Ode Cinquième. À l'académie des jeux floraux.

At mibi jam puero cœlestia sacra placebant,
Inque suum furtim musa trahebat opus.
(Ovide – Triste, livre IV, élégie X)

Pour moi dès l'enfance les mystères sacrés furent plein de charme et la muse m'attira en secret à son culte.

Vous dont le poétique empire
S'étend du bord du Rhône aux rives de l'Adour, (1)
Vous dont l'art tout-puissant n'est qu'un joyeux délire,
Rois des combats du chant, rois des jeux de la lyre,
O maîtres du savoir d'amour ! (2)

Aussi belle qu'à sa naissance,
Votre muse se rit des ans et des douleurs ; (3)
Le temps semble en passant respecter son enfance ;
Et la gloire, à ses yeux se voilant d'innocence,
Cache ses lauriers sous des fleurs. (4)

Salut ! Enfant, j'ai pour ma mère
Cueilli quelques rameaux dans vos sacrés bosquets ;
Votre main s'est offerte à ma main téméraire ;
Étranger, vous m'avez accueilli comme un frère,
Et fait asseoir dans vos banquets.

Parmi les juges de l'arène
L'athlète fut admis, vainqueur bien faible encor.
Jamais pourtant, errant sur les monts de Pyrène, (5)
Il n'avait réveillé de belle suzeraine
Aux sons hospitaliers du cor.

D'une fée, aux lointaines sphères,
Jamais il n'avait dit les magiques jardins :
Ni, le soir, pour charmer des dames peu sévères,
Conté, près du foyer, les exploits des trouvères, (6)
Et les amours des paladins.

D'autres, d'une voix immortelle,
Vous peindront d'heureux jours en de joyeux accords.
Moi, la douleur m'éprouve, et mes chants viennent d'elle.
Je souffre et je console, et ma muse fidèle
Se souvient de ceux qui sont morts.


$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$

(1) l'Occitanie
(2) le Gai Savoir (Gay Saber)
(3) Clémence Isaure
(4) les prix accordés lors des Jeux floraux sont des fleurs : le souci, la violette, etc.
(5) les Pyrénées... Elles seraient le tombeau qu'Hercule dressa à la belle Pyrène qui mourût de chagrin après qu'il l'eût quittée. On recherche la ville de Pyrène, la Troie du Roussillon...
(6) celui qui « trouve », de trobar. Hugo se mélange les pinceaux, le trouvère s'exprimant en langue d'oïl, le troubadour en langue d'oc. Les deux sont issus de la même racine. C'est « trouver », au sens de « créer, fabriquer », que signifie aussi poien en Grec, à savoir poésie et poète.

Poème envoyé à l'Académie des Jeux floraux pour être lu en séance publique le 3 mai 1822.
Le 28 avril 1820, il avait été nommé Maître ès Jeux floraux. Il est dès lors membre du jury des Jeux. Ses contributions sont en conséquence hors-concours et destinées à être lues en public.
Furent envoyées à l'Académie :
l'ode des vierges de Verdun, , pour laquelle il obtint une amarante réservée (1818)
l'ode sur le rétablissement de la statue de Henri IV, pour laquelle il obtint un Lys d'or (1819)
l'ode sur la mort du duc d'Enghien, pour laquelle il obtint un Lys d'argent

Eugène Hugo, frère aîné de Victor, né à Nancy le 29 sept. 1800, mort en 1837 à l'asile de Charenton, adressa à l'Académie une ode sur la mort du duc d'Enghien et obtint un souci réservé (1818). Il envoya aussi une ode sur la mort du Prince de Condé, non récompensée.
Victor, culpabilisant, consacre un poème à son frère en 1837 : à Eugène, vicomte H dans les voix intérieures.


Odes et ballades (Avril 1822) /
Livre de Poche – Gallimard 1964


Ecrit par Victor HUGO
Tous droits réservés ©
Lespoetes.net