Méditation sous la pluie

à José Mara

Le baiser de la pluie au jardin provincial
Laisse un rythme troublant sur les feuilles des arbres,
Et la sereine odeur de la terre mouillée
Inonde notre cœur d'une tristesse vague.

A l'horizon muet se déchire un nuage.
Sur le miroir dormant de la fontaine tombent
Les gouttes, soulevant une écume de perles,
Feux follets que rabat le tremblement de l'onde.

Le chagrin vespéral éveille mon chagrin.
Le jardin s'est empli d'une tristesse fade.
Est-ce que ma souffrance, ô mon Dieu, doit se perdre
Comme se perd le doux murmure des feuillages ?

Tout l'écho étoilé que je garde en mon âme
M'aidera t'il alors à combattre ma forme ?
La mort est-elle éveil de l'âme véritable ?
Ce qu'aujourd'hui je pense est-il voué à l'ombre ?

Ô la tranquillité du jardin sous la pluie !
Tout ce chaste décor fait qu'en mon cœur frissonne
La rumeur de pensers gris et mélancoliques
Où j'entends palpiter des ailes de colombes.

Le soleil sort.
Le jardin saigne, jaune.
Autour de moi frémit une peine étouffante.
Je sens la nostalgie de mon enfance inquiète,
Mon désir d'être grand dans l'amour et les heures
Passes comme à présent à contempler la pluie
Avec une tristesse ingénue.
Le Petit Chaperon Rouge
Allait dans le sentier...
Les contes sont finis. Je médite confus
Devant la source trouble jaillie de mon amour.

Est-ce que ma souffrance, ô mon Dieu, doit se perdre
Comme se perd le doux murmure des feuillages ?

Il pleut encore.
Le vent ramène l'ombre.


(in Livre de poèmes – 3 janvier 1919)
Trad. : André Belamich & Claude Couffon
Ed. : NRF / Poésie / Gallimard (1954)


Ecrit par Federico GARCIA LORCA
Tous droits réservés ©
Lespoetes.net