La Dame de Shalott

Lèvres purpurines, de rousse chevelure
Ton bandeau, ta ceinture, ou ton collier sur l’eau
Pour t’embrasser ma rime invite Lancelot
Lady, blanche beauté, tu vas à l’aventure

Lancéolée chandelle en consumation frêle
La Lady s’élance où meurt la lande, au ruisseau
Seul à la proue fixé le crucifix, d’un saut
Mêle la mystique à ton amour qu’effraie le

Dieu Sauveur, rémission du péché qu’amoureuse
Tu pries dans l’espérance où jamais ne se lasse
L’humaine nature, et son histoire est, hélas !
Invivable éternelle instance bien trompeuse

Les nénuphars, les fleurs vont aux rives d’automne
Ce poème au tableau qui mêle savamment
Des vers jolis tombeaux des capricieux amants
Est délice d’une heure où l’indocile tonne

Le pasteur puritain, l’ennemi du peintre
Est un pâtre opérant dans les cœurs trop humains
Shalott n’existe pas, mais tentations, demain
Séparent les époux et libèrent leurs cintres

Belle Angleterre où joue Tennyson ses vers riches
Marâtre sévère pour tes ladies flambantes
Tu chatoies toutes mers et tes nefs sont probantes
De ta domination, mais les cœurs toujours trichent !

John William Waterhouse n’était pas symboliste
Mais puise à l’imago de la confrérie défunte
La candeur végétale et la splendeur des feintes
De couleurs corolles glissantes pour nos listes

Nos listes dévoyées par ces peintres de charme
Quand l’impressionnisme la vérité scandait
Et ouvrait aux fauves la cage aux teintes, dais
Sous lequel ajourer la vraie couleur des larmes

Plainte éprouvée par peine est fixée si rapide
Qu’un art immobilisé trompe un spectateur, un
Isolé dans l’asile où son moi clandestin
Se glisse, or la foule est du mouvement avide

D’où la mort d’Avalon, des fées et des forêts
Dont ne surnagerait que chanson de dandy*
Epelant une époque où trônait la Lady
Thatcher, non de Shalott, économiques rêts !

Les temps industriels ont effacé naguère
Pouvons-nous vivre en rêve un éternel hiver ?
Lady of Shalott qui voit trop d’amours divers
Dans tes miroirs, Facebook nous forme à la guerre !

Fini, fini ! Le pitre a son heure de gloire
Et peut conspuer tout qui n’est pas nullité
Le quart d’heure warholien a gagné, cécité
Tu es technologie, j’irai te fuir en Loire !

Loire où sont des châteaux beaux comme renaissance
Les escaliers sans fin des nobliaux qui soignent
Ce que Révolution leur ôta de sa poigne
Et rendent les touristes fiers des plaines de France

Lady, ne te noie pas, tu joues très bien ton rôle
Ce dépit d’image figée est épi sage
D’où moissons reviennent pour le poète, page
À la traîne de reine où, servir, l’honneur frôle

Lady, suis ce cours d’eau en jolie riveraine
Si ta peinture est morte en l’abstraction présente
L’amour n’est rien d’autre qu’il ne se représente
Tout art nous veut happés par folie souveraine !


*référence à la chanson "Avalon" de Roxy Music datée de 1982, époque où Margaret Thatcher était Première Ministre en Grande-Bretagne.

Ecrit par Jacou
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