Je suis l'aire sonore

Je suis l'aire sonore aux rythmes des fléaux,
Quand les récoltes en hiver sont engrangées
Et que le grain luisant s'entasse par monceaux
A l'entour des hautes gerbes érigées.

Je suis ces mots très beaux et que l'on chante aux bœufs
Alors que la tiédeur du printemps apparue,
On s'en va retourner le chaume encor fumeux,
Les deux poings appuyés aux mains de la charrue.

Et je suis à travers le gazon rajeuni
Les bonds du poulain vif et que l'on désentrave.
Des brebis nous suivant quand on leur dit: « Véni »,
Et le heurt des sabots de la chèvre au flanc cave.

Je suis en juin, le fredon sur les mélilots
De l'abeille enivrée, en la saison charmante
Des cerises, je suis le fifre des loriots ;
Le crisselis des foins que la brise tourmente.

Je suis cet hymne d'or des blés tout crépitants,
Le cri doux des bleuets en foule,
Et ce soupir profond, cet appel haletant
Qui monte de la glèbe où le soleil s'écroule.

Je suis la vigne avec ses résonnants coteaux
Et ses roux néfliers où s'abattent les grives ;
Le chœur des vendangeurs près des rouges cuveaux
Et leur rire que l'air bleu du soir enjolive.

Je suis, dans le jour gris qui mouille les troupeaux,
Le rythme délassant des cloches à la tierce,
Et, se mêlant au vent, dont tremblent les pipeaux,
Par les pâquis, les clapotis lents de l'averse.

Quand les celliers sont pleins de choux et de navets.
Je suis le clanchement de l'huis que l'on referme;
Je suis les longs récits, les bourdonnants rouets
Dans la cuisine heureuse et calme de la ferme.

Triomphants, familiers, sublimes, tous les sons
Que rend l'âme vibrante et forte de la terre.
Résonnant dans mon âme au même diapason :
Je suis l'âme vibrante et forte de la terre.


   Les Pastorales.


Ecrit par Marie DAUGUET
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