Le dit du vent

Au jardin des allongés, un soir
Où la bise jouait avec les fantômes
Cachés au sommet des ifs tourmentés,
Un souffle glacial
Qui balayait la plaine blanchie
D'un reflet lunaire
Me confia cette histoire :

« Au travers des brumes fatales,
Dans une nuit de cristal,
Balançant tel un éléphant
Cheminant vers son enterrement,
S'avançait fière,
La nef prisonnière
Des flots ombrageux,
Croulants, vertigineux ».

« Nous irons conquérir les mers,
Nous franchirons les portes de l'enfer
Et l'arche incandescent de l'univers,
Malgré l'appel des sirènes,
Malgré les crocs des murènes ».

« Vains matelots,
Que reste-t-il de vos échos ? »

« Sur le pont empli de tumulte,
Des cris voraces retentissaient,
Des rêves de conquête se bousculaient
Dans un tourbillon de lames.
Mais le sable inexorablement coulait
Savourant sa certaine victoire
Et les flots déchaînés orchestraient
L'inévitable désastre annoncé ».

«Nous irons, impavides, explorer
Les cratères sans fond de Neptune,
Nous irons, avides, rouler
Dans les anneaux enlacés de Saturne,
L'univers à jamais
Se prosternera à nos pieds ».

« Vains matelots,
Que reste-t-il de votre ego ? ».

« Les mânes inquiètes de l'équipage
Errent en suaire
Sur le pont désolé,
Couverte d'écume,
L'amirauté en démence
Se morfond dans son impuissance,
La mort et la folie,
Ces redoutables harpies,
Ont joué aux dés:
Le sort en est jeté. »

« Nous n'irons plus jamais
Embrasser l'humble rosée,
Nous ne goûterons plus jamais
Aux fruits limpides des vergers,
Prisonniers des sirènes
Et des crocs des murènes ».

« Dans leurs yeux fiévreux
Filaient les vents glorieux
Des désirs et des empires
Morts de leurs délires.
Car on ne revient jamais
De l'odyssée des vanités.
A force de courir l'enfer
Les marins oublièrent
Qu'il logeait dans le filet
De leur âme damnée ».

Et la voix se tut emportée
Par le silence des poussières
Qui volaient dans les airs
Comme les dépouilles tournoyantes
Des fascinantes chimères.


A Coleridge et son incomparable "The rime of the ancient mariner"<br />
et un clin d'oeil à Claudel pour son superbement tragique "L'infâme vaisseau".


Ecrit par Banniange
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