Le vieil homme et le rocher

Tout petit déjà il l’escaladait,
S’y écorchant vêtements et genoux
Tant de fois que bien peu lui importait :
Il y retournait joyeux malgré tout.

Plus tard il la contemplait dans l’azur,
Trônant ainsi qu’un grand sphinx incompris*
Au milieu de cet écrin vert et pur
Où il restait parfois jusqu’à la nuit.

Sur cette roche à l’énorme stature,
Comme frappée d’un éternel sommeil,
Il connaissait chacune des blessures
Qu’avaient sculpté les pluies et les soleils,

Chacune des anfractuosités
Où s’étaient tapies d’immenses fougères
Qui filtraient une lumière éthérée
Parmi la mousse et les lianes de lierre.

Devenu homme il acquit le domaine
Où sa belle assoupie l’enveloppait
De sa force sage si souveraine
Qu’il oublia une femme chercher.

A son flanc adossé ou face à elle
Dans le froid ou la chaleur qui frissonnent,
Sous les arbres balançant leurs ombrelles,
A part sa muse il ne voulait personne.

Le roc maniait une plume muette
Sur la page intime de ses pensées,
Un poème circulait dans sa tête
A chaque fois que son œil l’effleurait…

Quand pas à pas arriva la vieillesse
Et que le recueil toucha à sa fin,
Il s’y lisait l’amour et la tendresse
Peu communs, d’un rocher et d’un humain.

Le vieil homme choisit pour cimetière
Près du dôme que le soleil rougit,
Un carré vert, à l’ombre d’une pierre :
Celle qui fut sienne toute sa vie.


* Clin d’œil à Baudelaire




Ecrit par Fregat
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