Les hardiesses de maître Kostia. 10

— Quarante-cinq ans que j’attends ce moment ! A genoux, je baise ta main ! Accorde-la-moi ! implora Kostia adoptant la grandiloquence de ses ancêtres slaves.
— Je la donne volontiers… que tu puisses te relever ! rit Mémé à la demande de Kostia. « Un tour de rein est si vite arrivé ! »
— Tu te moques ! Tu n’as donc aucune pitié pour ton vieil amant ? reprit Kostia. Je m’étais forgé tant d’espoirs, tant de doux rêves. Ne sois pas cruelle ! Aime-moi … un peu. Je me ferai tout petit au pied de ton lit.
— Quel nuit de noces me promets-tu là ! J’en salive. Tu devras te contenter de mon oreiller. Au pied, c’est la place de Gustav.
— Qui est cet insolent qui me dispute la place ? fit Kostia
— Mon chat ! Il y a déjà longtemps qu’il ne chasse plus les souris ! fit Mémé que la situation amusait follement. Elle reprit : « D’ailleurs en parlant de souris, vieux rat d’égout ! Tu ne les cours plus ? »
— Ce ne sont que de vilains ragots. J’ai bien eu des aventures mais rien de bien sérieux ! se défendit Kostia la main sur le cœur.
— Ne va donc pas me faire un infarctus. Gros comme tu es, je serai obligée de te laisser sur le carreau de ma cuisine. Combien de jours as-tu tenu en compagnie d’une femme ? demanda Mémé qui suivait son idée pour taquiner son ami de longue date.
— Des nuits, je n’ai pas fait les comptes car sans mentir, j’avais mon succès.
— — Juste pour entretenir la forme et parfaire tes connaissances, reprit Mémé. « Tant mieux, tant mieux ! J’aime les intellectuels sportifs. »
— … Mais de jours ! Aucun ! Tel que tu me vois, je suis un vrai célibataire des cavernes, continua Kostia. « Alors, tu acceptes ? », ajouta-t-il empressé, maladroit et inquiet de la réponse de Mémé.
— Gros ballot ! Je me demandais si un jour, tu finirais par te jeter à l’eau ! souria Mémé.
— A tes pieds pourrait suffire. Moi, l’eau… Je suis un peu comme Paul, ton petit-fils, fit Kostia entreprenant les larges hanches de Mémé pour atteindre les lèvres de son aimée qui ne défendit pas beaucoup sa vertu.
L’après-midi était largement entamé, les enfants surpris de voir la porte de la cuisine repoussée avaient collé leur nez contre la vitre. Les petits curieux n’en croyaient pas leurs yeux. L’ogre se penchait sur leur grand-mère comme pour la dévorer.
— Nous devons sauver Mémé des griffes de ce monstre ! fit Juliette qui se mordait les mains de terreur.
— Vous croyez qu’il veut faire du mal à Mémé ? L’autre jour, il m’a fait sauter sur ses genoux… fit Luis
— Tu es trop petit pour comprendre les manigances des géants. Ils font les gentils, te donnent des bonbons, des caresses et puis tu finis embroché dans ton jus. Entrons et assommons-le, invectiva Paul poussant un cri de guerre : « Aux armes ! »
L’union de ces vieux fiancés fut bénie de la lourde louche à confiture, du pot de chambre émaillé avec son couvercle et d’un arrosoir en fer blanc… Un charivari qui solda par le partage d’une brioche presqu’aussi lumineuse que les joues enflammées de Mémé qui tentait pourtant de cacher les hardiesses de ce coquin Maitre Kostia qui tira un écrin de sa salopette gris cendre. C’était son devoir d’attiser la curiosité de ses tout nouveaux futurs petits-enfants.


Suite de <br />
<br />
BUISSON ARDENT 1<br />
MEME 2<br />
LA TOILETTE DES CHATS SAUVAGES 3<br />
LES PANIERS DU MARAIS 4<br />
MENTHE OU ROSE 5<br />
L’ŒUF BRISE 6<br />
LA SOUPE AU LAIT 7<br />
OU L’ON FAIT CONNAISSANCE AVEC MAITRE KOSTIA 8<br />
LE FORGERON 9


Ecrit par Ann
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