Sirène ironique

Qu'il était blanc l'Azur imperturbable ;
Quel froid tombeau qui tout ombrait
Supposait alors l’innommable ?
Que déjà grand, le gouffre où l'on sombrait...

L'espace étroit laissé franc par le songe,
Cette moire orde des étangs
Léthéens dont le miroir ronge,
Ce vieux sépulcre où stagne un peu de temps,

Quelque portion de lumière, incongrue,
L'entre-aperçu précipité
De la réalité ventrue
Nous est échue, au lieu d'éternité !

Tant d'eau coulait sous les jeunes étraves ;
Espar d’espoir, dans le dur air,
Le mat dressait ses voiles graves ;
L'ample Océan devait toujours durer.

Or l'horizon si proche, abrupt, avale,
Du bref présent, tout l'âpre espoir,
Malgré la toile qu'on affale
Devant l'envers, qu'on devine si noir.

Et tiraillé par l'atroce dérive
- Aujourd'hui gâché par demain,
Force exemples qu'on la décrive,
Tout glisse ! et l'art est une arme de nain !

Quand le hasard, seul des dieux auquel boire,
Ferait sortir le sens du ciel
Ou la vérité de l'Histoire,
Y croirait-on ? - L'or semble artificiel !

Sagesse fausse ! et coupable chimère,
Astrolabes, sextants abscons,
Prismes, pièges de la lumière,
Incapables outils, toujours seconds,

Pour deviner l'Azur imperturbable !



Sur l'original, "étangs léthéens" que l'on doit à Mallarmé, est en italiques.

Ecrit par Salus
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