Voyage sans retour

Au sommet du donjon d'un château en tourmente,
Sur la falaise noire où rampent les méduses,
J'entends vagir, chagrin, les sombres cornemuses,
Dans un brouillard poisseux, Wee Annie se lamente.

Mon âme est pétrifiée comme un menhir hargneux,
Mon corps est torturé par les Kelpies hagards,
De longs mugissements dans les lochs ténébreux
Effraient les fantômes des tombes de Greyfriard.

Oh, je voudrais marcher à l'ombre de tes pas,
Toi, mon soleil rêvé où se fondent les heures,
A l'aube miroitante où naissent les émois,
J'ai vu ton beau visage apaiser mes douleurs.

Nous irions visiter une île des Hébrides
Où brownies et bleaters viendraient s'agenouiller,
En te reconnaissant, toi, leur reine des fées,
Ils t'auraient composé ce cantique limpide :

"My love is like a red red rose
That's newly sprung in June:
My love is like the melodie
That's sweetly play'd in tune. »*

Près d'un âtre mourant où sanglotait la cendre
Que mortifiait sans fin le souffle de l'hiver,
C'est ton portrait béni que hier j'ai découvert
Dans un journal givré d'un froid à pierre fendre,

Toi, fille d'un Radja au pays du Levant !
Mon coeur a tressailli dans un écho puissant,
Me voilà équipé pour un lointain voyage
A travers l'océan au rythme des nuages.

J'ai visité Bombay et ses temples grandioses
Où des fakirs hautains envoutaient les cobras,
A Calcutta, Kali et ses métamorphoses
Enfiévra mes désirs avant le Nirvana.

A l'est des Saptura, dans la caverne bleue
Où soupiraient comblées des sculptures lascives,
Un grouillement strident de singes belliqueux
Ont accueilli moqueurs mes rêveries votives.

Dans le palais des vents, à Jaipur l'insolente
J'ai succombé, charmé par les devadasi,
Les éléphants sacrés de Pench m'ont étourdi,
Aux rives du Gange, j'ai trompé mon attente.

J'ai croisé ton regard dans un stupa doré,
Tu portais le sari sous l'ashoka vibrant,
Un foulard chamarré de volutes d'argent,
Dans un miroir de feu, ton rire étincelait.

Mais ce n'était pas toi, ces prodigieux mirages,
Je ne t'ai pas trouvée dans ces fragments d'images
Et je n'ai plus cessé depuis de te chercher
Partout où je voyais tes traces m’échapper.

" Rūaṃ acchīsu ṭhiaṃ, phariso aṃgesu, jaṃpiaṃ kaṇṇe
Hiaaṃ, hiae ṇihiaṃ
Vioiaṃ kiṃ tha devveṇa ?" **

"Sa beauté dans mes yeux, son contact sur mon corps,
Une parole à l’oreille
Son cœur posé en mon cœur.
Et le destin nous aurait séparés ?".


*Poème de Robert Burns
**Chanson populaire indienne




Ecrit par Banniange
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