La voix derrière l'épaule


Je viens de reposer un recueil de poèmes
d'un poète que j'aime et dont je tais le nom
j'ai lu à haute voix et j'ai chanté ses strophes,
cherchant à naviguer dans le courant puissant
qui passait au travers de mes doigts, de mes paumes
comme la sève monte aux herbes lentement
et j'ai fermé le livre sans marquer la page
et je suis retourné à mon bureau pensif.

Et voilà que soudain, un étrange vertige
saisit mon esprit lourd et voilà que ma main
frappe le clavier sourd et que se cristallisent
des mots lourds et charnus que je ne connais pas
et je sens des tréfonds remonter des réponses
et aussi les questions de poètes anciens
partis pour un immense et périlleux voyage
aux landes de la mort, aux bornes du destin.

Ils sont partis très loin et ils ne savent pas
si les vers qu'autrefois orphelins ils laissèrent
trouveront de nos jours une oreille à leur chant
ou s'ils demeureront enfouis sans lumière
sous les herbes du sol qui les a vu mourir
ces poètes perdus sans voix et sans paupières
et dont le souvenir tremble aux bords de l'oubli.

Et si je sais bien mal écouter leurs poèmes
si je ne peux hélas chanter avec leur voix
je peux chanter tout simplement avec la mienne
une chanson très douce et très pauvre à la fois
un chant de vent et de soleil, et qui m'emmène
à travers les forêts les landes et les bois
les plages de la mer et les troupeaux des vagues
qui viennent de si loin qu'on ne peut que rêver
de rivages lointains ou de banquises blanches
où quelques albatros rayent un ciel givré.

Et je peux croire alors qu'une voix inconnue
parle tout près de moi, derrière mon épaule
mais sans savoir quel est son cri quelle est sa langue
s'il elle vient du fond des temps ou de tout près
d'un coeur encore vif germant sous l'herbe drue
ou poussière envolée aux siècles disparus
et qui a maintes fois parcouru d'autres vies
mais je sens qu'elle est là cherchant à me parler
me dire doucement d'une voix de silence
ce qu'à mon tour tout simplement je dois chanter.

Et sans savoir comment et sans savoir pourquoi
je la laisse parler, j'écris sous sa dictée
et je sens qu'elle est là et je lui dis merci
de la douceur de mer et de ciel qu'elle apporte
et de ce feu de joie et de bonheur léger
qu'elle allume en mon coeur et qui monte à la tête
et je ne sais plus rien, et je me perds au chant
qui serpente en sourdine aux graviers des fontaines
et vole avec l'oiseau et le pollen des pins
et puis elle s'en va
et je n'entends plus rien .




Ecrit par Dago
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