Le pèlerin

Lavé de frais à la fontaine
Confessé du matin :
Cela prit un bon brin de temps.
Le bonhomme, la conscience sereine
Prit la route, le bâton à la main
Sur les cinq heures sonnant,

De Montmirail en Champagne
Jusqu’au pied des Pyrénées. A l’époque
Ce n’était point une mince entreprise
Que d’aller de villes en campagnes.
Mais pour l’heure le cheminot s’en moque !
Il est temps que je vous dise :

Sa réputation de braconnier
Dépassait largement les limites du canton.
Et pour sauver l’âme de son ouaille,
Le curé du lieu lui commandait quelque gibier
En justes actes de contrition.
Le pèlerin était une fine canaille.

Le saint homme un fin gourmet :
Il s’accommodait d’un lièvre
Ou bien d’un faisan farci
Et pour les jours maigres d’un brochet
Béni du bout des lèvres
Et toujours arrosé du meilleur vin de pays.

Le gaillard dans la pleine force de l’âge
Daignait bien les faveurs
D’un certain gibier en dentelles.
Le représentant des Saintes Ecritures sans ambages,
Car les maris le voulaient chasser de leur demeure,
Proposa au banni un marché plus doux qu’une volée de gros sel.
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Arrivé à destination le pèlerin avise
L’épicerie tabac souvenirs
Une baraque de cailloux et de sainteté
Accrochée à la vieille église.
Avant que Marie, mère du petit Jésus ne vint s’y établir,
Il y avait de cela une cinquantaine d’années,

Lourdes n’était pas même un hameau.
L’étranger ne lésine pas sur son choix
Sa mission est d’importance :
Déposant au creux de sa main l’écot
Béni par un large signe de croix
Le curé avait prêché avec insistance.

Il paye donc un gros pain de sucre
Qu’il glisse sous son bliaud.
« Mon client est un original facétieux »
Se dit le vendeur. Mais satisfait d’un si bon lucre
Il se fend de son salut le plus beau ;
Le produit est rare et bien onéreux.

Avec sa vilaine grosseur sur le dos,
Dans les eaux de la grotte consacrée,
Le pèlerin entre religieusement.
Et le bossu s’épuise en prières et son fardeau
Pleure des larmes de sucre et disparaît.
Quelques bonnes femmes pieusement

S’agenouillent crédules au pied du miraculé.
« C’est un prodige, Marie a entendu ta supplique. »
Qu’elles scandent en égrenant leur chapelet.
Notre missionnaire sourit béatement. L’épicier
Aux cris des dévotes accoure du fond de sa boutique :
Le mercantile secret sera bien gardé

L’envoyé du curé s’en retourne en son pays
La sainte besogne accomplie,
Droit comme un I.
Et l’habile commerçant s’enrichit
De pacotilles bénies.
Nous te remercions Tous, Marie


Cette anecdote je la tiens d’un cousin qui la tient lui-même de son grand-père, le frère de mon arrière grand-père, vous me suivez…. Ce grand-père avait un ami, le héros de cette très véridique aventure.

Ecrit par Ann
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