Poème de Rabindranath Tagore

37.
« Upagupta, le disciple de Bouddha, dormait dans la poussière, étendu contre le mur de la cité de Mathura.
Toutes les lampes étaient éteintes, les portes fermées ; toutes les étoiles, cachées dans le ciel nébuleux d'août.
A qui appartenaient-ils, ces pieds dont les bracelets tintaient et qui, soudain, effleurèrent son sein ?
Il s'éveilla, tressaillant, et la lumière d'une lampe de femme frappa ses yeux qui déjà pardonnaient.
C'était une danseuse, constellée de bijoux, enroulée dans un manteau bleu pâle, ivre du vin de sa jeunesse.
Elle abaissa sa lampe et aperçut le jeune visage, d'une austère beauté.
« Pardonne, ô jeune ascète, dit la femme, et condescends à venir dans ma maison, car la terre poussiéreuse n'est point un lit convenable pour toi. »
« Femme, répondit l'ascète, va ton chemin ; quand les temps seront mûrs, je viendrai à toi. »
Soudain, la nuit noire fut déchirée par l'éclair de la tempête.
Du bout de l'horizon elle accourait en grondant, et la femme en tremblait de peur.
Les branches des arbres, sur les côtés de la route, pliaient sous les fleurs en boutons.
Les notes joyeuses de la flûte flottaient au loin avec les chaudes brises du printemps.
Les citadins fêtaient les fleurs de la forêt.
Et du haut du ciel, la lune ronde contemplait les ombres de la ville silencieuse.
Le jeune ascète marchait dans la rue déserte, pendant qu'au-dessus de sa tête, les Koels en amour, dans les branches du manguier, chantaient leurs plaintes sans sommeil.
Upagupta franchit les barrières de la cité, et se tint au pied des remparts.
Quelle femme gisait là, dans l'ombre du mur, à ses pieds, frappée de la peste noire, son corps, taché de plaies, emporté avec tant de hâte hors de la ville ?
L'ascète, s'asseyant à ses côtés, prit sa tête sur ses genoux ; il humecta ses lèvres avec de l'eau, et réconforta son corps d'un baume.
« Qui es-tu, ô Miséricordieux ? » questionna la femme.
« Le temps est enfin venu de ma visitation et me voici », répondit le jeune ascète.



Rabindranath Tagore (1861-1941), poème extrait de La Corbeille de fruits (1916), traduit de l'anglais par Hélène du Pasquier.


Ecrit par Rabindranath TAGORE
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