Bibliopolis

Un livre peut s'ouvrir ainsi qu'une corolle
Aux lueurs d'un regard que le récit enrôle,
Tant d'arômes alors enivrent le lecteur,
Le transportent au loin vers d'étranges ailleurs,
Nautilus, agressé par la pieuvre géante,
S'enfonce dans l'abîme où le mène Nemo,
Sinbad le fier marin sur son frustre radeau
Combat un squelette sous la lune démente,
Près d'un pommier en or, Isolde et son Tristan
Fuyant le fin amor deviennent vrais amants,
Dans la crypte austère, les amants de Vérone
Enfin sont enlacés avant que le glas sonne.
Don Quichotte salue les saintes courtisanes
Puis s'en va provoquer ces moulins qui pavanent,
Les liaisons dangereuses scellent le destin
De ces deux cœurs épris prétendus libertins.

Un livre peut aussi s'ouvrir comme une plaie
Où viennent s'engouffrer de terribles pensées,
Ainsi ce sacrifié, innocent qu'on flagelle,
Achève le sermon de la bonne nouvelle,
Un arpenteur hagard se fond dans l'avalanche
Cherchant un vain château où seul l'ennui s'épanche,
Dans un camps de la mort, un transalpin chimiste
Découvre avec douleur en quoi l'homme consiste,
A Dublin, Monsieur Bloom tel un nouvel Ulysse
Affronte les bouchers, mâchonnant du réglisse,
Parodie des héros devenus insipides,
Reluquant la catin aux fesses négroïdes,
Au fond de l'impasse de la Vieille Lanterne
Est suspendu un corps que remue la galerne,
Et le dernier Nabab, cette ombre de Gatsby,
Erre dans les couloirs d'un Hollywood vieilli.

Voici donc la magie, soit rêve soit cauchemar
Qui nous offre un soleil ou un affreux brouillard,
Dans le berceau du temps, nous visitons des siècles,
Foulant le sable aride où règne Adramelech,
Nous parcourons l'espace, enfer ou paradis,
Sur ces beaux nuages qui ornent notre lit
Nous fuirons le réel, avides d'irréel,
Abandonnant la terre à nos démons cruels,
Cet univers est-il dans nos infirmes quêtes
Un piètre substitut, une bibliothèque ?




Ecrit par Banniange
Tous droits réservés ©
Lespoetes.net