Fleurs de boisson

Ouf ! J’ai soif comme si je mâchais de la laine…
Allons ! Donne l’avoine à mon gosier fourbu.
Du vin ! Nous faut du vin ! Je veux que mon haleine
Suffise pour soûler ceux qui n’auront pas bu.

Je veux qu’en me voyant le Panthéon recule,
Craignant d’être écrasé par mon choc, et je veux
Faire ce soir le jour après le crépuscule,
Grâce au soleil dont les rayons sont mes cheveux.

Tiens ! Prenons l’omnibus, tout couvert de gens ternes
Qui par mon flamboiement vont être illuminés.
Le vieux cocher, prenant mes yeux pour ses lanternes,
Allumera sa pipe aux braises de mon nez.

De l’Odéon pensif aux tristes Batignolles
Nous irons. Telle va la comète qui luit !
Chez le mastroquet gras qui vend des attignoles
Nous boirons du vin doux qui fait pisser la nuit.

Nous pisserons, très beaux, très heureux et très dignes,
Nous appuyant du front au mur éclaboussé,
Et les Batignollais verront un jour des vignes
Fleurir le long du mur où nous aurons pissé.


Poème dédié à son copain de bohème Raoul PONCHON

Recueil : La chanson des gueux (1881) – troisième partie « nos gaietés »


Ecrit par Jean RICHEPIN
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