Les larmes de Faust

Il regardait tous ses bouquins, certains rangés
Dans sa bibliothèque et tant d'autres en vrac,
Dispersés ça et là ; vois ci de quoi manger
Pour son esprit paumé dans ce grand cul-de-sac.

Et sur son établi, il voyait les outils,
Depuis le plus simple au plus sophistiqué,
Le marteau, le rabot, le clou et les coutils,
Et cette gomme là, qu'il avait mastiqué !

Il avait inventé, lunette et microscope,
Afin de faire sien l'univers minuscule ;
Il voulait que du ciel son labo soit l'échoppe
Et boire lait précieux de chaque molécule.

Dans sa fureur exploratoire, il dessinait
Tant l'aile de l'oiseau que l'accélérateur,
Par lequel surgissaient, ainsi que devinés,
La pulsation du vide et l'éclat de son cœur.

Il avait dessiné l'intouchable boudin
En le centre duquel Soleil aurait fondu ;
Aucun Malin ne menaçait de son gourdin
Ce moine que frayeur avait la chair tondu.

Sa puissance plus grande, à celle d'Appolon
Et de Zeus confondus, ne lui donnait réponse
Pour en laisse tenir ce temps, plus lourd que plomb ;
Pourtant, jusqu'aujourd'hui, il ne plie ni renonce.

Il avait surmonté tous les plus fiers sommets ;
Du haut de son Himalaya, il contemplait
Tous les pics, tous les vaulx, aucuns n'étaient gommés,
Et il voyait aussi les pays surpeuplés.

Il leur avait donné tous les contre-poisons
Afin que les armées invisibles reculent ;
Quelle victoire dure, à vaincre sans raison ?
Les princes apeurés sur l'angoisse spéculent.

Il voyait tout cela, qu'il n'avait pas voulu,
Et les armes données à tous ces mini chefs,
Dont l'esprit en école avait été moulu ;
De la finale erreur, ils détenaient les clefs.

Il avait résolu, depuis quelques années,
De ne plus leur fournir la plus petite idée,
Et surtout pas les solutions ! Car dominé,
Plus par la ruse que raison, l'être borné

Aggrave insouciant cela même qu'il craint.
La seule différence entre homme de pouvoir,
- Hystérique effrayé -, et un simple homme sain,
C'est le scrupule qui retient l'un de déchoir,

Quand l'autre dans son gouffre entraîne tout le monde.
Non, plus jamais ! il n'offrirait de son esprit
Ces joyaux qu'il souhaitait pour que danse la ronde !
Il s'était tant, sur ses semblables, tant mépris !

Aujourd'hui, il détruit par le feu purifiant
Tout ce qu'il a trouvé, que tant cherchent encor.
Il sait comment tenir la bride à tous les champs,
Mais préfère partir sans toucher au décor.


à Alexandre Grothendieck (il y a ceux qui sont de leur temps, et ceux qui le traversent)

©Persona


Ecrit par Jim
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