Sous un portrait de l'auteur

Jeune philosophe en dérive
Revenu sans avoir été,
Coeur de poète mal planté :
Pourquoi voulez-vous que je vive ?

L'amour ! je l'ai rêvé, mon coeur au grand ouvert
Bat comme un volet en pantenne
Habité par la froide haleine
Des plus bizarres courants d'air ;
Qui voudrait s'y jeter ? pas moi si j'étais ELLE !
Va te coucher, mon coeur, et ne bats plus de l'aile.

J'aurais voulu souffrir et mourir d'une femme,
M'ouvrir du haut en bas et lui donner en flamme,
Comme un punch, ce coeur-là, chaud sous le chaud soleil
Alors je chanterais (faux comme de coutume)
Et j'irais me coucher seul dans la trouble brume
Eternité, néant, mort, sommeil, ou réveil.

Ah si j'étais un peu compris ! Si par pitié
Une femme pouvait me sourire à moitié,
Je lui dirais : oh viens, ange qui me consoles !...
... Et je la conduirais à l'hospice des folles.

On m'a manqué ma vie !... une vie à peu près ;
Savez-vous ce que c'est : regardez cette tête.
Dépareillé partout, très bon plus mauvais, très
Fou, ne me souffrant... Encor si j'étais bête !

La mort... ah oui, je sais: cette femme est bien froide,
Coquette dans la vie; après, sans passion.
Pour coucher avec elle il faut être trop roide...
Et puis, la mort n'est pas, c'est la négation.

Je voudrais être un point épousseté des masses,
Un point mort balayé dans la nuit des espaces ;
...Et je ne le suis point !

Je voudrais être alors chien de fille publique
Lécher un peu d'amour qui ne soit pas payé ;
Ou déesse à tous crins sur la côte d'Afrique,
Ou fou, mais réussi ; fou, mais pas à moitié.<br>


Les amours jaunes

Ecrit par Tristan CORBIERE
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