Mémé 2

Mémé avait encore la vue perçante des aigles, l’ouïe des chats sauvages et la dent dure des gens qui ont le sens des affaires. C’était un dragon s’enflammant pour un rien, une langue de vipère jetant son venin sur les voisins. Elle lançait par fagots, des volées de bois vert aux badauds quémandant un verre d’eau ou simplement leur chemin. Ses mains de bûcheron distribuaient plus facilement des beignes que des beignets. Ses bises sentaient le vent mauvais et le poil dur des fox-terriers.
Mais elle savait mieux que quiconque tricoter les mitaines, cuire les confitures et les sucres d’orge étrangement semblables aux cannes rangées en bouquet dans le porte-parapluie qui ne porta jamais de parapluies car Mémé ne craignait ni la pluie, ni personne.
Sa voix de stentor hérissait les cheveux mais le bâton de Mémé n’effleura jamais leur échine. Mémé feignait de les rater. Les enfants jouaient à la craindre. Elle était l’autorité et la pire des punitions fut qu’elle les envoya au lit sans souper. Ils se moquaient bien de la soupe mais Mémé était une conteuse qui partageait si bien ses histoires qu’elles étaient plus vraies que vraies.

— Le soleil et les guêpes ne sont pas couchés que vous voilà de retour ! fit Mémé barrant le passage : « Personne ne passe ! Les bestioles font tourner le lait et les morveux me font tourner en bourrique ! », continua-t-elle en faisant claquer dans l’air étouffant de l’été, une tapette à mouches.
— Y’avait un ogre dans le mûrier, il voulait nous tuer et nous plonger dans son saloir ! expliqua Luis
— Dans la maie avec les croûtes de pain ! rectifia Paul
— Non, il voulait nous faire mariner comme du gibier avec du thym et des bolets !
— Il n’y a pas d’ogre dans les bois de Margot ! coupa Mémé : « Vous me racontez des fariboles. Il n’y a que des trolls mais ils sont allergiques aux mûres et les gnomes ne savent pas les secrets de la bonne cuisine. Mais aussi peut-être, il y aurait depuis quelques temps… Et votre récolte ? »
— C’est qu’on a tellement eu peur qu’on a perdu nos paniers dans les broussailles ! fit Juliette, la plus jeune.
— Parle pour toi. Nous, on n’a même pas eu peur ! fit Luis bombant le torse.
— Il n’est pas question de laisser ces paniers toute une nuit dans les bois. Allez les chercher, remplissez-les et jusqu'au bord ! fit Mémé dont les lunettes glissèrent sur le bout de son nez. Mettant un œuf dans la main de Paul, elle ajouta : « Il est pondu de ce matin, donne-le au liéchi ! Le liéchi adore les œufs, il renoncera à… » conclut Mémé regagnant la fraicheur de sa cuisine.

— C’est qui le liéchi ? fit curieuse, la petite Juliette
— Il renoncera à quoi ? demanda le frère cadet.
— Je devrai vraiment lui donner en main propre ? s’inquiéta Paul l’ainé dont l’ardeur avait baissé d’un cran à l’idée de se laver.
— Ultra propres ! cria Mémé qui continua pour elle-même : « Braves petits gorets ! »


Suite de BUISSON ARDENT 1<br />
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Ecrit par Ann
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