’une récente
blancheur. Tout semble calme, trop calme. C’est quoi ce bruit qui perturbe !
ce beau silence ?
Un coup de feu, un deuxième. Bientôt un grondement de voiture. Elle est bizarre cette
voiture, elle est blanche. Sans crissement de frein elle s’arrête. Deux hommes en sortent.
Ils sont revêtus d’une combinaison blanche. Un masque, blanc lui aussi, cache leur
visage. Ils ouvrent le coffre arrière de la voiture, en sortent un brancard blanc. Leurs pas
ne résonnent pas sur les dalles de la cité fantôme. Ils rejoignent un autre homme. Celui-ci
porte également une combinaison blanche. A ses pieds, un homme vêtu d’un jean et d’un
tee-shirt. Sur le tee-shirt une grande marque rouge. Sa main gauche retient une laisse. Au
bout de la laisse un chien, un petit chien sans race, le chien ne remue pas. Les hommes
blancs n’échangent aucun mot. Ils remplissent scrupuleusement quelques papiers,
ramassent l’homme en jean et son chien. Sans bruit ils rejoignent leur véhicule. La cité
garde son silence.
Un panneau sur une porte d’entrée rappelle
« Toute sortie dans les lieux publics, sauf autorisation spéciale, est strictement interdite de
20 heures à 6 heures. Tout contrevenant sera fusillé sans sommation. Le 5 mai 2002,
Jean-Marie le P’Haine, président de la république française »




Ecrit par Franny
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