Le tablier taché


Un matin, encore en silence dans la maison endormie
Je m'asseyais au bord de la table en chêne vieilli
Où s'etalaient confiture et marmelade.
Je tartinais délicatement la brioche, telle l'accolade
Toute respectueuse, de framboises écrasées rouges vifs.
D'une main légère, sans coups de canifs;
Face â moi, â l'angle de la table usée
Et, bloquant le passage, un porte-manteau délabré.
Le silence s'infiltrait, en laissant un filin de lumière ,
Et les ombres, avec leurs délicatesses, juste fières,
Sans cesse l'habillaient de jolis halos colorés.

Le chat et le canari à plumes irisees
S'emoustillaient entre le tic-tac de la comtoise;
Et leurs jeux en ces ombres chinoises
Invitaient ma délicieuse et savoureuse tartine abasourdie.

A cet instant, sur la table de la cuisine en lambris,
Parmi les pots de lait qui accablaient la nappe,
Je distinguais au loin, perdu, roulé en grappe
Sous le couteau et se mêlait au décor assombri,
Un tablier taché, jeté là, en ces heures d'insomnie.

C'était un tablier taché , de sang, déchiré,menaçant,
Plié en deux, imprégné d'histoire,
Affreux...comme le passé et les années noires.







Ecrit par Colline
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