La passante


Hier, j’ai vu passer, comme une ombre qu’on plaint,
En un grand parc obscur, une femme voilée:
Funèbre et singulière, elle s’en est allée,
Recélant sa fierté sous son masque opalin.

Et rien que d’un regard, par ce soir cristallin,
J’eus deviné bientôt sa douleur refoulée;
Puis elle disparut en quelque noire allée
Propice au deuil profond dont son cœur était plein.

Ma jeunesse est pareille à la pauvre passante:
Beaucoup la croiseront ici-bas dans la sente
Où la vie à la tombe âprement nous conduit;

Tous la verront passer, feuille sèche à la brise
Qui tourbillonne, tombe et se fane en la nuit;
Mais nul ne l’aimera, nul ne l’aura comprise.


Nelligan, Émile, 1879-1941
Poésies complètes
Dépôt légal : © 2002 Éditions TYPO
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
ISBN 2-89295-149-6


Ecrit par Emile NELLIGAN
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