Nurse hors du commun

Avec un collier de barbe toujours impeccablement taillé, le vieil homme chapeauté d’un panama et vêtu d’une chemise à fleurs aux couleurs du temps, avait eu une solide réputation de chaud lapin. Qu’importait à l’enfant que j’étais à l’époque. Quand il arrivait une pile de livres cachée dans un foulard de soie, cadeau du roi de Siam mentait-il - et je crois qu’il mentait beaucoup pour satisfaire mes délices de petite fille -, il s’asseyait entre l’âtre et la table de la salle à manger. Il ne négligeait jamais aucun détail, n’oubliait aucun rituel.
Pour effrayer Sir Simon, le fantôme de Canterville disait-il, il posait avant toute autre chose, son dentier sur la nappe. Comme Long John Silver avait perdu une jambe au combat, lui avait perdu toutes ses dents en rongeant ses entraves pendant que les cannibales préparaient leur banquet annuel…
Je salivais d’avance les longs passages qu’il me lirait jusqu’au soir, des morceaux choisis d’Hector Malot, Georges Sand ou Lewis Carroll, un patchwork de grands auteurs qui me fit plonger dans la marmite de la littérature comme Obélix dans la potion magique. Ce grand-père vivant d’expédiant comme nurse providentielle pour parents trop occupés à gagner des sous, me mena ainsi sur le riche chemin de l’imagination.




Ecrit par Ann
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