Devant mon berceau


En la grand'chambre ancienne aux rideaux de guipure
Où la moire est flétrie et le brocart fané,
Parmi le mobilier de deuil où je suis né
Et dont se scelle en moi l'ombre nacrée et pure;

Avec l'obsession d'un sanglot étouffant,
Combien ma souvenance eut d'amertume en elle,
Lorsque, remémorant la douceur maternelle,
Hier, j'étais penché sur ma couche d'enfant.

Quand je n'étais qu'au seuil de ce monde mauvais,
Berceau, que n'as-tu fait pour moi tes draps funèbres?
Ma vie est un blason sur des murs de ténèbres,
Et mes pas sont fautifs où maintenant je vais.

Ah! que n'a-t-on tiré mon linceul de tes langes,
Et mon petit cercueil de ton bois frêle et blanc,
Alors que se penchait sur ma vie en tremblant,
Ma mère souriante avec l'essaim des anges!


Nelligan, Émile, 1879-1941
Poésies complètes
Dépôt légal : © 2002 Éditions TYPO
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
ISBN 2-89295-149-6


Ecrit par Emile NELLIGAN
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