Les enfants de Vulcain

Pour eux, chaque jour commençait leur nuit
Dans le ventre noir de leur mère antique,
Ils perçaient ses flancs désormais étiques,
Fouillaient ses viscères avec furie,
Grognant et suant, pressaient ses mamelles
D’où suintaient, épais, des jus de ténèbres,
Certains, accroupis crachant des gravelles,
La chair lézardée comme un pauvre zèbre,
Abattaient, rageurs, des pérats monstrueux
Qui faisaient trembler le sol cloaqueux,
Ils hurlaient tel un cerbère rossé
Dont l’écho profond au loin s’écroulait.
Un cortège de bossus grimaçants
Titubait sur des rails enchevêtrés,
Ecrasé par un fardeau tout gluant.
D’autres, vrais cyclopes hallucinés,
De leur œil jaune cherchaient les fossiles
De ces mollusques mêlés à l’argile,
Parfois, ils trouvaient un elfe apeuré,
Un enfant horriblement sacrifié.
Ils voulaient vite le réconforter
Avec ces mots doux qui, hier, le bordaient
Mais leurs lèvres terreuses trop collées
Se plissaient de douleur et se taisaient.

Ils venaient tous d’un autre enfer,
D’une prison à ciel ouvert,
D’un abominable désert
Où des scorpions le ventre à l’air
Brûlaient en crissant de colère
Et des nuits froides de l’hiver
Dans des villages de misère
Où les nouveaux-nés qu’on enterre
Ont gardé leur beauté stellaire.
Italiens, Roumains ou Berbères
Chantaient une langue solaire
Aux mille parfums éphémères
Que leur avait soufflés leur mère
Quand ils suçaient leurs seins amers.

On entendait des craquements sinistres
Qui parcouraient, vibrants, ce ciel de bistre
Comme si un immense vaisseau de terre
Voulait se soulever du fond des mers,
Des chevaux aux regards fous se cabraient,
Cherchaient à piétiner quelques fantômes,
Puis, dans le labyrinthe, s’égaraient
Espérant retrouver leur beau royaume.
Et tous ces ilotes de l’anthracite,
Beuglant, braillant, injuriant leur destin,
Maudissaient en chœur le cruel Vulcain,
Serraient entre leurs mains quelques pépites,
Piochaient, martelaient et foraient des heures
Dans ce gouffre sombre où rampait leur cœur,
Anxieux, ils se retournaient vers la cage
Où des canaris* sifflaient tristement
Des refrains funèbres et obsédants,
Guettant ce silence de sarcophage
Que la mort, dans un vacarme puissant,
S’en viendrait fracasser en mille pleurs
Puis avalerait les corps purulents
Désormais inaptes pour ce labeur…

Là-haut, dans leur belle demeure,
Les barons du charbon en liesse
Remerciaient Dieu avec ferveur
De leur offrir tant de richesses,
Ils feraient de belles aumônes
En baisant les pieds d’une icône
De ce petit Juif mis en croix
Que le grisou n’épargna pas
Car ce mineur de l’âme humaine
Oublia, la dernière semaine,
L'oiseau qui devait l'avertir
Que, bientôt, il allait périr.


*Très sensible aux émanations de gaz toxiques, impossibles à détecter pour les hommes ne bénéficiant pas des équipements modernes, le petit oiseau jaune servait d’outil de référence.
Ainsi, lorsqu’il mourait ou s’évanouissait, les mineurs se dépêchaient de sortir de la mine afin d’éviter l'explosion du grisou.


Ecrit par Banniange
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