Dîner en ville

On nous accueillit comme rois
Et reines de contrées lointaines
Les serviteurs se tenaient droit
À faire naître de la peine
Nous comprîmes que cet endroit
Ne tolérait calembredaines
On y festoie comme on guerroie
À coup d'aumônières bien pleines

Un simple coup d’œil à la carte
Nous informa que nous nourrir
En ces lieux d'une part de tarte
Nécessitait un mois, ou pire
De salaire. "Il faut que l'on parte
Chuchotai-je dans un soupir
- Le prix n'était sur la pancarte
Nous n'aurions jamais dû venir"

Trois gens au moins du personnel
Vinrent s'enquérir de nos aises
Nous ne revîmes pas le bel
Enfant ayant tiré nos chaises
"Avez-vous fait, ma demoiselle
Et vous monsieur un choix qui plaise?"
Impossible qu'il soit mortel
Il eut pu être fait de glaise

Plus tard il apporta des mets
Une main toujours dans son dos
Si bien que je me demandai
S'il n'y cachait pas un couteau
Non loin de nous deux vieux mangeaient
Ils parlaient fort et étaient gros
Tout rouges comme deux gorets
Et ça suintait sous les jabots

L'un d'eux se mit à se répandre
En grivoiseries et potins
(Je manquai de très peu de rendre
Une bière et les gressins)
Répétant à qui veut l'entendre
Que l'on peut avoir très grand faim
La peau du ventre dure à tendre
Pourvu que l'on ait les moyens

Nous l'entendîmes longuement
Tailler de chics et beaux costards
Aux patates en robe des champs
Postillonnant tout son homard
Puis l'autre éructa, s'offusquant
Les bras levés, qu'un pain bâtard
Puisse être l'accompagnement
De ses trois cuisses de canard

Son forfait enfin accomplit
Il sollicita l'addition
Rappelant qu'elle avait pour lui
De douloureuse que le nom
Le patron en personne fit
À ma surprise apparition
D'un air affable il leur sourit :
"Celle-ci est pour la maison"

Nous ne prîmes pas de dessert
Ni de vin durant le repas
Aussi, vomir sur les parterres
Ne fit partie des aléas
Mais diable nous payâmes cher
Pour de maigres et mornes plats
Deux impécunieux mis aux fers
Et le vide dans l'estomac




Ecrit par Nostahrj
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