Consolation à M. du Périer

Consolation à M. du Périer,
gentil-homme d'Aix en Provence,
pour la mort de sa fille (1599)


Ta douleur, Du Perier, sera donc éternelle,
               Et les tristes discours
Que te met en l’esprit l’amitié paternelle
               L’augmenteront toujours !

Le malheur de ta fille au tombeau descenduë
               Par un commun trépas,
Est-ce quelque dédale où ta raison perduë
               Ne se retreuve pas ?

Je sçay de quels appas son enfance estoit pleine,
               Et n’ay pas entrepris,
Injurieux ami, de soulager ta peine,
               Avecque son mépris.

Mais elle estoit du monde où les plus belles choses
                Ont le pire destin,
Et, rose, elle a vécu ce que vivent les roses,
                L’espace d’un matin.

Puis, quand ainsi seroit que, selon ta priere,
                Elle auroit obtenu
D’avoir en cheveux blancs terminé sa carriere,
                Qu’en fust-il advenu ?

Penses-tu que, plus vieille, en la maison céleste
                Elle eust eu plus d’accueil?
Ou qu’elle eust moins senti la poussiere funeste
                Et les vers du cercueil?

Non, non, mon Du Perier, aussi-tost que la Parque
                Oste l’ame du corps,
L’âge s’évanouït au deçà de la barque,
                Et ne suit point les morts.

Tithon n’a plus les ans qui le firent cigale;
                Et Pluton aujourd’huy,
Sans égard du passé, les mérites égale
                D’Archémore et de luy.

Ne te lasse donc plus d’inutiles complaintes;
                Mais, sage à l’advenir,
Aime une ombre comme ombre, et des cendres éteintes
                Éteins le souvenir.

C’est bien, je le confesse, une juste coustume,
                Que le cœur affligé,
Par le canal des yeux vuidant son amertume,
                Cherche d’estre allegé.

Mesme quand il advient que la tombe sépare
                Ce que nature a joint,
Celuy qui ne s’émeut a l’ame d’un barbare,
                Ou n’en a du tout point.

Mais d’estre inconsolable et dedans sa mémoire
                Enfermer un ennuy,
N’est ce pas se hayr pour acquerir la gloire
                De bien aimer autruy ?

Priam, qui vit ses fils abattus par Achille,
                Dénüé de support
Et hors de tout espoir du salut de sa ville,
                Receut du reconfort.

François, quand la Castille, inégale à ses armes,
                Luy vola son Dauphin,
Sembla d’un si grand coup devoir jeter des larmes
                Qui n’eussent point de fin.

Il les secha pourtant, et, comme un autre Alcide,
                Contre fortune instruit,
Fit qu’à ses ennemis d’un acte si perfide
                La honte fut le fruit.

Leur camp, qui la Durance avoit presque tarie
                De bataillons épais,
Entendant sa constance, eut peur de sa furie,
                Et demanda la paix.

De moi, dejà deux fois d’une pareille foudre
                Je me suis vu perclus ;
Et deux fois la raison m’a si bien fait resoudre
                Qu’il ne m’en souvient plus.

Non qu’il ne me soit grief que la tombe possede
                Ce qui me fut si cher;
Mais, en un accident qui n’a point de remede,
                Il n’en faut point chercher.

La Mort a des rigueurs à nulle autre pareilles.
                On a beau la prier,
La cruelle qu’elle est se bouche les oreilles,
                Et nous laisse crier.

Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,
                Est sujet à ses loix,
Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
                N’en défend point nos rois.

De murmurer contr'elle et perdre patience,
                Il est mal à propos :
Vouloir ce que Dieu veut est la seule science
                Qui nous met en repos.


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Ecrit par François MALHERBE
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